En réalité, tout ceci est assez solitaire. Déjà, je fais partie des non-américains, nous ne sommes pas sur le même continent, bien qu’il y ait de plus en plus d’illustrateurs étrangers. Je ne rencontre quasiment jamais mes homologues. Il est arrivé qu’on se croise quelquefois en Grand Prix, ce qui m’a permis d’en rencontrer quelques uns. Là où j’ai pu en rencontrer d’autres, c’est lors des concept push. Pour le coup, nous travaillons ensemble et il faut vraiment qu’on fasse équipe puisque nous sommes généralement des équipes de 5 illustrateurs. Il faut que l’on collabore, ça fait partie du travail. Sinon, le reste du temps, il n’y a pas lieu à ce que l’on se consulte les uns et les autres. Enfin, je travaille depuis chez moi, à la campagne. Je ne côtoie personne en réalité, je suis toute seule dans mon coin. Les relations sont assez sporadiques. Je connais quelques illustrateurs mais pas plus que ça.
Je sais que certains illustrateurs ont des groupes où ils s’entraident, par exemple, lorsqu’ils sont en train de travailler sur des illustrations de cartes. Je sais que certains s’envoient leurs crayonnés pour recevoir un avis. Moi, je n’ai pas vraiment besoin de ça, car mon mari est illustrateur. J’ai déjà mon assistant à domicile, c’est parfait ! Et puis, je crois aussi que c’est dans ma nature de ne pas trop me mélanger avec les autres, je suis un peu sauvage.
Ça ne m’est jamais arrivé. Je ne sais pas si à l’échelle du jeu c’est déjà arrivé, mais je pense que ça donnerait à Magic un côté encore plus usine à gaz qu’elle ne l’est déjà. Dans l’histoire de Magic, ça a bien dû arriver puisqu’il y a dû avoir tellement d'occurrences qui auraient pu rendre la chose possible. Mais je pense que les collaborations ne doivent pas être très fréquentes parce que c’est compliqué à gérer. À fortiori avec les années que nous sommes en train de vivre chez Magic où l’on voit une grosse expansion du jeu. Nous le sentons en tant qu’illustrateurs. C’est une course permanente, en termes de création. Tu finis à peine un truc qu’on t’en donne un autre. On sent même que du côté des directeurs artistiques aussi, il faut qu’ils soient efficaces, que ça aille vite, que ce soit dans les délais. Il y a tellement de trucs à faire.
ndlr : après recherches, voici un exemple de collaboration sur une carte.
Je pense que des produits comme les Secret Lair seraient le lieu pour faire des collaborations. Par exemple, quand j’ai fait le Secret Lair de Thalia, j’ai fait des cartes dedans parce que j’avais déjà représenté Thalia dans le jeu précédemment et Johannes Voss en a aussi fait deux pour les mêmes raisons. C’était une façon de nous regrouper, nous les deux illustrateurs emblématiques de Thalia. Mais nous avons découvert l’un comme l’autre que nous étions ensemble dedans quand le Secret Lair est sorti. Sinon, nous n’en avions aucune idée. Au moment où on m’a donné à faire Thalia, je savais que c’était une série de quatre cartes et que l’on m’en donnait deux, mais je ne savais absolument pas qui travaillait à côté. Pareil quand j’avais fait Sisay dans le Secret Lair International Women’s day, je me doutais qu’il y avait d’autres illustratrices Magic mais je ne savais pas lesquelles.
Je pense qu’il y a aussi des questions de confidentialité. Malgré le fait qu’ils nous font quand même confiance dans l’ensemble. Il peut toujours arriver que ça nous échappe dans un échange, sur les réseaux sociaux et que s’il y avait trop de connivence entre nous, ça pourrait parfois nous échapper et ils veulent éviter ça. Parce qu’on se rend compte que les joueurs Magic sont méga au taquet. Ils voient des allusions de partout, donc au moindre truc qui nous échappe, ils vont se demander si ça signifie quelque chose. Je pense qu’ils essaient de limiter ça aussi.
Il y en a un. “À la recherche d’Azcanta” et au dos, il y a “Azcanta, les ruines englouties”. C’est un terrain légendaire. C’est le seul terrain de ma production.
Finalement, on en revient au côté très professionnel des directeurs artistiques. Chez Magic, ils savent sans même que j’ai eu besoin de leur dire que les environnements, ce n’est pas mon domaine de prédilection à la base. On pourrait croire le contraire en voyant mes personnages, mais c’est différent de faire un décorum pour entourer un personnage et de faire un environnement en lui-même intéressant et bien construit. C’est plus difficile pour moi de faire ça que de créer un personnage, par exemple.
Si on m’en donne l’opportunité, comme ça a été le cas pour Azcanta, je le fais avec application. Mais je me souviens que j’avais un petit surplus d’appréhension quand j’ai fait ce dessin.
"Au final, il y a quand même un petit personnage qui est présent sur les deux illustrations."
Oui, j’ai fait des petits ondins qui nagent la brasse, ça me permet un petit peu d’être en terrain connu.
"Ce qui est intéressant avec cet ondin, c’est qu’il nous permet de s’immerger avec lui dans la vision de cet environnement."
Oui, c’est l’ondin qui ouvre un peu sur le reste du décor sur la face “À la recherche d’Azcanta” puisqu’il pointe du doigt. Il y a d’ailleurs une petite astuce. Quand on voit la face “À la recherche d’Azcanta”, celle avec la rivière très colorée et très verte, la rivière qui donne sur une chute d’eau tout au fond de l’illustration est en fait la même chute d’eau que l’on voit sur l’autre face de la carte. C’est la chute d’eau qui tombe sur la gauche des ruines. C’est ce sur quoi ils débouchent quand ils remontent la rivière, tels des saumons.
Pour répondre à ta question, moi le type de carte que je préfère, c’est assez évident, ce sont les cartes de créatures et les planeswalkers. J’aime faire les planeswalkers, même si ce sont des cartes qui sont plus difficiles à réaliser parce qu’il faut qu’on les compose verticalement. En effet, la moitié de l’illustration est cachée de par son format. Mais même si elle est cachée par la boîte de texte, on nous demande de faire le planeswalker en entier parce qu’ils vont s’en servir à des fins marketing, etc… C’est pour ça qu’il faut toujours que le personnage soit représenté des pieds à la tête, même s’il est coupé par la suite sur la carte.
Composer verticalement, c’est difficile. Mais personnellement, dès qu’il y a une créature ou un planeswalker, je suis dans mon domaine de prédilection.