La nouvelle est loin d'être passée inaperçue : ce mercredi 20 mars 2024 se tenait la Game Developer Conference (GDC) à San Francisco. Et si cette conférence dédiée aux développeurs du monde entier aurait pu laisser indifférente la communauté de World of Warcraft, il n'en fut rien. C'est John Hight, le Franchise General Manager de WoW pour Blizzard Entertainment, qui était sur place pour présenter tout un tas de choses croustillantes et encore jamais révélées à propos du fameux MMORPG... notamment le nombre d'abonnés depuis l'extension Legion, ou presque !
De Legion à Shadowlands : au cœur de l'abîme
L'annonce la plus fantasmée et la plus discutée de cette dernière décennie à propos de Blizzard a finalement eu lieu durant la GDC : John Hight, représentant de Blizzard sur place, a en effet révélé pas mal d'informations aussi intéressantes qu'imprécises à propos de World of Warcraft, et notamment une estimation du nombre d'abonnements actifs depuis le déploiement de l'extension Legion, en 2016. Pour rappel, l'éditeur américain avait cessé de communiquer ces données après le déploiement de l'extension Warlords of Draenor, en 2014, la faute à une grande, très grande déception de la communauté à l'égard de celle-ci (qui aura également conduit Chris Metzen à se retirer tant la communauté lui était hostile, il est bon de le rappeler).
Et le moins que l'on puisse dire c'est que les annonciateurs de la fin du monde que l'on voit et entend un peu partout (et trop souvent), y compris parmi certains des influenceurs les plus populaires, avaient au moins en partie tort. Puisque si certains répètent en boucle que "WoW est mort" parce qu'ils ne sont plus capables d'apprécier le jeu tel qu'il est cherchent à entraîner d'autres joueuses et joueurs dans leur déception, force est de constater que les choses se sont avérées un poil plus complexes. Trêve de règlements de compte, voyons ce qui s'est dit concrètement !
Dans sa présentation, John Hight a révélé un premier graphique a priori effectué après le lancement de l'extension Shadowlands, en 2020, et démontrant quelques points intéressants à propos du passé du jeu depuis Legion (2016) en anticipant un peu l'avenir post-Shadowlands :
- Legion a connu un fort intérêt à sa sortie avant de décliner fortement mais assez linéairement par la suite
- Une bonne partie des joueuses et joueurs quittaient le jeu après le déploiement de chaque extension, comme c'est le cas depuis la première version de WoW
- Legion et Battle for Azeroth se sont montrées à peu de choses près aussi convaincantes au lancement, puis après en matière de rétention d'abonnements
- Le déploiement de WoW Classic, en 2019, a permis à WoW de maintenir un taux d'abonnés plus élevé en moyenne qu'avant l'existence de cette version du jeu, y compris post-déploiement
- Le nombre d'abonnés le plus bas post-Classic est proche du plus haut au moment du déploiement de Battle for Azeroth, traduisant un certain enthousiasme à l'égard de cette version du jeu
D'un point de vue prévisionnel, Blizzard s'est montré pour le moins très optimiste puisque le graphique précédent démontre que l'éditeur s'attendait à un maintien de l'intérêt des joueuses et joueurs grâce au déploiement de Burning Crusade Classic puis de Wrath of the Lich King Classic, et ce en dépit de la levée de boucliers générée par Shadowlands. Malheureusement, la réalité a rapidement repris le dessus et la tendance fut davantage à un certain effondrement qu'à une stabilisation du nombre d'abonnés à WoW.
Pire encore, le seuil le plus bas depuis l'arrivée de Legion quatre ans plus tôt avait quasiment été atteint, et ce malgré l'existence de versions Classic du jeu supposément appréciées par les fans en plus d'une extension en cours sur le jeu moderne qui a fait fuir une quantité astronomique de joueuses et joueurs, bien plus que prévu. Monétairement parlant, cela représente un véritable trou béant qu'il fallait colmater... et qui ne pouvait l'être tant la latence en interne est grande une fois une extension déployée.
Shadowlands : le glas de World of Warcraft ?
Pourtant, le pire n'était même pas encore arrivé. Parce qu'on le sait depuis un bout de temps déjà : Dragonflight s'est montrée très convaincante en terme de rétention d'abonnements. En fait, le graphique ci-dessous démontre même que Blizzard comptait sur cette extension pour colmater la brèche ouverte avec Shadowlands... sauf qu'il n'en fut rien. Les ventes étaient bonnes, le télétravail imposé par le Covid-19 semblait ne pas avoir impacté la production des équipes... mais malgré tout une très grande partie des joueuses et joueurs s'étant désabonnés à Shadowlands n'est tout simplement jamais revenue avec le lancemenr de Dragonflight. Le point de non-retour avait été atteint, la coupe était pleine malgré une extension qui semblait plaire à celles et ceux qui lui avaient laissé sa chance.
Pour comprendre l'origine de cette débâcle, John Hight a révélé une autre capture qui révélait les conclusions qu'avait tiré Blizzard. Plus précisément, ce sont les retours des joueuses et joueurs déçus de Shadowlands qui ont été retranscrits ici et dont Blizzard s'est inspiré afin de comprendre vraisemblablement quelles avaient été ses erreurs :
- Les Éternités n'étaient pas considérées comme accessibles narrativement parlant, cela n'inspirait par les joueuses et joueurs et avait été mal expliqué et amené
- Le nouvel antagoniste, le Geôlier, avait été trop peu développé et sa chute ne s'était pas montrée convaincante
- Les héroïnes et héros impliqués en Ombreterre ne l'étaient pas assez, ou leur rôle avait été réduit à peau de chagrin (Sylvanas Coursevent, Baine Sabot-de-Sang, Bolvar Fordragon et même Arthas Menethil pour ne citer qu'eux)
- Les mécaniques de jeu n'ont pas évolué dans le sens attendu par les joueuses et joueurs (Congrégations)
- Trop de "borrowed powers" étaient présents, ces systèmes qui impliquent de devoir farm sans cesse pour gagner un micro rien du tout de puissance indispensable à long terme mais insignifiant à court terme
- Le manque de variété en matière de style de jeu (classes, Congrégations...) était trop conséquent
- Le contenu était déployé de façon trop inégale au fil du temps (l'exemple du Patch 9.1 qui a duré 8 mois est un exemple parlant)
- Le manque de transparence de Blizzard à propos de ses projets et à l'égard de ses joueuses et joueurs se ressentait plus que jamais
- La communauté ne s'est in fine pas sentie écoutée par les développeurs qui donnaient l'impression de n'en faire qu'à leur tête selon des plans préétablis avant le déploiement de l'extension
Le constat était finalement établi : Shadowlands avait été un échec, Blizzard l'a reconnu durant la Game Developer Conference 2024. Le cataclysme, sans mauvais jeu de mots, causé par Shadowlands après des années de défiance à l'égard de Blizzard a sans aucun doute marqué pour longtemps encore l'histoire du jeu moderne. Alors que cette extension était déployée durant une période de pandémie mondiale contraignant la plupart d'entre nous à nous confiner en quasi-permanence des semaines durant, on aurait pu imaginer que cela aurait eu un effet bénéfique sur l'intérêt porté à un jeu aussi chronophage que WoW.
Il n'en fut pas grand chose. Le lancement fut conséquent, puis les choses ont rapidement tourné au vinaigre : les joueuses et joueurs avaient massivement préféré quitter WoW et s'occuper sur d'autres jeux ou autrement. Cette longue période fut si violente pour ce MMORPG que même l'arrivée d'extensions très attendues sur WoW Classic, The Burning Crusade puis Wrath of the Lich King, n'ont pas suffit à contrebalancer l'échec de la huitième extension du jeu moderne, elles l'ont au mieux adouci sans vraiment inverser la tendance pour autant.
Enfin, et pas des moindres, il convient de rappeler que c'est durant Shadowlands que les imbroglios juridiques dans lesquels étaient impliqués de multiples ex-cadres de Blizzard Entertainement ainsi que son CEO de l'époque, Robert "Bobby" Kotick, ont été révélés au grand public. La défiance à l'égard de l'entreprise n'a, à juste titre, jamais été aussi grande et la confiance était perdue, souvent pour de bon même... ou en tout cas pour longtemps.
Cet échec, en tant que joueurs assidus on ne peut pour autant pas l'attribuer qu'à Shadowlands. Cette extension a, selon nous, été la goutte de trop, mais les choses allaient déjà mal depuis un bout de temps. Depuis Warlords of Draenor en fait. Les années successives et l'absence de prise de conscience de Blizzard qui semblait se contenter en grand vainqueur du retour de ses fans tous les deux ans, au lancement de chaque extension, sans jamais se remettre en question ont été la cause réelle de ce désastre. Blizzard n'a pas su évoluer ni anticiper la chute qui s'annonçait pourtant depuis plusieurs années déjà.
Dragonflight : de l'introspection à la création d'un renouveau
En réponse à ce constat aussi froid que douloureux et après une longue période d'errance palpable même aux yeux d'un joueur peu impliqué, des feuilles de route ont rapidement été mises en place et publiées peu de temps après le déploiement de l'extension Dragonflight (2022) afin de permettre à chaque joueuse et chaque joueur de savoir quelle direction prend le jeu, et surtout à quelle période. La cadence de déploiement des mises à jour a été accélérée, Classic et Retail ne se piétinent plus trop afin de permettre à chacun de profiter pleinement de chaque version du jeu s'il le souhaite sans avoir à trop se précipiter, et tout un tas d'autres nouveautés que l'on constate encore aujourd'hui.
Au-delà du contenu, c'est également la plus grande dépendance aux collaborations commerciales, avec Amazon notamment, et aux transactions en échange d'argent réel par le biais de montures, Jetons, mascottes et autres objets cosmétiques issus de la Boutique en jeu qui ont connu un grand renouveau avec Dragonflight. C'est simple : il ne se passe pas un mois sans qu'un objet ne soit ajouté à la Boutique, et cela a quoi de faire jazzer les joueuses et joueurs qui ont toujours estimé ces ajouts comme néfastes pour le jeu
Cette tendance a vocation à continuer avec la Saga de l'Âme-Monde qui a été révélée durant la BlizzCon 2023 pour une raison toute simple : elle porte déjà ses fruits. Le dernier graphique présenté par John Hight démontrait en effet que, durant "l'ère moderne de WoW", le nombre d'abonnés n'avait jamais connu une croissance aussi élevée ainsi qu'un aussi haut taux de rétention après le déploiement d'une extension qu'après Dragonflight. La tendance serait même à nouveau à la hausse, et pas qu'un peu !
7 millions d'abonnés ? WoW Classic a-t-il sauvé World of Warcraft ?
Dans une vidéo parue rapidement après cette conférence, Bellular, un YouTuber irlandais aussi populaire que controversé, s'est risqué à l'élaboration d'un graphique estimant le nombre d'abonnés à World of Warcraft grâce aux graphiques fournis par John Hight et aux rapports financiers trimestriels de Blizzard. Les nombres donnés sont très approximatifs et basés sur de la spéculation très, très subjective, ils doivent donc être pris et relayés avec la plus grande précaution. D'après ses calculs, qui n'ont encore une fois rien d'officiel et ne valent que l'intérêt qu'on daigne leur accorder, World of Warcraft compterait aujourd'hui plus de 7 millions d'abonnés.
Ce nombre semble colossal, et soyons clairs : il l'est. Tous les MMORPGs du monde rêvent d'atteindre ne serait-ce qu'une fois ce nombre d'abonnés, même la moitié, le tiers même ! Mais pour World of Warcraft cela semble peu, il est vrai. En fait, 7 millions d'abonnés c'est à peu près autant qu'en 2006, durant The Burning Crusade, ou bien en plein milieu de Mists of Pandaria, en 2013. C'est beau, mais assez loin de la grande période du Patch 3.3.5 de Wrath of the Lich King et ses 12 millions d'abonnés. Restons cohérents tout de même : cela reste des époques très différentes, et le genre MMORPG est loin de connaître la même popularité qu'il a pu la connaître près de vingt ans plus tôt !
La réalité est un petit peu plus complexe. En effet, ce jeu n'avait à l'origine qu'une seule et unique version à laquelle ses fans pouvaient jouer, tous les abonné(e)s étaient donc présents pour cette version et seulement celle-ci. Depuis 2019, une déclinaison dédiée aux nostalgiques, WoW Classic, a été déployée, puis d'autres au fil des années afin d'atteindre un total de cinq à six version partageant le même abonnement et contribuant à ces données impressionnantes.
Certains, comme Bellular à demi-mots, estiment donc que WoW Classic à l'origine de la majorité des abonnés à WoW puisque, selon son propre avis, le jeu moderne serait au mieux décevant. D'autres, comme nous, estiment qu'il existe un certain équilibre entre la grande famille des versions Classic et le jeu moderne. Qui a raison, qui a tort ? On s'en moque un petit peu en vérité, n'en déplaise aux amateurs de querelles intestines auxquelles on ne prendra pas la peine de se mêler, le résultat est le même : le jeu moderne n'est plus le seul à driver tout l'intérêt des fans, c'est un fait.
Pour parler de Classic, difficile de dire comme certains le font que c'est cette version du jeu qui fait tout le succès de WoW depuis 2019. Il n'y est pas étranger, évidemment, mais les extensions The Burning Crusade et Wrath of the Lich King sont vraisemblablement loin d'avoir un succès aussi fort que celui qu'a pu avoir WoW Classic premier du nom. Leur déploiement se voit sur le dernier graphique, il s'agit des petits sursauts d'abonnés en plein Shadowlands, mais la chute a malgré tout continué.
Les raisons à cela sont multiples, à commencer par les libertés prises par l'éditeur afin de corriger certains éléments de ces extensions, en particulier sur WotLK Classic, mais on le voit bien au quotidien y compris sur les royaumes anglophones : Classic se vide, et ne parlons même pas du Mode Hardcore ou de Classic Era dont les serveurs frôlent la désertion la plus absolue. Classic a donc amorti la chute, elle ne l'a pas empêché, loin de là.
Un avenir radieux pour le roi de tous les MMOs ?
Bien que Dragonflight, couplé à Classic, semble incarner un renouveau prometteur à bien des égards pour le roi des MMOs après des années de tourmente, tout est loin d'être encore gagné pour Blizzard. Le déploiement de contenus est souvent critiqué ces derniers temps puisque certains, comme nous, le considèrent davantage orienté sur la quantité plus que sur la qualité en dehors des mises à jour majeures, le PvP est complètement laissé pour mort, et bien d'autres défauts que l'on n'énumèrera pas une nouvelle fois ici.
Pourtant, Dragonflight incarne à elle seule un espoir non négligeable malgré ses défauts. L'extension a connu un marketing assez timide, décevant même si l'on en croit certains : sa cinématique d'introduction n'a pas fait rêvé les foules sans pour autant être huée, aucune mécanique majeure comme pouvaient l'être les Armes prodigieuses de Legion ou le Coeur d'Azeroth de Battle for Azeroth n'a été introduite... Bref, Dragonflight était l'extension qui faisait table rase du passé et cherchait à repartir sur des bases saines plus que celle qui cherchait à en mettre véritablement plein la vue. Et ça, c'est difficile à vendre, très difficile, surtout quand votre communauté se disloque et vous attend au tournant !
Au-delà de la neuvième extension, le dernier graphique démontre que WoW semble se porter plutôt bien... et il n'existe pas un seul facteur à cela. On peut en effet dire qu'en 2024 World of Warcraft est très fort précisément parce qu'il a su diversifier son offre en fonction de la demande qui était faite par les différentes "factions", appelons-les ainsi tant elles sont hostiles les unes envers les autres, au sein de sa propre communauté. Chaque version du jeu a une base d'irréductibles qui y reviendront toujours, tandis que la masse aura tendance à aller et venir au gré des mises à jour régulières proposées depuis plus d'un an maintenant. En parallèle, les plus aisés des joueurs ont la possibilité d'accéder à des objets purement cosmétiques en échange de sommes relativement élevées, contribuant ainsi au passage à la rentabilité de toutes les versions du MMO.
En ce sens, Blizzard semble avoir complètement révolutionné la façon d'aborder World of Warcraft, pour le meilleur comme pour le pire. Il n'existe plus une seule version à laquelle il faut absolument jouer en permanence bien que cela soit possible si tel est votre souhait, ce sont plusieurs d'entre elles qui se partagent un énorme gateau et contribuent chacune à leur tour à créer une communauté solide et diversifiée. Bref, World of Warcraft existe en 2024 parce qu'il est hétérogène et ouvert à la nouveauté et au changement, et l'arrivée de Plunderstorm et potentiellement d'autres modes semblables dans un futur plutôt proche ne saurait que nous donner raison. WoW a évolué pour la première fois depuis vingt ans, c'est en tout cas ce que cherchait à nous démontrer John Hight durant cette conférence.