« Deux millions de cashprize pour ça ? », pouvait-on voir repris en chœur par les esprits les plus dubitatifs, au moment de zyeuter le fil de discussion de la WebTV d’1PVcs, hier soir. Il faut dire que le spectacle proposé par des Mad Lions blafards, et une équipe d’Havu inconstante, avait de quoi faire réagir. Et puis, d’ailleurs, rien que cette affiche entre les 12èmes et 30èmes mondiaux : était-elle vraiment assez intéressante pour attirer la masse des Français fans de Counter-Strike, confinés pour cause de Covid-19 ? Pas vraiment, soyons honnêtes.
Toujours est-il qu’il fallait s’y attendre. Après tout, le projet initialement nommé B Site League va avoir besoin de temps pour s’affirmer, faire ses preuves et convaincre. Propriété de huit clubs plus ou moins prestigieux, Flashpoint est la parfaite traduction du ras-le-bol des structures sur la scène CS:GO. Lassées du monopolisme - entre autres - de l’ESL et du peu de revenue sharing obtenu jusqu’ici dans un écosystème aux allures de jungle, elles ont décidé d’agir, et de mettre sur pied un projet idyllique.
La souveraineté par les clubs, pour les clubs
Récemment, dans l’esport, le mot franchise est devenu un terme parfois fourre-tout pour évoquer les ligues fermées - liées souvent entre elles par un ticket d’entrée payant - qui ont vu le jour ici et là, sur une multitude de disciplines.
Overwatch League, CoD League, LEC et LCS (pour ne citer qu’eux) sur League of Legends, ESL Pro League sur Counter-Strike… Les formats sont divers et variés, mais la finalité est la même : un éditeur de jeu compétitif ou un organisateur de tournois se charge de produire des championnats, les clubs y alignent leurs joueurs, bénéficient d’un droit de regard (normalement) sur les décisions importantes, et obtiennent également une part des bénéfices économiques réalisés par ladite ligue.
En principe, le modèle est censé apporter un cadre sain et de la stabilité à des compétitions d’esport, avec un partage plus ou moins « gagnant-gagnant » des bénéfices dégagés, entre joueurs, clubs et organisateurs ou éditeurs. Sauf que bien souvent, cela se traduit - grossièrement - par un système pyramidal où les structures qui embauchent les esportif professionnels se retrouvent en bas et sont les dernières à réellement poser un croc dans l’une des parts du gâteau.
Comme un pavé dans la marre, la mise en place de Flashpoint - une ligue entièrement conçue et détenue par des clubs - sur CS:GO, s’apparente ainsi à une énorme révolution. Plus loin que le cadre de Counter-Strike, c’est le monde de l’esport dans sa globalité - et plus particulièrement les organisations esportives - qui devrait scruter les moindres faits et gestes de cette ligue produite par Face It. Avec ses résultats en termes d’audience et d’économie, en tout premier lieu. Parce qu’elle a de l’ambition, tout en faisant passer les équipes avant le reste. Et qu’il serait par conséquent potentiellement intéressant de s’y placer dans le futur.
Des forces non négligeables
Il faut savoir que plusieurs tendances positives sont venues garnir le développement de ce projet qui a coûté la modique somme de 2 millions de dollars à chacun de ses fondateurs. Des raconteurs d’histoire de qualité, déjà : Duncan « Thorin » Shields, en tant que directeur créatif et animateur, et puis Christopher « MonteCristo » Mykles, Auguste « Semmler » Massonnat, Dan « DDK » Kapadia, James Bardolph, Freya Spiers, et quelques autres grands noms du cast des compétitions esportives.
De quoi développer - en théorie - un storytelling puissant, l’un des objectifs premiers assumés par Flashpoint pour se démarquer des autres. De manière anecdotique, on pourra souligner également le recrutement d’un ancien écrivain de la WWE (Catch américain), histoire de scénariser un peu la ligue au travers de ses joueurs et créer des situations cocasses de trashtalk, de rivalités et de bons vieux dramas.
Autre point fort de Flashpoint : avoir rassemblé trois rosters danois (MAD Lions, les ex-Heroic et Copenhagen Flames) en son sein, sachant qu’un contrat de droits TV avait été signé en amont avec la chaîne TV2 Danemark. Malinx, le lynx. Mais aussi la participation de Gen.G Esports et FunPlus Phoenix, deux structures iconiques du marché asiatique, dont la présence pourrait sûrement permettre de gratter quelques vues au niveau de l’audience.
Enfin, le fait d'avoir laissé plusieurs places ouvertes à la qualification dans la ligue - sans pour autant devenir actionnaire et en tirer des avantages - reste par ailleurs un autre bon point qu'il faut souligner.
2 millions, et pas de son
Sur le papier, Flashpoint semble bien pensé et a eu le mérite de faire fortement douter l’ESL, obligée de revisiter le format et l’écosystème de sa Pro League, dans le but de se rabibocher partiellement avec toutes les organisations qui commençaient à en avoir assez d’être les dindons de la farce. Pourtant, cela ne veut pas forcément dire que le conte Flashpoint se terminera par un mariage sans divorce et une vie heureuse pour tous ses acteurs.
Déjà parce que le poids des attentes s’avère énorme. À elle seule, la situation des problèmes de sons survenue lors de la journée inaugurale résume parfaitement ce sentiment de pression. Il n’aura fallu que quelques secondes de match sans l’ambiance sonore du jeu pour que les jokes commencent à pleuvoir. « Un slot à 2 millions de dollars, et ce n’est pas foutu d’avoir du son » : voici le constat amer rapidement repris à toutes les sauces, montrant très clairement que Flashpoint n’aura pas le droit de gaspiller beaucoup de cartouches si elle souhaite conserver sa crédibilité.
D’autant plus que cette ligue des clubs part avec une bataille déjà perdue face à la géante ESL dans sa besace. Celle de la compétitivité, puisqu’aucune des dix meilleures équipes mondiales actuelles ne figure au rendez-vous de Flashpoint. Pire, seulement trois parmi les vingt meilleures sont inscrites, quand toutes les autres seront bel et bien présentes dans les starting-blocks de la Pro League.
De manière comptable, cela risque d’entraîner Flashpoint dans un cercle vicieux où le manque de grosses écuries - et donc de niveau - provoquera un manque de visibilité et d’audiences, qui à leur tour entraîneront la non-venue d’équipes du gratin mondial. Autrement dit : Flashpoint aura beau mettre en place un excellent écosystème pour ses clubs-investisseurs, si les plus grosses écuries restent fidèles à ESL, et que l’ESL a ainsi plus de marge de manœuvre auprès des sponsors grâce à sa puissance de frappe, alors les équipes continueront d’aller chez ESL.
Vous avez dit laboratoire ?
Ce qui remet sur la table la viabilité d’une ligue comme Flashpoint, c’est donc qu’elle est aujourd’hui considérée par les observateurs comme une ligue dite du « tier 2 ». Intéressante pour sa construction, son idéologie, mais quasiment inintéressante pour la « moindre » qualité de jeu, et donc de spectacle, proposée par ses équipes.
À raison de deux saisons par an, pour un cashprize de 2 Millions de dollars annuel, Flashpoint devra faire bonne figure et surtout pousser certaines équipes engagées dans l’ESL Pro League à franchir la barrière et venir grossir ses rangs, plutôt que ceux du concurrent. On pensera, à titre d’exemple, à une structure comme OG, qui n’a pas été prise en compte dans le partenariat de l’ESL avec 13 équipes de renommée internationale. Mais aussi tous les mastodontes mondiaux qui seraient intéressés par l’idée de rejoindre une ligue conçue comme stable et plus ou moins innovante sur CS:GO.
Les enjeux principaux entourant Flashpoint seront ainsi de savoir si ce bout de rêve porté par plusieurs structures sera capable de rayonner assez pleinement dans le futur pour récupérer les 14 Millions de Dollars largués. Et attirer des nouvelles (grosses) têtes. Cela passera forcément par de l’innovation, de la patience, des droits TV finement négociés et une attraction forte par rapport aux sponsors. Par de l’audience, finalement, comme bien souvent dans l’esport. Mais surtout par le sentiment de devenir plus qu’une simple compétition qu’on regarde du coin de l’œil avant le coup d’envoi de l’ESL Pro League…