Avec tout cet engouement, difficile d'ignorer le fait que la majorité des joueurs potentiels attendent toujours la sortie complète du FPS de Riot Games prévue pour cet été. Cependant, la communauté et les professionnels n’ont pas attendu pour se projeter sur l’avenir du jeu. Quelle place ? Est-ce le “CS killer” ? Est-il “esports ready” ?
Pour ce qui relève de cette dernière question, l’approche de Riot Games pour le développement de Valorant a été unique et déterminante pour son avenir. Pendant notre entretien, Arthur "pm" Guillermet — commentateur CS:GO pour 1PV — m’expliquait que : “la plus grosse innovation de Riot Games ici, c’est que dès son développement, Valorant a été pensé pour le compétitif. Pour les autres développeurs, l’esport est toujours un fait accidentel, qui arrive en conséquence. Ici, pour la première fois on a des devs qui comprennent et intègrent dans le développement cette dimension compétitive”.
Avec les informations que nous avons, nous savons que les premières traces publiques du développement de Valorant datent d’il y a six ans, et que Riot Games a monté une équipe de choc avec l’ambition de créer le meilleur FPS tactique possible. On parle de noms comme Trevor Romleski, Senior Lead Designer sur Valorant ayant travaillé neuf ans sur League of Legends, ou encore Salvatore Garozzo (aka Volcano), ancien joueur pro CS et designer de Cache sur le FPS de Valve.
On comprend donc que c’est bien la patte de Riot Games qui est mise en avant. Je parle évidemment de Riot en tant que Kakashi, ninja copieur de l’esport (magnifique comparaison trouvée par le grand Tweekz). Mais finalement, c’est un ninja copieur à l’écoute des joueurs, ce qui a été reproché à d’autres éditeurs par le passé. À ce sujet, pm se demande bien pourquoi Valve n’a pas eu cette ambition avec CS en 2012 : prendre un jeu qui était un carton pour en faire le meilleur titre possible : ”ils ont raté le coche, et c’est là où la concurrence intervient”.
Ici, la concurrence frappe fort, et le timing y est pour beaucoup. Valorant arrive dans un calendrier vide, sans un Fortnite en pleine forme ni Apex pour lui faire de l’ombre :
“Je m’attendais à un tel départ, avant même d’avoir mis les mains sur le jeu” raconte Arthur “si on met le système de drops de côté, je pense qu’il y a une lassitude des joueurs sur d’autres titres, et cela a contribué au départ de Valorant sur Twitch”. En effet, on parle de plus d’1,7 millions de spectateurs sur Twitch quelques heures après le lancement. Soit le troisième plus gros pic de tous les temps sur la plateforme, brisant ainsi le record de la World Cup de Fortnite l’an dernier.
Ce départ, c’est évidemment un bon moyen pour Riot de prendre la température. Le jeu est bon, il plaît, c’est indéniable. Mais quand on vient concurrencer un genre aussi niche et peu accessible au grand public qu’est le FPS tactique, on doit se poser des questions sur ce qui fera son avenir et succès.
D’apparence, Valorant a tout pour marcher. Un style moderne, des agents charismatiques à incarner dont le kit unique les rend très identifiables. Des menus clairs et précis, couplés à un client qui guide le joueur pas à pas. En tant que novice et débutante dans le FPS tactique, j’ai eu l’impression qu’on m’expliquait tout. Le jeu est exigeant, mais les clés de compréhension ne sont pas si difficiles à effleurer dès les premières parties.
Pour ce qui est des habitués de Counter Strike, “on est sur un CS casualisé qui n’est pas un jeu de casu” dit pm. “C’est un bon jeu, il y a de la fraîcheur et il y a des mécaniques de jeu qui drainent moins”.
Ce dernier point m’a beaucoup intrigué. Qu’est-ce qui le rend moins drainant ? ” Tu as un freeze time de trente secondes avant le début de la manche alors que sur CS, c’est quinze secondes en général. Donc tu dois directement agir et tout va très vite. On ne s’en rend pas compte, mais ces trente secondes pour se poser c’est une mécanique qui rend le jeu moins fatiguant. Sur CS, le rythme s'est fait de façon empirique, sur Valorant, c'est inscrit dans la dynamique du jeu ”. En dehors de cet aspect technique, Arthur explique aussi que ce qui rend le jeu plus casu, c’est son ergonomie : ” c’est un jeu de 2020, il est clair, t’as pas de commandes à rentrer, en tant que débutant tu es pris par la main et tu n’auras pas, pour l’instant, trop de tricheurs comme c’est le cas sur CS” . Le problème des “cheaters” a été beaucoup discuté et clairement pris en compte par Riot Games qui, contrairement à Valve, a pu prévenir ce problème dans la conception du jeu. Enfin, c'était le cas jusqu’à l'ouverture des parties classées...
En ce qui concerne la durabilité du jeu, Arthur évoque un autre point important : ”On l’a beaucoup répété, ça ne sera pas un jeu de casu, et c’est quelque chose que Riot devra prendre en compte sur la durée. Il faut que Valorant rentre dans l’ADN des gamers. Aujourd’hui, tout le monde connaît CS, tout le monde a joué à CS, mais plus personne ne joue au jeu. C’est difficile d’accès, c’est 100% l’esprit tryhard, et il sera intéressant de voir comment Riot fera évoluer Valorant pour que les joueurs restent”.
Il ajoute aussi que “sur CS, la vente de skins a eu un impact sur la rétention de joueurs. Il y a un véritable marketplace en dessous du jeu. Ce sont des collectionneurs, des parieurs, mais aussi une pathologie pour beaucoup de joueurs. L’éthique et l’approche de Riot est contre tout ça, mais comment réussiront-ils à marquer le coup ?” dit-il. On évoque alors tout ce qui pourrait être modes “fun”, en marge du 5v5 compétitif. Mais pour l'heure, le jeu est tel qu’il est, et nous verrons la direction que Riot prendra au fil du temps, mais surtout en fonction des retours des joueurs eux-mêmes.
Quelques semaines seulement après le lancement de la bêta, Riot dresse une esquisse de leurs plans pour la compétition future, et affirme qu'ils ne comptent pas s’en emparer d’office.
Une fois de plus, le but est de sonder la communauté, voir ce qui plaît et ce que les gens veulent, sans doute pour reprendre le contrôle par la suite (comme ce qui s’est fait sur League of Legends en soi). Sur ce point, pm affirme que c’est la bonne approche, et qu’un jeu “ne devient pas esport parce qu’on lui demande de l’être. Il y a aujourd’hui des artefacts de l’esport, et on voit bien pourquoi ces constructions faites de toute pièce ne marchent pas”.
L’organisation des événements, c’est une chose, mais qu’en est-il des joueurs professionnels ? Alors que le jeu n’est qu’en bêta, on voit déjà des structures signer des joueurs, annoncer des équipes, tout ceci alors que le mode classé du jeu vient à peine de sortir : ” tout ce mouvement, c’est de l’esportainment” affirme pm. “Cela contribue une fois de plus à ce que Riot cherche à faire, créer de la discussion, de l’excitation et un engouement communautaire. On est sur une ambiguïté, car on parle de joueurs pros, mot sacré pour les fans d’esport, sans réelle scène derrière, mais cela ne me choque pas”.
Alors que beaucoup de joueurs — Overwatch notamment —, annoncent quitter la scène pour se consacrer à Valorant, difficile de savoir quels joueurs pros réussiront à percer sur le long terme. Celui qui a le plus marqué les esprits, c'est bien Sinatraa, MVP de l'Overwatch League et joueur respecté de la scène. Les petits prodiges du jeu, pour la plupart, nous ne les connaissons pas encore, et seul le ladder et le temps sauront les révéler.
Quel avenir pour Valorant ? Radieux sans doute. Arthur voit une cohabitation entre CS et Valorant sur la scène esport, comme on peut le voir entre LoL et Dota 2 depuis des années. Mais en soi, ce ne sont que des suppositions.
Les six prochains mois seront déterminants pour l’avenir du jeu, tant dans l’approche que Riot prendra, que dans cette fameuse recette secrète, cet élément impalpable qui définit un jeu qui marche ou non. Sur ce point, à part laisser parler les joueurs et le temps, Riot Games ne peut rien faire et devra attendre et se montrer à l’écoute. Afin de voir si ce titan construit pour les joueurs saura répondre aux attentes et faire vibrer ces derniers.