Après un Play-In haut en couleurs et en émotions, on attendait beaucoup de la phase de groupes de ces Worlds 2020 de League of Legends. On espérait franchement assister à l'upset des régions majeures, à l'ascension des régions mineures — ne serait-ce que pour le spectacle. Malheureusement, en dehors de la débâcle franchement attendue de l'Amérique du Nord, le Main Event s'est déroulé sans véritable accroc, semblant suivre un script clairement comparable aux années précédentes.
Pourtant, tout semblait annoncer que cette édition serait différente. Au sortir du Play-In, Unicorns of Love, PSG Talon, et Machi Esports — trois équipes provenant de régions mineures — venaient tout juste de décrocher leur place pour les groupes, tandis que les MAD Lions rentraient bredouilles. Comme chaque année, on s'était pris d'affection pour ces équipes wildcards qui tentent inlassablement leur chance sur la scène internationale. Contre toutes les statistiques de performances et les résultats, on s'était mis à rêver un monde où, à la faveur d'on ne sait quel miracle, une de ces trois équipes parviendrait à survivre aux groupes.
A l'aube des quarts de finale, on sait désormais que seules la Chine, la Corée du Sud et l'Europe peuvent encore prétendre au titre de meilleure région du monde. Mais il y a une dizaine de jours, tous les espoirs étaient encore permis.
Tous pétris de nos espoirs fous, on s'est pourtant rendu compte assez vite qu'on avait songé les yeux ouverts. Dès le premier jour des rencontres, le 3 octobre, les Unicorns of Love goûtaient au style de DRX, s'inclinant face à la seconde seed coréenne dans un quasi no-match. Une issue qu'on pouvait sans doute prédire, mais qui n'a pas empêché le roster russe de plonger dans la mêlée.
"On voulait savoir s'ils étaient vraiment bons, ou s'il s'agissait juste d'une barrière mentale, ou d'un truc du genre. Et du coup... bah ils sont forts," rigole Lev "Nomanz" Yakshin durant l'interview suivant la rencontre. Quelques instants plus tôt, alors que l'équipe coréenne ravage la base des licornes, le midlaner d'UOL affiche un sourire franc, de celui qui a d'ores et déjà affecté la défaite. "Je pense que c'est mieux de faire ça que d'être tilté. Si, en tant qu'équipe, on est capables de conserver une bonne humeur, même après avoir perdu, ça nous permet de mieux apprendre de nos erreurs."
Et justement, Nomanz est un spécialiste du tilt. Durant le Play-In, on le voyait souvent spammer ses emotes, s'adonnant à une guerre psychologique bien connue des joueurs classés. "En fait, j'me suis juste inspiré de la soloqueue," plaisante le midlaner, "de ces gens qui solokill quelqu'un, puis qui spamment l'emote du pouce vers le bas." Cela dit, on n'a pas retrouvé cette attitude cavalière durant le Main Event, peut-être simplement parce que Nomanz n'avançait pas avec la même assurance dans cette seconde partie des Worlds.
Durant le Play-In, les licornes avaient démontré un style de jeu lent et contrôlé, et on croyait naïvement que la formation russe parviendrait à installer son rythme durant le Main Event — mais, face à l'agressivité des Coréens et des Chinois, leur plan de jeu s'est complètement effondré. "Notre style fonctionne si nos mécaniques sont meilleures, mais ça ne marche pas comme ça avec DRX," commente Nomanz. "Il faut qu'on joue en équipe, [parce qu'on] ne peut pas pas gagner toutes nos lanes seuls, pour pouvoir snowball un avantage ensemble. On est tombés derrière durant cette game, c'est pour ça qu'on a perdu."
Malheureusement, cette défaite face à DRX a été la première d'une longue lignée, puisque les Unicorns of Love ont achevé la phase des groupes en 0-6. Manquant sans doute de temps pour s'adapter à la meta du Main Event, la formation russe a néanmoins réussi à faire mieux que l'année dernière. En 2019, UOL échouait à sortir du Play-In, cette année, ils ont échoué à sortir des groupes, peut-être qu'ils parviendront en quarts l'année prochaine...
Bien que douloureux, le parcours des Unicorns of Love n'a pas été la seule déception de cette phase de groupes. D'autant que la prise de conscience s'est faite immédiatement après la phase aller. Après avoir signé une game absolument impeccable contre le PSG Talon, les Rogue se sont complètement effondrés et ne sont pas parvenus à retrouver le chemin de la victoire. Au contraire, le club franco-taïwanais s'est relevé de son 0-3 pour aller décrocher une victoire contre JD Gaming, et leur revanche face aux rookies du LEC, avant d'échouer à la troisième place du Groupe B. Un résultat plus qu'honorable, surtout quand on sait les difficultés rencontrées par l'équipe depuis le début des Worlds.
En raison de problèmes de visa, trois des cinq titulaires du PSG Talon s'étaient retrouvés dans l'incapacité de jouer le Play-In, forçant l'organisation à recruter trois remplaçants. Paradoxalement, cette formation de dernière minute reconstruite grâce à Hsiao "Kongyue" Jen-Tso, Chen "Uniboy" Chang-Chu et Chen "Dee" Chun-Dee a défié tous les pronostics en s'emparant de la première seed du Groupe B.
Cela dit, comme convenu avec Riot Games, le roster du PSG Talon a retrouvé ses joueurs titulaires au début du Main Event. Kim "River" Dong-woo, Wong "Unified" Chun Kit et Park "Tank" Dan-won ont réintégré la formation, profitant du peu de préparation dont ils pouvaient disposer. Et forcément, réunir le roster initial ne s'est pas fait sans heurts.
"Durant notre quarantaine, on avait trois remplaçants venant de Taïwan et, puisque tous les joueurs parlaient chinois, la communication était parfaite," explique le jungler coréen River. "Sauf qu'on a récupéré le roster [initial] maintenant, et on a deux Coréens dans l'équipe, donc notre communication n'est pas aussi parfaite qu'à ce moment là."
River invoque la barrière du langage pour expliquer les défaites de la phase aller, tout en admettant volontiers les conséquences de la nervosité. Puisque les joueurs remplaçants ont démontré un niveau de jeu impressionnant, à cet instant beaucoup de regards se tournent vers les titulaires, faisant peser une pression supplémentaire sur de jeunes joueurs peu habitués aux lumières de la scène internationale.
"Mon état d'esprit c'était : faisons mieux que les remplaçants," confie River au sortir du Jour 2 du Group Stage, "mais d'après les performances que nous avons montrées jusqu'à présent, je pense que les gens vont penser que ce sont eux les titulaires et que nous sommes juste les remplaçants." Depuis le setup d'interview à distance installé par Riot Games à Shanghai, le jungler coréen dissimule difficilement son anxiété révélant que la simple vue du pseudo de Kanavi suscitait en lui peur et respect.
En 0-3, les PSG Talon n'avaient plus rien à perdre, et c'est peut-être cette énergie du désespoir qui leur a permis de sauver leur honneur durant la phase retour. Hélas, la 2e seed des PCS n'a résisté ni à l'armada coréene, ni à la formation chinoise — et notre rêve de voir une région wildcard accéder aux quarts a de nouveau été piétiné.
A la place, on assiste désormais à un événement qui semble presque scénarisé tant il est clairement digne d'un shonen : d'un côté, c'est Fnatic contre la Chine. De l'autre, c'est G2 Esports contre la Corée du Sud. Pour accéder à la finale, les Samouraïs devront d'abord vaincre Gen.G afin d'ensuite affronter le vainqueur de la rencontre opposant DAMWON Gaming à DRX.
Et, de ce côté là, on s'apprête à assister à un rematch de la finale du Summer Split 2020 de la LCK. Hong "Pyosik" Chang-hyeon, jungler de DRX et véritable révélation de la phase de groupes, reconnaît sans ambages être "un peu effrayé" à l'idée de devoir affronter à nouveau les DAMWON. Après tout, il est un rookie, et il semble avoir du mal à réaliser pleinement sa situation.
"Je pense que j'ai eu beaucoup de chance de devenir un joueur professionnel, et maintenant que je suis arrivé aux Worlds, j'ai l'impression que ma vie est un drama ou un film," plaisante Pyosik, "[Les autres junglers présents aux Worlds] sont tous très expérimentés. [Ce sont] des junglers vétérans, des joueurs talentueux, donc c'est très bizarre de faire partie d'eux..."
Le jeune jungler manque d'autant plus d'expérience qu'il a débuté sa carrière en avril dernier, alors que la LCK se jouait en huis clos. En d'autres termes, s'il parvient jusqu'en finale, il risque de brutalement découvrir la différence entre le fait de jouer sans public, et celui de concourir pour le titre avec des milliers de personnes hurlant dans son dos...
Cela dit, il n'est pas totalement en terre inconnue puisque, comme le révélait Ashley Kang, la scène des Worlds lui a permis d'enfin rencontrer Zhuo "knight" Ding, un joueur avec lequel il avait l'habitude de duo-queue lorsqu'il n'était encore que streamer. Un an avant les Worlds 2020, ils s'étaient promis de se retrouver à Shanghai pour s'y serrer la main — et ce moment a été immortalisé par une photo.
Loin des upsets et des défaites, loin des favoris et des wildcards, loin même de la compétition, les Worlds rassemblent joueurs et spectateurs autour d'une même passion, créant des rencontres qui font fi des frontières. Pyosik et knight l'illustrent bien — et ça fait franchement chaud au cœur. D'une certaine manière, ça vient même apaiser notre déception, nous faisant presque oublier que l'aventure à Shanghai s'achève pour Unicorns of Love et le PSG Talon. Mais demain est un autre jour et, comme le disait si bien Pierre Bottero "Que deviennent les rêves brisés ? Le terreau des rêves à venir."