Que les élitistes rangent tout de suite leurs fourches +4, il ne sera pas question dans cet article de prendre le moindre parti pour l'une ou l'autre vision du monde-ouvert proposée par ces jeux, bien au contraire. Dans les quelques paragraphes qui suivent, nous allons voir comment Elden Ring et Horizon Forbidden West sont deux expériences qui se complètent parfaitement, tant elles sont diamétralement opposées. Et vous savez quoi ? On va même pas citer Zelda Breath of the Wild dites-donc.
Deux mondes ouverts que tout oppose
Horizon Forbidden West
Développé par Guerrilla Games dont c'est le second open-world du genre, HFW est ce qu'on pourrait appeler vulgairement un OW à "to do list". En son sein, vous naviguerez de point d'intérêt en point d'intérêt afin de vider la carte de tout ce qu'elle a de consistant à offrir. En plus des quêtes secondaires classiques et des différents types de défis très courants dans ce type de format, vous aurez également le droit à des énigmes et à des phases de recherche qui vont vous demander d'exploiter toutes les capacités et tous les outils de Aloy. En résumé, l'Ouest Prohibé aurait très bien pu être la carte d'un Far Cry barré à la Primal. Heureusement, Forbidden West peut compter sur son excellent bestiaire, la panoplie de mouvements ébouriffante de son héroïne et sur sa technique rutilante pour s'extirper de la masse de mondes-ouverts "à la Ubisoft".
Elden Ring
Alors oui, Elden Ring est le premier véritable monde-ouvert "intégral" de From Software, mais cela fait depuis Dark Souls premier du nom que l'on sent les ambitions démesurées des équipes de Miyazaki dans le domaine. Après des années d'attente, les joueurs peuvent enfin nous balader en Entre-Terre et profiter de ses innombrables appels à l'aventure. Le gameplay ? C'est celui de Dark Souls 3. La technique ? Elle n'est pas totalement à la hauteur de ce que peuvent nous offrir les supports actuels. Qu'à cela ne tienne, la claque est tout de même là et bien là. Parce que les équipes de FS font montre d'une maitrise insolente en termes de level design et qu'ils ont réussi à rendre leur expérience plus accessible sans trahir à aucun moment le fameux "esprit des Souls". Un jeu dont on parlera encore dans 10 ans, à n'en point douter, mais qui n'est pas non plus exempt de défauts (et en vérité ce sont quasiment les mêmes depuis le premier DS).
Challenge et accessibilité
Oui, Elden Ring est un jeu plus exigeant que la moyenne et oui, il est tout à fait possible d'en voir le bout sans être un pro du pad. Si vous n'êtes pas habitué aux jeux From Software, il y a peut-être cette barrière un peu intimidante de la difficulté, exacerbée par les réseaux sociaux et les avis de joueurs immatures qui souhaitent rester "entre initiés". Et puis les jeux durs, c'est un peu le fond de commerce de Miyazaki et sa clique, il en faut tout autant que des titres axés très grand public. En tout cas force est de constater que le studio japonais a mis les bouchées doubles afin de se rendre plus accueillant pour le quidam, grâce à une démultiplication de sous-systèmes tout à fait annexes, mais qui peuvent aider à surmonter les défis les plus douloureux du jeu. Globalement, l'équilibrage est aux fraises complet et il est possible de se trouver des compétences qui devraient vous porter jusqu'au Cercle d'Eden très rapidement en explorant efficacement. C'est comme ça qu'il faut appréhender ER : votre capacité à exploiter le monde de l'Entre-Terre va se révéler être aussi important que vos compétences au combat... Du moins dans ses deux premiers tiers.
Horizon 2 aborde le challenge de manière bien plus convenue, avec une sélection de 4 modes de difficulté qui vont de facile à très difficile. Et pour le coup, il y a un réel souci d'équilibrage entre ces différentes options, surtout si vous venez du premier épisode (ce qui devrait logiquement être le cas). Si vous avez déjà joué à quelques jeux d'action, alors le mode normal de HFW devrait vous laisser dérouler son récit sans que vous ne soyez jamais inquiété par les menaces qui vous feront face. De base, il faut passer en mode difficile pour un peu de résistance, mais pour ceux qui en veulent beaucoup sans que chaque combat n'en devienne impossible pour autant, eh bien il n'y a pas vraiment d'entre-deux. Disons que le mode très difficile est "trop" difficile pour être vraiment agréable. C'est un vrai souci sur HFW actuellement, d'autant plus dommage que ses combats sont une des plus belles attractions du coin. Le fait que le challenge ne soit pas à la hauteur ne devient problématique qu'au dernier tiers : alors que les affrontements sont censés se faire de plus en plus serrés, Aloy sera devenue une véritable machine de guerre que rien n'arrête entre-temps et ce, même sans avoir retourné les nombreuses activités annexes.
Mécaniques d'exploration
Dans Horizon Forbidden West tout doit aller vite et le joueur doit constamment être au courant de ce qu'il peut faire, sur quoi et comment. Du coup les développeurs ont eu la main un peu lourde sur les indications à l'écran et s'il réussit à se débarrasser de quelques marqueurs visuels disgracieux, HFW ne se sépare pas des herbes d'un rouge bien pétant (toujours les mêmes peu importe le biome) pour vous indiquer les zones d'infiltration disponibles. Tout ce balisage sert aux séquences de combat très dynamiques dans lesquelles vous devez adapter votre armement rapidement en fonction de la composition des packs de machines. Visuellement ça a beaucoup de style et manette en mains c'est très satisfaisant assez rapidement. Ces indicateurs flashy sont donc là pour une bonne raison, toutefois cela fait maintenant des années que les joueurs en mangent à toutes les sauces, une certaine lassitude pour cette surcharge cognitive permanente est tout à fait compréhensible, surtout lorsque de l'autre côté du miroir, des jeux comme Elden Ring prennent le parti de s'en tenir au strict minimum. Mais ne crachons pas non plus dans la soupe, Horizon Forbidden West propose de nombreuses manières d'exploiter sa somptueuse carte, dont les plus amusantes ne seront disponibles qu'une fois le dernier acte atteint.
Le vagabondage en Entre-Terre est bien plus scolaire si on le remet dans le contexte du genre dans lequel il s'inscrit. Par contre en tant qu'héritier de la série Souls, c'est une petite révolution, imaginez un peu : ils ont ajouté une touche dédiée au saut ! Elden Ring est bien plus scotché au sol que la moyenne des OW actuels, mais peu importe, il réussit tout de même à nous faire voyager en se reposant principalement sur son level-design d'une verticalité exemplaire, mais nous y reviendrons. Quant à Torrent, il s'agit peut-être de l'une des plus grosses nouveautés du jeu, la monture fait beaucoup de bien à l'exploration des vastes étendues de ce monde délicieusement fragmenté, d'autant que son double-saut et sa maniabilité sont au poil de yak.
Approche de la carte du monde
Là aussi on constate deux approches complètement différentes. Après une introduction très scriptée, HFW vous lâche en bordure de l'Ouest Prohibé, mais en ouvrant la carte pour la première fois et sans en avoir dévoilé un centimètre, vous allez déjà pouvoir distinguer sa forme et le point de chute final de Aloy, tout à l'ouest évidemment. Alors oui il y a des tangentes et vous ne parcourez pas littéralement le monde d'est en ouest, mais on s'en rapproche tout de même pas mal. Il faut toujours avancer, constamment, afin que vous ne ratiez aucun des sublimes biomes que les équipes ont concoctés dans les immenses régions du jeu. Ça a le mérite d'assurer un rythme soutenu à la narration malgré la structure en monde-ouvert et donc parfait pour ce que Forbidden West souhaite nous faire vivre : la suite d'une histoire "feuilleton", vouée à s'étaler au moins sur un autre épisode. On va quand même poser de sérieux bémols sur la surcharge d'icônes présentes, carrément superposées sur plusieurs niveaux de zoom tant elles sont nombreuses. De même, les grands-cous qui font office de tours de révélation de la carte ne servent pas foncièrement à grand chose, puisqu'il est possible de la "colorier" sans les pirater, eux ne font qu'afficher les activités et points d'intérêt alentours.
Quant à Elden Ring, c'est le YOLO le plus total en comparaison. La carte ne se dévoile que si vous trouvez le bon objet dans votre secteur, vous serez souvent amené à aller et revenir dans les zones pour tenter de suivre des fils de quête secondaires qui ne sont indiqués absolument nulle part, on en passe et des meilleures. Les icônes de points d'intérêt ne s'affichent qu'une fois que le joueur les a découverts et il est tout à fait recommandé de placer ses propres médaillons un peu partout si vous comptez vous y retrouver un minimum. C'est tout de suite moins accueillant, mais la sensation d'être perdu dans un monde immense qui nous est totalement inconnu est décuplée. De plus, comme nous le verrons un peu plus bas sur la partie level-design, l'Entre-Terre dispose de régions entières complètement annexes, parfois cachées des centaines de mètres sous terre. Il est certainement possible de faire le tour de tout ce que la carte a à offrir en un run, mais il y a quand même de grandes chances pour que vous zappiez moult donjons et boss secondaires si vous jouez sans le moindre guide.
Level-design
Hidetaka Miyazaki et ses équipes sont passés maitres dans l'art délicat du level-design et Elden Ring en est une nouvelle preuve tangible. Si ER réussit à surprendre aussi par ses combats de boss dantesques et ses points d'intérêt très variés, c'est surtout grâce à la construction de son monde que le titre va surnager au-dessus du reste de la production vidéoludique pendant un petit moment. La sensation de dépaysement, les différents biomes au sein d'une même région, les panoramas naturels qui vous incitent à la curiosité, les zones souterraines immenses cachées parfois dans de simples puits... Vous ne verrez peut-être pas tout ce que le jeu a à offrir la première fois, mais ce n'est pas le plus important : grâce à la richesse de son level-design et la densité de son contenu, le dernier From Software va vous écraser de tout son poids et vous forcer à vous secouer un minimum afin que vous définissiez vos prochains objectifs. On pourrait toujours chipoter en parlant des donjons secondaires aux corridors et au style visuel copiés-collés, mais devant la maestria du studio nippon, impossible de ne pas s'incliner bien bas.
Chez le voisin, c'est assez paradoxal, puisque le jeu offre de nombreuses manières d'appréhender le terrain, comme nous le voyions un peu plus haut, mais le fait que vous puissiez voler dans le ciel ou plonger dans les profondeurs de l'océan ne parviennent pas à masquer un level-design en définitive assez plat. Cela va de pair avec le reste du jeu, cette fameuse carte dans laquelle vous devez constamment aller de l'avant et les petits appendices annexes dédiés aux contenus secondaires scénarisés. Il y a quelques belles surprises au cours de l'aventure, mais on sent le Playstation Studio encore un peu fébrile dans ce domaine. Les tentatives d'appel au backtracking loupent souvent le coche en ne proposant pas des activités suffisamment consistantes pour nous inciter à rebrousser chemin. Quant à la façon dont est construit le monde, on sent que les développeurs ne veulent surtout pas que l'on rate tous les magnifiques assets 4K (très réussis) mis en place un peu partout : une intention louable, mais qui donne le sentiment d'être trop pris par la main à certains moments.
L'appel de la collection et l'appel de l'aventure
HFW et ER vont faire appel à des aspects bien différents de votre instinct de joueur. Dans le premier, la principale carotte sera de collecter l'ensemble des contenus réalisés par les équipes de Guerrilla. Que ce soit les journaux audio, les différents types de collectibles ou cosmétiques à glaner en récompenses de quêtes... Tout vous incite à compléter votre arsenal et à aller chercher un trophée platine qui n'est pas si compliqué à obtenir. On est toujours dans cette optique de cocher toutes les cases d'une to-do-list résumée dans les grandes largeurs dans votre journal de quêtes.
Pour le A-RPG japonais, c'est un peu différent : vous allez explorer parce qu'il s'agit d'une composante vitale du gameplay si vous voulez poursuivre votre chemin. Bon les PGM on vous met gentiment de côté, en attendant, qui ne va pas faire face à un Margit ou à Renalla sans être un minimum préparé risque de passer un sale quart d'heure. Ce n'est pas la collectionite qui va vous pousser hors des sentiers battus, mais bel et bien votre envie de surmonter des épreuves "poteaux" de plus en plus retorses et ça fait une sacrée différence sur le plaisir de jeu ressenti sur la durée. Les objets comptent : il faut les mériter et lorsque vous les obtenez, il y a une vraie sensation de récompense qui en découle, c'est quelque chose qui fait un peu défaut à l'exclusivité.
Conclusion
S'il y a bien quelque chose à retenir de ces deux sorties d'envergure à seulement une petite semaine d'intervalle, c'est qu'il en y en a plus que jamais pour tout le monde sur le marché du jeu-vidéo. Certains vont adorer se laisser porter tranquillement par l'épopée futuriste de Aloy, tandis que d'autres iront perdre corps et âmes en Entre-Terre. Certes, on commence sérieusement à avoir fait le tour de la formule de monde-ouvert proposée par Horizon Forbidden West, mais dans son genre, il s'agit sûrement de l'un des plus impressionnants disponibles à ce jour. Quant à Elden Ring, il cristallise tout le savoir faire de From Software accumulé depuis Demon's Souls : l'art de prendre à revers et de surprendre le joueur, quitte à lui coller de gros taquets pour lui rappeler que tout se mérite. C'est une philosophie qui demande plus d'investissement, certes, mais cela permet de marquer durablement... quitte à en garder quelques cicatrices.