Ghostwire Tokyo est un pari osé de la part de Tango Gameworks et Bethesda, imposer une nouvelle licence n'est pas facile, et proposer un monde ouvert peut facilement se transformer en piège, à présent que le grand public s'est lassé de la recette paresseuse des Far Cry, et qu'il a goûté à celle d'Elden Ring. Comme nous allons le voir, ce jeu risque de se transformer en exemple moderne de pourquoi il vaut parfois mieux proposer un jeu plus linéaire avec un gameplay et une expérience de jeu solide, plutôt qu'un vaste monde bancal.
- Genre : FPS, Action-Aventure, Monde ouvert
- Date de sortie : 22 mars 2022
- Plateformes : PS5, PC
- Développeur : Tango Gameworks
- Éditeur : Bethesda
- Prix : 59,99€ sur PC, 69,99€ sur PS5
- Testé sur : PS5
Affaire à suivre
Contrairement à The Evil Within, l'ambiance de Ghostwire Tokyo n'est pas horrifique mais surnaturelle. L'aventure commence d'une manière un peu abrupte. Akito, notre jeune protagoniste, est sur le point de mourir d'un accident de la route, et un mystérieux esprit du nom de KK possède son corps, ce qui lui sauve la vie. Il s'en suit une catastrophe surnaturelle qui affecte Tokyo et fait disparaître quasiment tous ses habitants dans la brume. Des yokaïs ainsi que d'autres entités surnaturelles émergent alors pour prendre possession des lieux. Un grand méchant masqué mégalomane et responsable évident du phénomène commence alors à débiter sa propagande sur les écrans géants du quartier Shibuya, dans lequel l'aventure va se dérouler. La cohabitation entre Akito et KK ne se déroule pas très bien au départ, mais leurs interactions sont sans le moindre doute le point fort du jeu et de son histoire. Cela offre une forme de narration naturelle, et les doublages en japonais comme en français sont de bonne qualité.
L'histoire prend malheureusement vite du plomb dans l'aile, il faut avoir fait le roman graphique Ghostwire Tokyo Prelude - The Corrupted Casefile pour comprendre un peu les relations entre les personnages et leurs motivations. Et cela n'efface pas le fait qu'on tombe vite dans les clichés du genre, avec un Akito orphelin, dont la petite sœur malade est à l’hôpital. Par un étrange coup du sort, elle est la seule à avoir été épargnée par la brume et notre grand méchant l'enlève afin de s'en servir pour son rituel. La suite de l'histoire n'est pas plus convaincante, et elle tente un peu trop fort de nous plonger dans le thème du deuil, sans jamais être parvenu à nous toucher émotionnellement. Il est difficile de s'attacher à des personnages sans visage, ou qu'on a croisé que deux fois entre deux bagarres. De leur côté, les dialogues entre nos deux protagonistes perdent vite de leur fraîcheur, puisqu'ils sont à la fois trop fréquents et peu variés. KK a demandé des dizaines de fois à Akito s'il est croyant par exemple, ce qui brise l'immersion au passage.
Stone ocean
La première heure de jeu est plutôt linéaire mais pas désagréable, puisqu'on découvre ce monde à la fois familier et inconnu qu'est Tokyo vidé de ses habitants et plongé dans une brume dévoreuse d'âme, avec des rues très réalistes, dénuées de vie, en étant accompagnés d'excellentes musiques d'ambiance. Sortir des sentiers battus siphonne la vie d'Akito rapidement, mais au fil de sa progression, avec la découverte de nouveaux pouvoirs spirituels, et après la purification de portes shintô, des sections plus ou moins importantes de la ville vont alors être ouvertes à l'exploration, avec une carte finale d'une taille respectable. Ces deux éléments restent liés durant les premiers chapitres du jeu. Partir en exploration et complètement oublier l'histoire est difficile, du moins au départ, puisque l'environnement urbain reste assez dense, et d'une taille imitée. Les lieux sont assez fidèles à l'original, et l'ambiance surnaturelle et très réussie, mais nous avons vite déchanté après être parti en balade. L'objectif qui consiste à sauver les 240 300 habitants du quartier transformés en esprits s'avère encore plus pénible à accomplir qu'il en donne l'air. En effet, le jeu nous offre l'habituel scanner magique, redouté des joueurs depuis Mass Effect Andromeda et Horizon Zero Dawn premier du nom, celui qu'on doit spammer continuellement afin de ne rien rater dans son environnement. C'est alors qu'on en vient à une terrible réalisation : il y a des esprits et des objets absolument partout.
Les esprits sont regroupés par paquets de 100 à 750, et ils sont encore plus nombreux que les sacs-poubelles dans les rues de Marseille durant une grève des éboueurs, puisqu'il y en a aussi dans les allées, les souterrains, et même sur les toits des immeubles. Le problème est que les ramasser ne se limite pas à presser une touche en passant à proximité, il faut quelques secondes pour aspirer chaque groupe individuellement, avec une étape supplémentaire et une sorte de QTE basé sur les mouvements au pad, ce qui demande quelques secondes de plus. Comme si ce n'était pas suffisant, cela va remplir vos talismans qu'il faudra ensuite aller transférer en lieu sûr depuis une cabine téléphonique. Oui, il y a plein de cabines téléphoniques dans Tokyo, c'est certainement l'élément le plus surnaturel du jeu, et ce qui semble avoir inspiré son titre en passant. Quand le nom du jeu vient de l'activité la plus ennuyeuse possible, ce n'est pas bon signe. En récompense, on obtient de l'expérience et de l'argent. Un compteur et des dialogues nous aident aussi à suivre la progression du sauvetage de la population, tout en donnant la fausse impression que cela accomplit quoi que ce soit en termes d'histoire. Bien entendu, il est possible d'ignorer ces esprits, mais dire qu'ils vont brouiller votre scanner par leur simple nombre n'est pas une exagération, ce qui donne envie malgré tout de nettoyer la zone pour y voir plus clair, même si c'est aussi fun que passer l'aspirateur.
Mais ce n'était que le début de nos peines, et presque toutes les activités du monde ouvert consistent à retrouver des collectibles en faisant usage du scanner, quand on vous disait que le nettoyage des esprits s'imposait. Que ce soient des dizaines d'objets mondains à livrer à des marchands, des statuettes jinzo auprès desquelles on peut augmenter ses munitions, ou des tanukis transformés en mobilier urbain, on a l'impression de passer son temps à chercher des pixels bleus de la bonne forme à travers les murs, plutôt qu'à jouer. Il y a des quêtes optionnelles un peu plus intéressantes, mais elles ne sont pas non plus à tomber par terre. Cela se limite généralement à retrouver un objet puis à tuer des vagues d'ennemis après avoir parlé à des esprits bleus dénués de visage. Ce n'est quand même pas Fallout 76, mais cela donne parfois un peu la même impression.
Certaines de ces quêtes offrent néanmoins un bol d'air frais en nous permettant de nous aventurer dans un monde parallèle au paysage radicalement différent, comme une forêt hantée, un château médiéval, voire l'au-delà, et on peut même admirer quelques magnifiques décors qui ont eu droit à beaucoup de soin, ce qui change du macadam et du béton. Il est dommage que cela soit toujours de très courte durée. De la même manière, certains lieux changent et se transforment au fil de vos mouvements, un peu comme dans les meilleurs passages de Control, mais sans avoir le moindre soupçon de son génie en termes de level design ou de puzzles. Visuellement, c'est très agréable, mais c'est toujours superficiel, il n'est jamais demandé de vraiment réfléchir, ni de jouer d'une autre façon. Un coup de scanner magique, on repère l'interrupteur ou le cœur à détruire, et on passe à la suite. Il y a tout de même un bon point, la présence de nombreux chiens et de chats dans les rues, qu'il est possible de papouiller ou d'interroger est une bonne idée, même si elle aurait certainement mérité d'avoir une place plus importante.
C'est triste à dire, mais Ghostwire Tokyo est comme un magicien amateur qui n'a qu'un ou deux tours de magie dans son répertoire. Les quelques quêtes spéciales qui nous demandent de traquer des yokaïs spéciaux, comme un kappa, sont encore recopiées à l'identique sous la forme de collectibles plus pénibles que la normale à obtenir dans le reste du monde. Poser un concombre et faire le tour d'un pilier pour ne pas se faire voir était vaguement amusant la première fois, nettement moins les 4 fois suivantes. Les autres missions du genre demandent juste de suivre le yokaï et de l'absorber lorsqu'il s'est arrêté, ou alors de tuer de nombreuses vagues d'ennemis, une autre chose dont on se lasse vite vu la pauvreté du bestiaire. Durant la chasse aux collectibles et la réalisation des quêtes, il est possible de visiter l'intérieur de certains bâtiments et surtout l'intégralité des toits de la ville, ce qui est plutôt inhabituel et une bonne surprise dans l'ensemble. On peut utiliser les tengus tels des points d'accroche de son grappin afin d’accéder aux hauteurs, et un talent absolument vital permet par la suite de fixer son grappin un peu plus librement pour accéder facilement au sommet des immeubles, du moins quand il le veut bien. On ne compte plus les minutes passées à chercher un bord de toiture sur lequel il voulait bien s'activer. Une fois le toit nettoyé, on peut alors utiliser le vol spirituel afin de planer d'un immeuble à l'autre, ou pour redescendre sur l'asphalte sans encombre. C'est un bon moyen de se déplacer rapidement en ville et de repérer la zone, même si l'aspect fun de la chose est vite noyé sous le déluge d'esprits à collecter sur place, si vous êtes un maniaque de la propreté. Il n'y a visiblement pas grand-chose d'autre à y faire, si ce n'est apprécier le paysage et tuer les deux modèles de fantômes volants du jeu.
Finger-tutting magique
Au premier abord, les combats sont pour le moins inhabituels, voire innovants, la vue à la première personne aide à se plonger dans l'ambiance surnaturelle du monde, mais aussi à admirer les mouvements d'Akito, lorsqu'il fait usage du tissage d'Ether. Il effectue différentes chorégraphies avec ses doigts en fonction des sorts et capacités utilisées, comme purifier un torii, ou utiliser des fils magiques pour arracher le cœur de ses ennemis. Il n'y a pas de sang, mais les exécutions des spectres après une approche discrète dans leur dos, ou en mêlée lorsque leur noyau est exposé, ne manquent pas de faire penser un peu à Doom Eternal. Ce qui rend cette comparaison amusante est que le rythme des combats est radicalement différent. Outre le fait qu'on soit souvent encouragé à approcher discrètement pour effectuer une petite exécution façon Assassin's Creed, le rythme des combats est plutôt lent et statique par défaut. On peut aussi s'amuser à sniper discrètement les fantômes à l'arc pour vraiment miser sur l'infiltration.
Akito démarre juste avec le pouvoir du vent, qui peut être tiré rapidement ou chargé pour un résultat plus efficace et surtout plus économe en munitions. Et tous les pouvoirs qui suivent fonctionnent un peu de la même manière, par défaut, l'eau envoie une vaguelette presque inutile, mais une fois chargée, c'est un tsunami, et le feu passe du vulgaire briquet au lance-roquettes. Comme le stock d'éther permettant d'utiliser chaque élément est limité, on est d'autant plus encouragé à charger chaque pouvoir durant quelques secondes. Heureusement que la très large majorité des ennemis met du temps à vous atteindre en mêlée. Et pour ceux qui y parviennent, les choses deviennent intéressantes, puisqu'au lieu de nous inciter à courir dans tous les sens, Ghostwire Tokyo nous offre un bouclier magique à activer pour bloquer les attaques. En l'utilisant au moment, il va même les annuler et repousser l'adversaire. Une fois les ennemis affaiblis, leur cœur est alors exposé, et on peut leur arracher à distance. C'est encore plus satisfaisant lorsque plusieurs ennemis sont exposés en même temps et que leur exécution est simultanée. Cela demande néanmoins quelques secondes qui nous laissent vulnérables à d'autres attaques.
On se prend vite au jeu, et il est plaisant de jouer avec le temps de chargement des attaques, l'approche des ennemis, et le temps requis afin d'exécuter votre cible. L'ajout de nouveaux pouvoirs, de talismans pour paralyser l'ennemi et d'un arc vient d’ailleurs enrichir l'arsenal et les possibilités. Malheureusement, on découvre les limites de ce système après quelques heures de jeu. Le système de combat serait fantastique si c'était un jeu en VR dans lequel la mobilité serait grandement réduite, mais en pratique, rien ne vous force à rester sur place. Dès qu'on se met à bouger comme dans un FPS normal, et à balader les ennemis, ou à utiliser le décor pour bloquer leurs attaques, la difficulté s'effondre. Surtout si on en profite pour se soigner en même temps.
Il faut dire qu'en mode normal, la majorité des ennemis est assez léthargique, en particulier ceux en dehors de notre champ de vision, et ils ne parviennent à atteindre le corps-à-corps que péniblement. Un autre problème est l'omniprésence des objets de soin, toute la nourriture ramassée en jeu est stockée et elle peut être utilisée en quelques instants durant un affrontement. Pouvoir se soigner des dizaines de fois à la demande à chaque combat permet de s'en tirer tant qu'on ne se fait pas coincer dans le décor. La cerise sur le gâteau (assez littéralement) est que consommer de la nourriture augmente légèrement votre vie maximale de façon permanente. Si vous souhaitez préserver l'intérêt des combats, il vous faudra envisager de jouer en difficile, voire en mode Tatari, qui limite grandement les gains d'expérience en plus de rehausser la difficulté.
Doomslayer vs. Zombies
Les niveaux augmentent la vie maximale et débloquent des points de talents à investir dans différents domaines. Ils sont plutôt efficaces à défaut d'être très originaux, ils augmentent les dégâts, la portée des attaques, la vitesse de chargement, ou la possibilité d'obtenir des munitions en contrant une attaque. Ils offrent aussi de nouveaux modes d'exécution des ennemis plus rapides et qui vous exposent moins. Des exécutions qui s'avèrent au final facultatives voire néfastes, ce n'est pas Prince of Persia The Sand of Time, avec des ennemis qui doivent être achevés d'une certaine manière pour en être vraiment débarrassé. Il est souvent plus simple et moins dangereux de continuer d'envoyer des tsunamis dans tous les sens sans réfléchir, plutôt que de s'immobiliser et prendre le risque de se prendre une attaque qui va en plus rétablir instantanément vos victimes.
Cela donne la désagréable impression que toutes les spécificités du système de combat ont été gommées afin de le rendre plus accessible, mais cela le prive surtout de tout ce qui le rendait unique et intéressant. En ramassant assez d'esprits et de collectibles, on enchaîne les gains de niveaux, et on se transforme rapidement en véritable exorciste de masse de niveau maximum. La pauvreté du bestiaire n'aide alors clairement pas à préserver l'intérêt, le jeu ne donne l'impression d'avoir que 6 ou 7 types d'ennemis, qui ont ensuite droit à quelques changements esthétiques et à des attaques plus redoutables pour les différencier. On ne compte plus le nombre de variantes d'hommes en costard et au parapluie. Comme une bonne moitié d'entre eux est poussive, cela ne laisse que quelques mini-boss pour nous mettre un peu la pression, mais ce n'est rien qu'un peu de backpedalling ne saurait résoudre.
Tout cela est d'autant plus dommage qu'il y a quelques excellentes idées, comme des ennemis capables d'arracher l'esprit de KK qui possède Akito. On perd alors tous nos pouvoirs paranormaux ou presque, et il faut utiliser l'arc et les talismans pour se battre au lieu de tirer des boules de feu géantes. Sauf qu'en pratique, en dehors d'une mission scriptée, qui était probablement la meilleure du jeu, il suffit d'avancer un peu et d'aspirer KK rapidement pour tout récupérer, sans même avoir besoin de tuer le responsable. Lors des combats, on a vraiment l'impression que le jeu sait uniquement faire apparaître des vagues des mêmes ennemis à chaque étape d'une quête ou de l'histoire, au point de devenir tragiquement prévisible. Et ce ne sont pas les quelques mini événements ou même les boss qui vont nous faire changer d'avis. Si les ennemis demandaient vraiment de changer de stratégie, et s'il y avait davantage de mécanismes spéciaux, cela aurait pu être acceptable, mais on s'est lassé des combats alors que la fin de la campagne est en vue après seulement quelques heures de jeu. Même en vidant la majorité de la carte du monde ouvert, on tourne aux alentours de la vingtaine d'heures de jeu, ce qui est très peu pour un jeu de ce type, surtout avec la quantité de remplissage sans grand intérêt basé sur la collecte d'objets.
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