Absolument. Je suis toujours contente quand on me pose cette question parce que c’est très important pour moi. Il n’y a pas de féminisme échevelé de ma part derrière ça. Néanmoins, en regardant l’ensemble de mes cartes, on peut constater que Wizards me donne à faire beaucoup de figures féminines et je le fais de bon cœur. Quand on travaille pour une licence comme celle-là, il y a une forme de responsabilité sur la façon de représenter les femmes, tout comme les hommes, les différentes ethnies, etc... Mais, concernant les femmes, il y a eu une espèce de point d’achoppement dans leur représentation en fantasy en général où l’on est resté pendant très longtemps bloqué sur une représentation féminine un petit peu vieillissante, qui avait fait son temps.
Ça tient aussi beaucoup au fait que l’illustration est un milieu très masculin, notamment Outre-Atlantique. Je pense que si on devait faire une statistique dans l’illustration de fantasy à haut niveau, la majorité serait des hommes. Or, les hommes, et c’est tout à fait normal, ont leurs influences qui se sont construites sur les comics et sur l’heroic fantasy des années 80 et 90. L’image de la femme était ce qu’elle était, qu’on l’aime ou que l’on ne l’aime pas.
Pour donner un intitulé générique, même si on sait que c’est plus complexe que ça, ce serait la guerrière en bikini de métal.
C’est tout un art que la guerrière en bikini de métal maîtrise, celui de savoir où prendre les coups ! Mais à un moment, je pense qu’il faut que ça évolue. Non pas pour des questions de féminisme, mais parce que cette image me semble dépassée. Lorsque l’on dessine des femmes fortes, et par là, je pense que l’on veut surtout dire des femmes crédibles, qui peuvent être tout aussi crédibles que leur homologues masculins ou anthropomorphiques.
Il y a également encore un stade à dépasser, un cap à franchir par rapport à l’âge. C’est bien d’avoir pris comme exemple Jaya et Oviya parce que les vieux en fantasy sont souvent des vieux qui touillent leurs chaudrons ou de vieilles sorcières recluses et percluses d’arthrite dans un arbre creux. Au bout d’un moment, ça suffit.
C’est pour ça que Jaya et Oviya étaient des assignations super, notamment Jaya. C’est un personnage qui existait déjà mais qui devait avoir une apparence avec beaucoup d’années en plus, et on m’a dit de bien faire attention à la dessiner de manière badass. Je leur ai dit que c’était formidable et que c’était une excellente idée. Parce que pourquoi pas ?
En plus, quand Jaya est sortie, les gens étaient ravis. C’est un tort de penser que les gens n’aiment qu’une seule catégorie de héros. Au contraire, ils aiment qu’on leur donne ce qu’ils n’attendent pas, mais aussi ce qu’ils ne voient pas tout le temps. Donc, des personnages plus âgés ou pas très athlétiques sont très bien reçus lorsque c’est bien fait.
*Oui. Surtout qu’il est possible de créer cette diversité dans Magic. Souvent, je constate en travaillant pour d’autres clients que l’on a encore du mal à se départir d’une image de la fantasy extrêmement stéréotypée. *Grâce à mon travail chez Magic, j’ai pu explorer et oser beaucoup de choses. Alors quand je propose un personnage fantasy un peu différent à d’autres maisons d’édition et que l’on me répond “ ah mais non, est-ce que tu pourrais faire quelque chose d’un peu plus classique ?”. Je me dis qu’il y a encore du progrès à faire.
"Ils ont peut-être peur que le public ne suive pas."
À mon sens, c’est une espèce de réflexe d’anticipation qui est un peu erroné sur ce que le public pourrait aimer ou pas. Petit à petit, ça avance, mais c’est au compte-goutte.
"Le principal, c’est que ça avance. Grâce à des compagnies comme Wizards of the Coast qui montrent que ça existe et que ça marche."
Oui, parce que ce sont de grosses vitrines. Elles permettent d’en influencer d’autres.