Diablo Immortal peut être considéré comme une sortie importante pour Activision Blizzard, qui est pris dans la tourmente des scandales et des jeux ratés ces dernières années. Après un développement exceptionnellement long pour un jeu mobile (4 ans depuis son annonce), de nombreuses phases de test, on était en droit d'attendre quelque chose de peaufiné, à la hauteur des standards passés du studio. Après un 180° au dernier moment sur la version PC, le jeu est à présent sorti, et nous avons passé plus d'une semaine à y jouer intensivement, à la fois sur Android et sur PC afin de ne pas le juger à la légère.
- Genre : Action-RPG, MMO, F2P
- Date de sortie : 2 juin 2022
- Plateformes : Android, iOs, PC
- Développeur : Blizzard, Netease
- Éditeur : Activision Blizzard
- Prix : Gratuit, mais avec des achats en jeu
- Testé sur : Android et PC
Tuer avec ses doigts
Le plus grand succès de Diablo Immortal est d'avoir su porter le gameplay de la licence Diablo sur mobile et tablette. On choisit une des classes iconiques de la licence, et on saute vite dans l'action. Même pour un novice des jeux mobile, plutôt habitué au clavier et à la souris, ou à la manette, la transition est rapide et facile. On apprend vite à moissonner des hordes de démons tout en courant et en ramassant du butin de tous les côtés. Le cœur des jeux Diablo est bien présent, et on s'amuse vite, tout en suivant l'histoire principale. On est aussi libre de partir explorer la carte à la recherche de secrets et de monstres élites, ou de se laisser guider par l'histoire principale. L'équipement évolue régulièrement, on gagne aussi des niveaux et de nouvelles compétences, en bref, on passe un bon moment.
On peut voir que le jeu utilise Diablo 3 simplifié comme base, puisqu'on retrouve des tonnes d'éléments du jeu, dont sa direction artistique, ses ennemis, ses animations, et autres, le tout adapté sur mobile. Il faut dire que cela rend bien sur petit écran, et le jeu s'avère alors très plaisant à regarder et à parcourir. Le gameplay est aussi directement hérité de ce dernier, sous une forme grandement simplifiée. Ici, pas de ressource de classe, ni de points de talents, ni de runes, juste une attaque principale et 4 compétences au choix. C'est simple et facile à prendre en main, mais ceux qui aiment la personnalisation, l'expérimentation et la variété risquent d'être vite frustrés. Les objets légendaires à découvrir servent à personnaliser les compétences. Il y a bien quelques variantes en fonction du type de contenu abordé, on n'utilise pas les mêmes techniques dans les donjons, sur la carte pour farmer des monstres, ou dans un champ de bataille PvP.
Le monde de Diablo Immortal est assez petit, avec plusieurs cartes ouvertes et fixes, des donjons qui le sont aussi, et des failles aléatoires, comme on en a dans Diablo 3. Il est néanmoins assez bien rempli, avec beaucoup de monstres, des quêtes, des coffres et des activités ponctuelles comme des antres. Différentes missions, primes et contrats donnent de bonnes raisons de retourner les explorer régulièrement, ce qui permet parfois de croiser un monstre légendaire qui donne de bons objets. Des événements plus ou moins réguliers viennent aussi briser le train-train quotidien. Un autre chose que Diablo Immortal fait bien est d'offrir de nombreuses choses à faire aux joueurs dans différents domaines et de multiples façons, que ce soit en PvE ou en PvP, voire avec un mélange des deux.
L'Enfer, c'est les autres
Il ne faut pas oublier que Diablo Immortal n'est pas juste le premier jeu Diablo conçu en premier lieu pour les plateformes mobiles, c'est aussi et surtout un MMO F2P, ce qui implique de vastes changements à sa recette, ainsi que dans la manière d'aborder les choses. Les joueurs qui se lancent dans Diablo Immortal en s'attendant simplement à jouer à l'identique à un nouveau jeu de la licence premium sur écran tactile risquent de vite se rendre compte que ce n'est pas du tout le cas. Ce n'est pas trop visible durant les 20 à 30 premières heures de jeu, durant lesquelles on progresse dans l'histoire, tout en se rapprochant du niveau maximum. Il est alors possible de n'avoir quasiment aucune interaction avec les autres joueurs, et on ne rencontre alors quasiment aucune limite à sa progression, sous une forme ou l'autre.
Cela se complique avec l'introduction d'activités qui demandent forcément un groupe, comme les raids à 8 joueurs, et surtout le fait qu'à partir du niveau 60, il est impossible de lancer des donjons ou des repaires cachés en solo, il faut minimum être 2. C'est un choix de design vaguement excusable en théorie, puisque c'est un MMO et que le jeu en groupe est encouragé, mais c'est tout simplement frustrant et maladroit en pratique. On se retrouve à chercher désespérément quelqu'un pour pouvoir explorer un lieu secret, ou pour farmer son set légendaire. Et s'il n'y a personne, parce que vous jouez tard ou que vous jouez en solo, c'est dommage pour vous ! Certains joueurs se retrouvent donc forcés de monter un second personnage de niveau 60 sur un autre compte afin de contourner la limitation, mais cela ne va durer qu'un temps, et le mode de difficulté suivant va demander 3 joueurs minimum, espérons que le studio va vite revenir sur cette décision. Il y a aussi des bonus afin d'encourager positivement à jouer en groupe, comme de l'expérience et des chances de trouver du butin avec le système de troupe de guerre, mais ces fonctionnalités sont mal pensées et peu pratiques, comme pas mal d'éléments du jeu. On peut voir que Blizzard a cherché à remplir son jeu sans créer du contenu réel, comme en attestent tous les boss copiés-collés à l'identique de Diablo 3.
On a aussi beaucoup de mal à croire que Diablo Immortal ait été développé par le studio auquel on doit World of Warcraft. Les fonctionnalités liées à l'aspect multijoueur sont pauvres et peu pratiques, il est par exemple impossible d'inviter un joueur en groupe directement via son pseudo dans le chat. La gestion du groupe et des invitations sont aussi un peu bancales, avec des invitations sauvages qui apparaissent au milieu de l'écran et qui vous empêchent de jouer, surtout à la manette, ce qui peut provoquer des morts. Ironiquement, l'aspect joueur contre joueur du jeu, qui peut être considéré comme le véritable contenu de haut niveau de Diablo Immortal, ne permet pas de s’inscrire en groupe. Si vous aimez vous retrouver avec vos amis et les membres de votre clan comme adversaires dans les champs de bataille façon MOBA, vous allez être servis. Il faut se tourner vers les activités de clan, avec la guerre de faction entre les Ombres et les Immortels afin de jouer en groupe et avoir droit à du PvP organisé. C'est néanmoins une activité réservée aux joueurs les plus actifs, dotés d'un clan compétitif et ambitieux, et ce n'est probablement pas quelque chose que les joueurs occasionnels vont expérimenter. Cela se limite aussi à une poignée de bataille par semaine, dans le meilleurs des cas.
Dans Diablo Immortal, les zones du monde sont peu nombreuses, et certaines sont bien plus intéressantes que d'autres. On retrouve donc le même problème que dans bien des MMO, avec des cartes surpeuplées, et il est parfois difficile de trouver des monstres et des coffres, ce qui dégrade grandement l'expérience de jeu lorsque le thème central est censé être la possibilité de tuer des centaines de monstres à la chaîne. Le fait que les cartes disposent d'une version par mode de difficulté, ce qui sépare les joueurs, est une bonne chose, mais ce n'est clairement pas suffisant.
Slow MMO
Comme nous l'avons mentionné, Blizzard a multiplié les occupations et les moyens de progression dans Diablo Immortal, ce qui s'avère parfait pour les joueurs sur mobile qui ne peuvent se permettre que de petites sessions de jeu. Terminer un donjon ou une prime ne demande que quelques minutes, idem pour faire un tour de la carte. Le codex, ainsi que les récompenses ponctuelles, encouragent d'ailleurs vivement à varier les activités pour un rendement maximum, plutôt que de se limiter au farming de mobs bête et méchant à l'ancienne. Cela évite de se lasser, et c'est assez satisfaisant en se limitant à quelques heures de jeu par jour au maximum. Mais cela se transforme rapidement en une source importante de frustration pour les joueurs plus engagés aux sessions de jeu prolongées. En effet, Diablo Immortal va alors faire de son mieux pour ralentir les joueurs de façon plus ou moins évidente. Par exemple, beaucoup de sources d'équipement et de matériaux sont limitées quotidiennement. Vous ne pouvez trouver qu'un certain nombre de gemmes par jour dans les repères cachés de la carte, il en va de même pour les récompenses de quêtes aléatoires.
On finit par rencontrer des coffres de récompense quasiment vides, et ce n'est qu'un exemple. Diablo Immortal reprend et adapte le système de niveaux de Parangon de Diablo 3 : l'expérience est encore utile au niveau maximum, elle débloque des points à placer dans différents bonus passifs. Sur le papier, cela permet d'occuper et de récompenser les joueurs. Mais afin d'éviter que les plus gros joueurs ne prennent trop d'avance sur les autres, le ratio d'expérience est basé sur le niveau du serveur, et ceux qui ont un niveau au-dessus se voient de plus en plus bridés sur ce point. Le fait que le déblocage des niveaux de difficulté supérieurs, et donc de meilleures pièces d'équipement, soit basé sur le niveau de Parangon, force les joueurs à attendre que le serveur progresse assez. Devoir attendre 6 mois et plus au lancement du serveur avant de pouvoir s'aventurer dans le mode de difficulté maximum n'est pas plaisant. En contrepartie, les joueurs occasionnels, ou ceux qui démarrent le jeu plus tard, ont droit à des bonus d'expérience massifs, ce qui leur donne la capacité de rattraper le peloton de tête.
Macrotransactions
Le moment est venu d'aborder ce qui fait tant jaser depuis quelques jours, même si tous ceux qui se sont intéressés au jeu avant sa sortie l'avaient annoncé depuis longtemps, comme c'est notre cas dans notre dossier sur l'aspect Pay to Win (P2W) du jeu. Diablo Immortal étant un jeu gratuit, alias Free to Play (F2P), le studio et l’éditeur doivent bien faire rentrer de l'argent d'une façon ou l'autre. Alors que certains jeux se limitent presqu'exclusivement aux éléments cosmétiques payants, comme Path of Exile, Diablo Immortal est beaucoup plus agressif dans ce domaine. Outre les éléments cosmétiques, la boutique propose de nombreux packs et services en échange d'argent réel. Un des reproches légitimes qui peuvent être faits touche à l'aspect pernicieux de la boutique et de ses transactions, qui reprennent les pratiques manipulatoires des pires jeux mobile. Les premières offres sont très modestes et attrayantes, qu'il s'agisse du Passe de combat à seulement 5 euros ou du premier pack d'objets, qui ne peut être acheté qu'une seule fois, à moins d'un euro.
Mais les choses dégénèrent vite. Pour commencer, tous les achats sont liés à un unique personnage. Si vous souhaitez monter une seconde classe, ou tout simplement changer de serveur pour rejoindre vos amis, il faudra reprendre de zéro et tout acheter à nouveau. Et même si ce n'est pas le cas, les prix augmentent petit à petit, on passe d'un euro à deux, puis à cinq, dix, vingt, trente, cinquante, puis finalement cent euros pour une poignée de jetons à utiliser dans le gacha de Diablo Immortal : les failles ancestrales. Le système est rendu volontairement indirect afin de camoufler l'aspect parfaitement similaire aux jeux d'argent et aux addictions qui les accompagnent. Les gemmes légendaires disposent de différent niveau de qualité et de rareté, et les opportunités d'en obtenir sont aussi rares que limitées pour les joueurs qui ne payent rien (même si elles existent). Pour un joueur qui ne veut pas attendre des mois, voire des années, pour obtenir ses gemmes légendaires, la boutique est un raccourci. Et s'il n'obtient pas ce qu'il veut après avoir dépensé un peu, le jeu l'encourage à dépenser plus. Les packs uniques, qui ne peuvent être achetés qu'une fois pour donner bonne conscience aux joueurs, sont ensuite remplacés par d'autres pack moins rentables qui prétendent aussi être uniques, et qui reviennent après quelques jours. Il semble que tous les efforts de développement qui auraient dû partir dans l'interface des menus du jeu aient été investis dans la boutique à la place.
L'Enfer est pavé par la monétisation
L'obtention et l'amélioration des gemmes légendaires est aussi un projet de grande ampleur et au long terme, qui est disproportionnément difficile par rapport à tout le reste. Même plusieurs centaines d'euros ne vont pas vous mener loin, et il semble aussi que le prix requis pour tout améliorer au maximum se rapproche de celui d'un bien immobilier en province. Il est indéniable que les gemmes légendaires représentent un gain massif de puissance pour les joueurs, et il ne fait aucun doute que ceux qui vont débourser de grosses sommes pour les obtenir et les améliorer vont être bien plus performants que les autres en PvE, ainsi qu'en PvP. Néanmoins, il ne faut pas se focaliser uniquement sur les prix délirants de la monétisation, mais aussi sur l'expérience de jeu pour les joueurs qui ne déboursent pas un centime, ce qui devrait être le cas d'une bonne partie de la communauté. Dans ce contexte, Diablo Immortal est un bon jeu pour les joueurs gratuits, qui ne va pas les brider, puisqu'il n'y a pas de barre d'énergie, ni d'obstacle à leur progression. Tant que vous n'espérez pas être compétitif et dominer votre serveur, il n'y a aucun problème et vous devriez pouvoir vous amuser. On notera tout de même les manipulations de Blizzard pour inciter les joueurs à payer, puisqu'un coffre de récompense gratuit est disponible tous les jours dans la boutique payante, au milieu des packs premium, afin de vous rappeler constamment que sortir la carte bancaire peut vous aider.
Version PC
Officiellement en bêta, la version PC de Diablo Immortal ne mérite effectivement pas d'être traitée comme un jeu développé par un gros studio. Elle donne l'impression d'avoir été développée dans l'urgence, quelques mois avant la sortie. Outre les nombreux bugs présents, l'interface n'est absolument pas conçue pour être utilisée sur PC, puisque même le scroll de la souris n'est pas géré dans les menus. Se servir de la manette n'est pas non plus pratique, et il faut l'utiliser en combinaison avec le combo souris et clavier pour s'en sortir. L'optimisation du jeu est aussi ridicule que les microtransactions, puisqu'il est par exemple impossible de choisir une résolution pour l'affichage, une option pourtant déjà proposée par Diablo 2 il y a plus de 20 ans.
On se retrouve donc avec une résolution imposée, ultra-zoomée, comme sur un mobile. Forcément, c'est bien moins sexy sur un écran 4K, et le jeu est alors tout simplement hideux, certaines textures sont pauvres, les détails sont minimaux, les modèles des personnages et des monstres sont grossiers. Même Diablo 3, sorti il y a une décennie, est bien plus beau, sans oublier qu'il est aussi plus agréable à jouer, mieux pensé et plus complet, après tous ses patchs. Le pire dans l'histoire est que même le champ de vision est tronqué, y compris chez les heureux possesseurs d'écrans ultra-larges. On aurait pu penser que comme les écrans des téléphones sont bien plus larges, l'expérience sur PC serait plus agréable avec un écran aux proportions similaires, mais ce n'est pas le cas. De vilaines bandes noires latérales viennent obstruer le champ de vision. La cerise pourrie sur le gâteau sec, pour les joueurs PC, est certainement le fait que même en faisant les achats via Battle.net, donc sans la commission d'Apple ou de Google (respectivement 27% et 15%), les prix sont inchangés, bien entendu.
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