C’est plus succinct que ce à quoi on pourrait s’attendre. On reçoit généralement un texte d’assignation qui va nous dire la taille de notre fichier numérique et le titre de la carte qui s’avère n’être jamais le titre de la carte définitive. C’est pourquoi on les appelle des “titres de travail” puisqu’ils les changent ensuite pour des questions de confidentialité. On connaît aussi le type de la carte, si c’est une créature, un planeswalker ou si c’est une mythique, ce qui nous permet d’en connaître la rareté. Par contre, nous n’avons aucune information sur la mécanique de jeu parce que ce sont des données confidentielles au moment où nous travaillons dessus. En effet, nous travaillons sur l’illustration de la carte à peu près un an avant sa sortie. Pour pallier à ce manque d’informations, nous avons droit à un texte explicatif qui nous dit à quel endroit ça se passe. Par exemple, avec “Serra” il y a un environnement avec des bâtiments derrière pour faire deviner Dominaria. Il fallait suggérer Dominaria avec les bâtiments flottants en arrière-plan.
Ensuite on nous dit de représenter un personnage en particulier. S’il doit faire quelque chose comme lancer un sort ou manier une arme quelconque, on nous le dit. Si on reprend l’exemple de “Serra”, on m’a simplement dit de la montrer dans toute sa gloire, c’était aussi succinct que ça.
Enfin, on nous dit sur quoi on doit mettre l’accent, si c’est sur le personnage, sur l’action ou le sort et on nous donne l’ambiance/atmosphère, s’il faut que ce soit badass ou effrayant. Avec tout ça, nous avons déjà les prémices de ce que sera la mécanique mais sans n’en savons pas plus. Magic change à la fin le texte d’assignation pour que ça corresponde au mieux à la mécanique de jeu.
Ils nous fournissent également des supports graphiques. Pour chaque plan de Magic, il y a une bible graphique qui fait souvent au moins 300 pages de référence de concept art spécifiquement réalisée pour chacun des plans. Ainsi, il vont pouvoir nous renvoyer à une page précise pour que l’on s’inspire d’un costume ou d’une armure, pour que l’on voit comment sont faits les décors. C’est ça qui va assurer la cohérence entre tous les illustrateurs alors que nous travaillons tous séparément et que nous devons aboutir à une cohérence graphique pour une extension.
"C’est donc grâce à cet énorme corpus d’illustrations que vous arrivez à maintenir une cohérence."
C’est plus que des illustrations. Quand le plan existe déjà depuis longtemps, il vont y inclure les dessins d’anciennes cartes mais en réalité ce sont des concept art qui sont faits spécialement par certains artistes de Magic pour déterminer ce à quoi ça peut ressembler.
C’est une bonne question. Je pense que pour Ikoria, ils avaient déjà leur thématique du méga-monstre et qu’ils ont construit à partir de là quelque chose. Je pense que c’est comme ça qu’ils ont procédé.
Pour donner un exemple, je fais aussi du concept art pour Magic. Je fais partie des artistes qui vont faire certaines bibles graphiques pour les autres et, à chaque fois, on va nous donner une direction artistique. J’ai ainsi réalisé des concept arts pour le retour sur Ravnica il y a deux ou trois ans et la dernière extension qui s’est passée sur Theros. On va d’abord nous indiquer quelle est la nouvelle orientation à suivre. Qu’est-ce ça va apporter de plus ? Quelle va être la nouvelle thématique ? Pour Theros, la thématique était le monde souterrain. On nous a dit que l’on allait commencer à réfléchir sur l’aspect négatif de Theros. On a donc travaillé sur ce monde souterrain ainsi que celui du monde des morts. On nous a ensuite donné des références de la Grèce antique et on nous a demandé d’y apporter une touche un peu plus gothique, plus onirique. Mais tout ça reste un aspect assez spécifique du travail chez Magic. C’est encore autre chose.
Ce que je constate souvent et c’est assez intéressant, notamment quand je parle avec les joueurs, c’est qu’ils ne savent que peu de choses sur la conception de Magic. Je me souviens quand les artbooks sortaient, ils plaisaient beaucoup aux gens parce qu’ils avaient un petit peu accès aux coulisses. Beaucoup de monde se demande comment une carte est réalisée et c’est normal. Nous, les artistes, on en parle pas trop parce que c’est notre quotidien. Ça nous paraît normal de ne pas préciser à chaque fois comment elles sont créées, bien que ça intéresse beaucoup les joueurs. Par exemple, ils ne savent pas que les cartes sont faites si longtemps en avance. Une autre idée reçue, c’est que les joueurs croient qu’on choisit les cartes que l’on veut illustrer. Ils croient que je demande à Magic de ne dessiner que des femmes, mais ce n’est pas dans ce sens-là que ça marche. C’est Magic qui décide de me faire dessiner des femmes. Je ne choisis absolument pas ce que je vais faire pour eux.
Pour donner une idée de comment ça marche, les assignations de cartes se passent par vagues toutes les six semaines. Toutes les six semaines, nous travaillons sur quelque chose de nouveau et notre directeur artistique nous écrit pour nous demander combien de cartes nous allons prendre dans cette vague. Nous lui disons le nombre de cartes que l’on veut, et ensuite, c'est comme au loto. Nous ne savons pas ce que nous allons avoir. Ce sont les directeurs artistiques, qui sont très pointus chez Magic et qui nous connaissent très bien, qui nous assignent des cartes en fonction de nos forces, de nos faiblesses et de ce pour quoi on est vraiment convaincants.
Ils choisissent le bon illustrateur pour le bon truc. C'est ce qui fait que les cartes sont sympa à regarder. Ça ne m’est jamais arrivé, mais si vraiment ils me donnaient un truc que je ne me sens pas du tout de dessiner, je crois qu’on changerait ma carte, mais ce n’est pas le cas. Tout ça pour dire que non, nous ne choisissons pas nos cartes.