Annoncé lors de la cérémonie d'ouverture de la BlizzCon 2018, le jeu mobile Diablo, nommé Diablo Immortal a été reçu de manière absolument glaciale de la part des fans, que ce soit de la part des gens sur place ou de ceux qui suivaient le stream. Il n'aura cependant pas fallu longtemps pour que leur colère ne s'embrase. Il en a résulté rapidement des trailers avec un ratio Like/Dislike extrêmement négatif. La version anglaise de Diablo Immortal Cinematic Trailer compte 1 426 720 vues à l'heures où ces lignes sont écrites, et elle dispose de 9k Likes et de 303k Dislikes, soit presque 97% d'avis négatifs. Les commentaires sous les trailers sont aussi cinglants. Les communautés Diablo sont aussi entrées en ébullition, des sites de fan ont condamné l'annonce avec plus ou moins de fermeté, et le Subreddit Diablo a aussi été noyé sous les réactions soit outrées, soit désabusées soit moqueuses des fans.
Le F des joueurs de Diablo 3
La conférence Diablo Immortal qui a suivi n'a fait qu'amplifier les choses. Outre l'absence des habituels cris de joie, les pauvres développeurs sur scène, Wyatt Cheng en tête se sont heurtés pour la première fois à des huées de la part du public lorsque la session de questions-réponses a souligné à quel point la réception du jeu était mauvaise. On retiendra en particulier deux questions, la première est celle ouvertement moqueuse "Est ce une blague du 1er avril faite hors saison ?" posée par un autre fan au t-shirt rouge (décidément), qui a été accompagnée d'encouragements et qui l'a instantanément rendu célèbre au sein de la communauté. La seconde portait sur l'éventuel portage de Diablo Immortal sur PC, avec un "Non" assez ferme ayant déclenché des huées. Cela a provoqué une réaction malvenue de Wyatt Cheng, qui a demandé au public "Quoi, vous n'avez pas de téléphone ?" qui a été interprétée comme étant déplacée par certains. Il faut dire qu'annoncer un jeu mobile à une bande de joueurs PC, après la débâcle de l'annonce Command & Conquer Rivals sur mobiles par EA, avait de quoi laisser s'interroger sur la réaction à laquelle il s'attendait.
Depuis, la situation à pris de l'ampleur, et même si elle ne va probablement nulle part, il y a même eu une pétition en ligne pour demander l'annulation du jeu à Blizzard. Nous allons tenter d'analyser ici ce qui a mené à cette polémique autour d'un jeu, qui a poussé une des communautés les plus anciennes et dévouées à se retourner aussi violemment contre ce qu'ils adulaient peu de temps auparavant. Après tout, nous parlons d'une communauté comptant beaucoup de fans qui payent pour suivre la BlizzCon. Quel autre studio serait capable d'organiser un tel événement payant chaque année ?
La mauvaise annonce au mauvais moment peut faire toute la différence
Pour commencer, les fans de Diablo sont à cran depuis un moment : cela fait un an qu'aucune mise à jour de contenu n'a été déployée sur Diablo 3. Et des messages confus et contradictoires de Blizzard ont tantôt laissé les fans espérer Diablo 4, ou au moins une grosse annonce, et tantôt douché ces espoirs. De plus, la BlizzCon 2018 est peut être l'une des pires itérations de cette convention.
Outre son organisation particulièrement chaotique qui comprenait entre autres des retards, des coupures de son, des traducteurs pour le moins perfectibles et des invasions publicitaires déplacées dans le cadre d'un événement dont une grande partie du suivi en stream est payante (à moins que vous suiviez l'événement pour avoir des nouvelles de Destiny 2 et Call of Duty).
Les annonces réalisées lors de la cérémonie d'ouverture n'étaient pas vraiment impressionnantes. Des héros pour HotS et Overwatch, une extension pour Hearthstone, Warcraft 3 Reforged (un mot peut-être choisi parce que trop de jeux remastered ont été bâclés). Tout cela n'était pas mauvais, mais était de la routine, il n'y a aucune ambition ni prise de risques et c'était donc ennuyeux.
Finalement, c'est en fin de cérémonie d'ouverture que devait arriver le clou du spectacle, et même si les fans n'attendaient pas Diablo 4, ils espéraient quelque chose digne de la BlizzCon, comme le remaster de Diablo 2 ou le Druide pour Diablo 3. Chose qu'un jeu mobile réalisé par un studio chinois et à destination de ce marché n'est absolument pas. Réaliser autant de teasing et une telle montée en puissance pour un projet qui ne parle absolument pas à la très large majorité des fans occidentaux était une bien grave erreur. Le sourire de Wyatt Cheng s'est figé quand, au lieu de recevoir des hurlements de joies, il n'a pu qu'entendre le silence gêné relatif qui s'est installé dans la salle comparé aux autres annonces faites habituellement.
Je suis personnellement convaincu que si cette annonce avait été réalisée en dehors de la BlizzCon, ou après une véritable annonce Diablo, par exemple un simple logo Diablo 4, la communauté aurait été beaucoup plus réceptive à Diablo Immortal. Quand des gens payent 199$ le ticket d'entrée, ou 39,99€ pour un ticket virtuel, il convient d'avoir quelque chose à leur montrer, et ne pas leur faire une "blague de mauvais goût". On peut donc considérer que la colère des fans est parfaitement justifiée en la matière. On peut aussi argumenter encore une fois sur le fait qu'annoncer uniquement un jeu mobile à une fanbase qui a historiquement été avant tout PC était une très mauvaise idée. Cela fait la liaison avec notre second point, les manquements du studio en termes de communication.
La communication de Blizzard pour Diablo, aussi dépassée que catastrophique
Ce n'est pas nouveau, cela fait longtemps que la communication de Blizzard est pointée du doigt pour cette licence. Entre le silence des développeurs (probablement transférés sur d'autres projets pour certains ou qui ont quitté Blizzard pour les autres), et le peu de com' de la part des community managers, on ne peut pas dire que la communauté a l'impression d'être écoutée. Lorsque des interviews sont organisées par la presse spécialisée, et que les questions qui tiennent à cœur la communauté sont posées, on se heurte toujours à la langue de bois bien spécifique du studio. C'était particulièrement visible lors de la session de questions-réponses d'hier, ainsi que dans notre interview. Les développeurs esquivent les véritables questions, ou ils offrent une réponse générique pour dire qu'ils ne peuvent rien dire "Il est trop tôt pour en parler" "C'est un super jeu", etc. Dans un contexte où toutes les informations intéressantes sont cadenassées et libérées exclusivement lors de communiqués bien programmés, toutes les autres interactions perdent toute leur valeur.
Les rares tentatives de communication de la part de Blizzard sur Diablo cette année se sont toutes retournées contre le studio. Citons par exemple le clin d'œil un peu trop évident du portage sur Switch de Diablo 3, que Blizzard s'est dépêché de nier ensuite, suivi de la vidéo Le futur de Diablo qui a fait miroiter de belles choses à venir, sans rien dire de concret. Passons rapidement sur les différentes fuites et indices laissés ces derniers mois, comme les poster Diablo : Reign of Terror. Devant l'ampleur que prenaient les rumeurs, seulement quelques semaines avant le démarrage de la BlizzCon, un démenti sur l'annonce d'un Diablo 4 cette année a été publié.
En parallèle, le portage sur Switch a été mis en avant ad nauseam, même pour les joueurs qui possèdent déjà Diablo 3, ce qui n'a pas manqué de faire naître des comparaisons moqueuses entre Diablo 3 et Skyrim : le jeu porté sur tous les supports et recyclé chaque année d'une nouvelle manière. On peut argumenter sur le fait que Diablo Immortal est dans cette continuité avec ses graphismes qui ressemble à une version très basse résolution de Diablo 3.
Tous ces éléments ont alimenté la grogne des joueurs depuis déjà de nombreuses années. Malheureusement, pour le moment, Blizzard n'a pas l'air de vouloir communiquer sur le sujet, et le studio semble dans le déni. La suppression automatique de certains commentaires non-insultants sous les vidéos Diablo Immortal sur Youtube, le réhébergement d'une vidéo en non listée pour cacher les ratios, ou encore la suppression des questions compromettantes dans les VoD de la BlizzCon. Il aurait été plus avisé d'accepter ces critiques et réactions, de reconnaître qu'ils ont été maladroits, puis tenter de se réconcilier avec les fans. Nous verrons bien dans les jours qui viennent si des mesures sont prises dans cette direction. Il est arrivé par le passé que Blizzard fasse machine arrière, comme avec les noms réels sur Battle.net.
L'ombre d'Activision et Blizzard
Le sujet n'est pas nouveau, depuis son rachat par Activision, tous les déboires de Blizzard sont attribués à Activision, à son influence et aux pressions qu'il exerce sur le studio afin d'augmenter la rentabilité. Ce sujet dépasse le cadre de cet édito, et il faut avouer que sans avoir de solides sources sur le fonctionnement interne de ces entreprises, il est terriblement hasardeux de pointer quelqu'un du doigt. Il est fort probable qu'Activision ait effectivement un lourd impact sur les stratégies de Blizzard. Sans prendre Blizzard pour un ange au-dessus de tout reproche, il apparaît néanmoins que des concessions ont dû être faites. Citons par exemple le client Battle.net, renommé Blizzard Launcher, qui est finalement redevenu Battle.net, officiellement pour satisfaire la communauté, mais en pratique, il n'est pas impossible que cela ait été afin d'accueillir Destiny 2. À l'époque, il avait été dit qu'il serait le seul jeu non Blizzard présent, mais voici à présent Call of Duty. Pire encore, ces deux jeux s'invitent en pleine BlizzCon, avec des interviews des développeurs, des trailers, et même jusqu'à être mentionnés durant la cérémonie d'ouverture. Il est difficile de ne pas voir en cela une influence croissante d'Activision qui souhaite rentabiliser au maximum la communauté bâtie par Blizzard depuis plusieurs décennies. Le fait que tout cela arrive en même temps que le remplacement de Mike Morhaime en tant que président n'est peut-être pas une coïncidence. Même s'il ne l'admettra jamais en public, il est possible que cela ait influencé sa décision. Son départ est dans tous les cas une page qui se tourne pour le studio, et il y a fort à parier que beaucoup d'autres choses impensables il y a une dizaine d'années chez Blizzard deviendront réalité tôt ou tard.
NeatEase Games et le marché Chinois
Entrons à présent davantage dans le vif du sujet, c'est-à-dire Diablo Immortal. Nous avions mentionné il y a quelques semaines la possibilité d'un Diablo Mobile, en mentionnant que le genre se prête assez bien à la plateforme. Diablo 3 lui-même aurait presque pu être porté sur ce support. Ironiquement, nous n'étions pas loin de la vérité, même si à l'époque nous ne pensions pas que Blizzard ferait la bourde de l'annoncer sans rien d'autre pour faire passer la pilule. Dans tous les cas, cette annonce n'a absolument pas été une surprise chez nous, et nous ne sommes pas fondamentalement opposé à un Diablo sur mobile, tant que cela n'est pas fait aux dépens d'un véritable jeu Diablo mainstream. D'après les propos tenus lors de la conférence, il y a une équipe qui travaille sur leur projet principal (Diablo 4 supposément). On peut argumenter sur le fait que Wyatt Cheng, qui était un pilier de l'équipe Diablo 3 aurait davantage sa place dans l'équipe Diablo 4 que dans celle Diablo Immortal. Mais à l'inverse, sa présence sur Diablo Immortal laisse espérer que le jeu aura bien les éléments que recherchent les joueurs occidentaux, et que ce ne sera pas simplement un studio chinois qui s'amusera avec leur licence dans son coin. Sachant que par le passé les collaborations du genre se sont très mal passées, le jeu a soit été totalement désavoué comme Diablo: Hellfire, soit complètement annulé comme StarCraft: Ghost.
Pour revenir à notre sujet, le studio chinois, NeatEase Games a collaboré avec Blizzard depuis une dizaine d'années. Cette firme chinoise a développé plusieurs jeux très lourdement inspirés de Diablo 3, comme Endless of God et on ne peut pas nier qu'elle possède une certaine expertise dans ce domaine, même si d'après quelques retours de joueurs chinois, leur réputation n'est pas vraiment stellaire, même en Chine. Malheureusement, il est difficile de vérifier ce genre d'informations à cause de la barrière de la langue et des spécificités du marché chinois. Les spécificités de ce marché font que la collaboration avec NeatEase Games prend tout son sens. Ils permettent de faire valider le jeu plus facilement en Chine, et ils savent quelles sont les exigences absurdes de l'organe de censure de ce joyeux pays totalitaire.
Les joueurs chinois sont potentiellement très nombreux (pour mémoire, ils sont près de 1,4 milliards d'habitants) et ils jouent majoritairement sur smartphone. Ils sont moins répugnés que les occidentaux par le Pay 2 Win et les boutiques en jeu, ce qui explique que seule la version chinoise de Diablo 3 en possède une. Autant dire que si Diablo Immortal fonctionne bien là-bas, il sera incroyablement rentable. Cela nous prête donc à penser que Diablo Immortal a été conçu avant tout pour le public Chinois, mais que des aménagements ont été faits, ou vont être faits pour le rendre acceptable et raisonnablement populaire en Occident. Du moins, c'était probablement le plan avant le retour de flamme.
Un jeu qui mérite tout de même sa chance
Je me dois de préciser une fois encore que je n'ai rien contre Diablo Immortal, ni contre un Diablo Mobile en général, et même si je comprends la colère des fans et que je la considère justifiée à plus d'un titre, je dois aussi dire qu'elle est démesurée. Après avoir vivement critiqué Blizzard et ses décisions sur plusieurs longs paragraphes, il convient aussi de reconnaître qu'ils n'ont pas tort sur plusieurs éléments fondamentaux. Pour commencer, un argument qui est passé trop vite sous le tapis par les fans, voire complètement ignoré : Diablo Immortal est effectivement un ajout à la licence, c'est une addition optionnelle qui n'aura pas un impact notable sur les futurs développements PC et consoles, au contraire. Son existence n'a probablement pas significativement ralenti Diablo 4.
Généralement les joueurs PC et consoles n'aiment pas les jeux mobiles pour plusieurs raisons, outre les commandes tactiles qui ont de nombreuses limites, les modèles économiques abusifs ainsi que les fuites de données sont la norme. Mais rien ne force ces joueurs à mettre la main sur chaque itération et spin-off d'une licence, pas même Diablo. Si comme moi, vous n'aimez pas les jeux mobiles, rien ne vous forcera à jouer à Diablo Immortal. L'histoire n'est clairement pas le point fort de Diablo, et vu que la période choisie pour l'histoire n'est clairement pas la plus intéressante, il y a peu de chances que vous ratiez grand chose. Pour mémoire, l'histoire de Diablo Immortal se déroulera 5 ans après la fin de Diablo 2: Lord of Destruction, et avant Diablo 3. Autant dire que nous savons qui va survivre (du moins jusqu'à l'Acte I), et que l'impact de nos actions sera limité. Il ne fait aucun doute que nous allons sauver Sanctuaire de la destruction de nombreuses fois, mais cela mènera simplement aux événements de Diablo 3.
Un autre point important, et même le plus important dirais-je, est que pour le moment nous ignorons si le jeu sera bon ou non. Il est injuste de le condamner uniquement parce qu'il est sur une plateforme que vous n'aimez pas, même si je partage la même frustration. Il faudra juger Diablo Immortal à sa sortie, et voir si Blizzard a effectivement fait le nécessaire pour en faire un excellent jeu. Ceci étant dit, il a plusieurs obstacles à surmonter en plus des commandes, la direction artistique fade est similaire à celle de Diablo 3 en plus pauvre et probablement en version censurée (Chine oblige, pas de gore et de grosses limitations en tous genres), ce qui n'est certes pas encourageant, puisque c'est une des principales critiques faites au jeu. Mais il est tout à fait possible que ce soit tout de même un excellent jeu mobile. Les trailers ont montré quelques idées intéressantes, comme les combats verticaux, ceux sur des radeaux, ou des combinaisons de techniques qui dépassent les choses génériques vues trop souvent comme la nova électrique. Ils ont clairement l'air de chercher de bons concepts, qui pourront même être réutilisés dans un prochain titre.
Au final, ce qui sera le véritable "test" de Diablo Immortal sera son modèle économique, dont les développeurs ont spécifiquement refusé de parler pour le moment lorsque nous leur avons posé la question, et c'est ici qu'Activision fait très peur. Si c'est du P2W (pay to win) comme les autres jeux de NeatEase Games, il aura totalement mérité toute la haine et le mépris qu'il a déjà récolté, et bien plus encore. À l'inverse, s'il embrasse un modèle économique sain et équilibré, par exemple F2P (free to play) avec une boutique de cosmétiques, tout en offrant une expérience Diablo honnête (à défaut d'être optimale) comme la version chinoise de Diablo 3, je ne vois pas le mal qu'il y aura à l'accepter à bras ouverts dans la lignée Diablo. Il pourrait même motiver le studio à s'occuper un peu mieux de la licence.
C'est donc un jeu à surveiller du coin de l'œil, du moins pour ceux qui aiment jouer sur smartphone, et nous ne manquerons pas de le tester à sa sortie afin de déterminer ce qu'il donne au final, et juger de la difficulté de la transition pour un PCiste.