On vous le rappelait brièvement il y a quelques mois mais les joueuses de League of Legends ne sont pas des licornes qu'on se plaît à rêver au fil de ces longues soirées solitaires de file classée.
Elles existent et, par-dessus tout, elles revendiquent le droit d'exister. Cela dit, à l'heure où les hommes reviennent de Shanghai, auréolés de gloire ou d'humiliation par les projecteurs, acclamés par des centaines de milliers voire des millions, les femmes, elles, jouent dans l'ombre.
Et certaines sont même des joueuses professionnelles.
Je vous vois déjà élever un sourcil interrogateur, et brandir Leaguepedia en hurlant à l'hérésie, mais il existe bien des femmes dont le métier est de jouer à League of Legends. Que ce soit en Occident ou en Asie, vous ne les verrez ni en European Regional League (ERL), ni au sein des ligues majeures (LEC, LCS, LCK, LPL) ou des ligues mineures — pourtant elles sont bien là, évoluant au sein de leur propre circuit.
En soi, il n'existe aucune règle particulière interdisant aux femmes de participer à n'importe laquelle des ligues et tournois organisés par Riot. D'ailleurs, en 2018, le roster féminin sponsorisé par Airbus, Out of the Blue, avait tenté sa chance sur la scène de l'Open Tour — prouvant, même si ce n'était pas nécessaire, qu'il existe bien des joueuses affamées de compétition. Toutefois, force est de constater qu'aucune joueuse de League of Legends n'est parvenue à véritablement trouver sa place au sein d'un circuit qui est, sur le papier, mixte. D'aucuns invoqueront peut-être que Vaevictis Esport avait enrôlé un roster féminin au sein de la ligue russe mais, en toute honnêteté, la chose relevait bien plus d'un coup de communication que d'une véritable tentative d'introduire des femmes au sein d'une ligue intégralement masculine.
Certains esports comme Counter-Strike : Global Offensive possèdent une scène féminine depuis plus de 15 ans, en témoigne la carrière de Stephanie "missharvey" Harvey ou même l'aventure des Millenium Ladies entre 2010 et 2016. Or, si Valve a fait le choix de séparer les scènes masculine et féminine de son FPS, Riot Games a toujours laissé entendre que le circuit compétitif de League était mixte. Pour cette raison , le studio refuse de reconnaître véritablement l'existence d'une scène féminine sur son MOBA phare — non pas parce qu'il s'oppose à la démarche, mais bien car cela reviendrait à faire du circuit actuel une arène exclusivement masculine.
Tolérée mais souvent oubliée, la scène féminine de League n'a pourtant pas attendu qu'on l'autorise pour se développer, et elle s'incarne désormais par des ligues ainsi que plusieurs tournois internationaux. Le GIRLGAMER Festival, La Ligue Féminine, la Women's Esport League — aux quatre coins du globe, des associations ainsi que des organisations professionnelles du monde de l'esport ont donné naissance à des environnements pour permettre aux joueuses de League of Legends de s'adonner à la compétition.
Cela dit, si certaines joueuses semblent satisfaites par l'existence de la scène féminine, d'autres aspirent à d'autres ambitions. Pour elles, tout ceci est temporaire. Il ne s'agit que d'une étape pour qu'un jour elles puissent enfin concourir avec les hommes, d'égale à égal.
La scène féminine, un outil de normalisation ?
Laure "Shiny" Delaroche et Naïma "Freyja" Gradi font partie de ces joueuses qui rêvent, ou du moins ont rêvé, de se frotter aux mecs pour prouver de quoi elles sont capables.
Shiny, d'un côté, a toujours eu le clavier dans les mains. Déscolarisée pour des raisons de santé, elle fait ses armes dans les landes d'Azeroth, avant de découvrir LoL en 2011-2012. Elle retrouve brièvement la voie de l'école, s'oriente vers des études d'art graphique, avant de finalement devenir secrétaire médicale. En parallèle toutefois, elle continue de jouer, oscillant d'une équipe amateure à une autre — jusqu'à 2017-2018, où Sophie "Ayunie" Phan la contacte pour qu'elle rejoigne Out of the Blue.
Au même moment, Freyja reçoit une proposition similaire — mais la jeune toplaneuse fait alors le choix de se consacrer à ses études. Entrant alors en dernière année de Master, la joueuse refuse de succomber à l'année de césure, et préfère délayer son arrivée d'un an. Sans elle, le roster tente sa chance sur la scène mixte de l'Open Tour, participant à la Gamers Assembly ainsi qu'à l'Occitanie Esports et la Valenciennes Game Arena, mais les résultats sont loin d'être brillants.
Début 2019, Freyja remplace Ayunie, et le roster se tourne vers la scène féminine avec un faim de victoire renouvelée. Après un faux départ au sein de la Game'Her League, Out of the Blue domine la Women's Esports League Season 1, avant de parvenir sans la moindre difficulté en finale du premier ainsi que du second split de La Ligue Féminine 2019 — et de remporter ensuite les Playoffs en battant au passage les favorites de la compétition, Besiktas Esports Female.
Deux mois plus tard, Out of the Blue participe au GIRLGAMER 2019 Esports Festival, et l'équipe parvient à sécuriser son ticket pour l'événement en asseyant une suprématie brutale sur le qualifier de Madrid. Le roster est sélectionné pour représenter l'Europe lors de la deuxième étape du tournoi ayant lieu à Dubaï, où il écrase à nouveau toute compétition. Sauf que, le goût de la victoire est amer car la compétition toute entière s'est déroulée à 150 de ping.
"Imagine, t'es à Dubaï et tu joues sur le serveur d'Amsterdam," tempête Freyja. [Ndlr : 5.167,11 km séparent les deux villes.] "Ce qui m'énerve le plus, c'est qu'on a pas pu montrer le jeu qu'on voulait. Les gens, quand ils nous ont regardées, se sont dit : 'ah, elles savent pas farm, elles savent pas jouer'."
Au final, et malgré les 150 de ping à Dubaï, Out of the Blue se barde d'or sur l'année 2019, remportant tous les défis, arrachant tous les trophées à leur portée. Et, naturellement, une fois la scène féminine conquise, le roster tourne à nouveau son regard vers l'Open Tour et la LFL.
"L'objectif c'était de retourner en mixte," explique Freyja, "nous on voulait aller plus loin."
Malheureusement, le roster d'OoB ne comporte alors que deux joueuses résidant en France, tandis que le règlement de l'Open Tour stipule qu'il en faut trois. Évidemment, l'équipe demande une dérogation, argumentant à juste titre que le simple fait d'avoir une gaming house en France suffit à légitimer une résidence — et qu'ainsi les équipes disposant de moyens financiers plus élevés sont avantagées. Mais les organisateurs refusent et les filles d'Out of Blue sont obligées de revoir leurs ambitions à la baisse, manquant de peu leur chance de briller en mixte. Pire encore, le coronavirus vient bouleverser la situation financière de l'organisation, Airbus est forcé de mettre fin à son mécénat et l'aventure OoB s'achève.
Des regrets, Shiny et Freyja en ont sûrement — comme beaucoup d'acteurs du monde de l'esport qui ont vu leurs plans bouleversés, voire même anéantis, par le coronavirus. Pourtant, l'une comme l'autre conservent un souvenir impérissable de leur aventure avec Out of the Blue et, malgré l'amertume de n'avoir pu poursuivre leur ascension, sont conscientes des effets qu'elles ont provoqués.
Car les filles d'Out of the Blue ont marqué les esprits, non seulement par leur détermination et leur sérieux, mais aussi par leur volonté de bouleverser le circuit compétitif de League of Legends. Que ce soit parce qu'elles ont stimulé la scène féminine en forçant les joueuses en place à ne plus se reposer sur leurs acquis, ou tout simplement car elles sont venues rappeler qu'il existait des femmes avides de concourir avec les hommes — les filles d'OoB ont joué le double rôle de modèles et de pionnières.
"Notre moteur, c'était pas d'être les meilleures de la scène féminine, c'était d'être les meilleures tout court," rajoute Freyja, précisant au passage que cette mentalité n'était pas partagée par toutes les joueuses de la scène féminine. "Beaucoup considèrent que leur statut est acquis, parce qu'elles savent qu'il y a tellement peu de femmes qui s'investissent là-dedans, [et elles savent] qu'il y a peu de chance qu'elles se fassent remplacer. Du coup y a pas cette notion de mérite et d'ambition."
Mais la question n'est pas vraiment là car ni Freyja ni Shiny ne militent pour que la scène féminine soit abolie, et qu'on vienne 'forcer' les femmes au sein du circuit de Riot par l'instauration de quotas. En réalité, il ne s'agit pas tant de forcer la mixité que de la permettre, simplement de créer un monde où les femmes peuvent concourir avec les hommes si elles en ont le niveau et l'ambition. Loin de désirer des passe-droits, ou des privilèges, elles revendiquent simplement le droit de tenter leur chance au plus bas niveau de compétition. Et, là encore, elles ne souhaitent brûler aucune étape.
"Je connais personne qui a fait soloqueue-LEC.[...] parce que le talent individuel ne suffit pas," explique Freyja, "Et pour les femmes, c'est pareil. Si une femme passe Challenger un jour, il faudra pas s'attendre à ce qu'elle aille en LEC. D'abord, il faudra qu'elle aille en mixte, en Div 2, en LFL ; qu'elle prouve sa place, qu'elle démontre qu'elle est méritante, et ensuite elle ira en LEC."
Dans ce cas, pourquoi la scène féminine ? Après tout, si les ligues sont mixtes, pourquoi les femmes ne tentent pas leur chance plus régulièrement ? Ces deux questions trouvent leur réponse dans le même constat : les filles qui veulent s'adonner à la compétition sont rares, et celles qui visent plus haut le sont encore plus. Plus encore, le monde dans lequel elles cherchent à pénétrer est encore fondamentalement masculin, et les efforts — ainsi que les sacrifices — nécessaires pour pouvoir 'passer pro' en rebutent plus d'une. Bien évidemment, les hommes eux aussi doivent se confronter à un chemin pavé d'obstacles et de sacrifices, mais celui des femmes paraît encore plus difficile en comparaison.
"Tu dois faire tellement plus d'efforts pour prouver aux gens, même pas que t'es forte, mais juste que t'es légitime," explique Shiny, "Je peux comprendre que, pour certaines femmes, cette idée soit épuisante — parce que tu dois faire le double !"
Et c'est là, précisément, que la scène féminine vient remplir son rôle : en offrant un espace permettant aux femmes de faire leurs armes, en normalisant leur présence dans le monde de la compétition, tout en identifiant les futurs talents. En étant un tremplin, une étape temporaire, un outil à court et moyen terme voué à disparaître — ou du moins à perdre sa vocation.
Et, du coup, la mixité ?
"Eh bah c'est pas très bien parti," répond instantanément Freyja, avant que Shiny n'intervienne pour contre-argumenter. Pour elle, "même si ça ne se voit pas de l'extérieur, même s'il n'y a pas encore de joueuse en LFL, aux Worlds, ou même dans le ladder Challenger, ça avance. C'est très long , c'est très lent, mais ça avance." En fait, ajoute Shiny, "t'as beaucoup moins l'impression d'être une créature mythique."
Peu à peu les choses avancent mais, reconnaissons-le, certaines idées du passé ont encore la peau dure. D'ailleurs, enfonçons les portes ouvertes, avant que les détracteurs ne s'y précipitent : la loi qui gouverne la compétition est rude et cruelle, mais c'est aussi elle qui fait la beauté du jeu. Pour cette raison, le fait que les ligues de Riot soient mixtes ne garantit pas qu'une femme puisse un jour y concourir car seul son niveau de jeu le lui permettrait. Et, à ce jour, aucune femme ne semble avoir atteint le niveau de jeu nécessaire pour rejoindre une ligue majeure ou mineure — ou même la division deux d'une ERL.
Mais prétendre que les femmes ne savent pas jouer à League of Legends, ou qu'elles seraient incapables de jouer en compétition, c'est simplement succomber à de vieux clichés ridicules, en niant la réalité. A leur pic, Shiny et Freyja jouaient en Master — et ce simple fait devrait suffire à faire taire les détracteurs les plus véhéments, car ils évoluent le plus souvent dans des divisions que ces deux joueuses survolaient sans même y penser. Certes, les joueuses de League ont encore un cran de retard sur les joueurs — mais l'idée qu'elles puissent un jour se joindre aux équipes actuellement masculines est loin d'être folle.
On a tendance à oublier facilement que, en France, les femmes ne disposent du droit de vote que depuis 1944 — parce que les progrès récents de la mixité occultent la jeunesse du phénomène. Se marier, procréer puis élever les enfants ont longtemps été les seuls horizons auxquels les femmes pouvaient aspirer. Et si, bien sûr, le monde a changé et change encore, en revanche il le fait à pas de loup. Et ce n'est pas parce que l'esport est 'nouveau' qu'on doit reproduire les mêmes processus, et attendre des années pour voir apparaître des changements.
Jetez un coup d'œil à droite ou à gauche de votre amphi, de votre salle de classe, ou de votre open space, et vous constaterez aisément que le temps où les hommes étaient les seuls à peupler ces espaces est depuis longtemps révolu. Le patriarcat — n'ayons pas peur d'employer les grands mots — recule peu à peu, car certains et certaines ont suffisamment d'intelligence pour juger de l'absurdité de son existence. Parce que, génération après génération, les hommes et les femmes s'attèlent à mieux vivre ensemble. Et — bien que cette tâche donne souvent lieu à des conflits d'une violence parfois inouïe — jour après jour, les lieux autrefois réservés aux hommes pour des raisons ridicules s'ouvrent à la présence des femmes.
C'est vrai pour les lieux de travail ou le monde universitaire, mais certaines zones plus subtiles demeurent encore imperméables — ou du moins résistent encore. Car en-deçà des espaces sociaux, l'inconscient collectif est toujours un bastion à conquérir. Il y a 70 ans, on dépeignait la femme au foyer comme un modèle d'accomplissement et de réalisation, avant que les sociétés n'évoluent pour les accepter à l'usine et dans les bureaux. Même là, il a encore fallu des décennies pour que les femmes puissent enfin accéder au monde universitaire et disposer des mêmes opportunités de se forger une carrière professionnelle égale à celles des hommes. Et là, toujours, on constate encore des différences de salaire reposant sur des arguments vacillants. Dans la tête de certaines personnes, il existe encore des lieux, des espaces ou des pratiques qui 'ne correspondent pas' aux femmes — ou plutôt à l'image qu'ils s'en font.
"Être une femme qui joue aux jeux vidéo, c'est quelque chose qui commence à être de plus en plus accepté, mais ça a encore ses limites," raconte Freyja. "À l'époque, par exemple, mes frères jouaient beaucoup — c'est eux qui m'ont donné envie de jouer — mais ma mère voyait ça d'un très mauvais œil. Et je connais pleins de gens avec une histoire similaire. [...] C'est purement éducationnel, sociétal, dans le sens où on n'a pas laissé les femmes s'investir dans les jeux vidéo — parce que c'était pas pour elles, parce qu'il fallait qu'elles s'investissent... dans leurs études par exemple."
On croirait presque entendre : "Attends, on vient de te donner ta chance de faire des études, alors fais des études et tais toi. Les jeux vidéo, c'est un truc de garçon, contente-toi de ce qu'on vient de te donner." Sauf que, si dans les chiffres c'était peut-être vrai dans les années 90, aujourd'hui toutes les statistiques démontrent aisément qu'il y a quasiment autant de femmes que d'hommes qui jouent aux jeux vidéo (48% de femmes pour 52% d'hommes selon l'étude 2019 du SELL).
Autrement dit, les barrières sociales qui empêchaient les femmes de jouer il y a quelques années n'ont plus aucune existence réelle aujourd'hui — si ce n'est peut-être dans l'esprit des gens.
L'ère du statu quo
Par essence, la compétition est — socialement, culturellement et historiquement — un monde d'hommes. Toutefois, au fil des dernières décennies, voire même siècles, cet univers s'est progressivement ouvert aux femmes. Certains auront sûrement à l'esprit l'aventure d'Elizabeth Harmon, contée récemment sur Netflix dans Le Jeu de la Dame (the Queen's Gambit) mais, malheureusement, l'ascension fulgurante de Beth n'est qu'une fiction. Cela dit, la réalité nous apporte des héroïnes tout aussi impressionnantes pour illustrer ce phénomène, à commencer par Nona Gaprindashvili, la toute première femme à devenir Grand Maître d'échecs, en 1978.
Comme elle, les joueuses professionnelles de League of Legends sont des femmes dans un monde d'hommes, ce qui rend leur parcours d'autant plus difficile. En fait, et ça aussi on a tendance à l'oublier facilement, l'esport est une pratique extrêmement jeune qui a longtemps évolué au sein d'une niche. Aux premières heures, le circuit compétitif de League était aussi instable que chaotique, et Riot Games a pris la décision logique de le développer depuis le haut, en partant du sommet de la pyramide. Les projecteurs se sont immédiatement tournés vers les meilleurs joueurs, et il a fallu attendre des années avant de voir apparaître des paliers secondaires comme les ERL permettant certes d'identifier et de former les nouveaux talents, mais surtout d'offrir un autre niveau de compétition. Peu à peu, sous l'impulsion de Riot, les organisations comme les joueurs se sont développés puis professionnalisés, les sponsors ont commencé à affluer, et le circuit compétitif de League of Legends est devenu ce qu'il est aujourd'hui : le porte-étendard de l'esport.
Sauf que toutes ces évolutions sont encore loin d'avoir atteint la scène féminine — ou plutôt, elles commencent tout juste à le faire. Autant se le dire, il existe encore peu d'organisations capables, humainement et financièrement, d'investir dans les talents féminins de demain. Bien sûr, elles ne sont pas inexistantes, et elles se développent jour après jour — mais elles sont encore incomparables aux structures franchisées qui dominent actuellement le circuit de Riot.
Aujourd'hui, si une femme parvenait à rejoindre le LEC, on imagine assez aisément la pression psychologique qu'elle devrait endurer — et je ne vous parle même pas du sexisme ou de la misogynie qui feraient alors son quotidien. Elle serait un alien, une curiosité pointée du doigt et jugée au moindre faux-pas. Chacune de ses actions serait étudiée, analysée, utilisée comme un argument cherchant à démontrer que les femmes n'ont pas leur place sur LoL. Et on comprend bien que cette idée seule, qu'elle soit liée à la peur d'échouer ou à celle de réussir, puisse suffire à réfréner la plupart des joueuses.
Ainsi, au-delà du niveau de jeu, atteindre véritablement la mixité au sein du circuit de Riot nécessiterait aussi une ou plusieurs organisations solides, capables d'assurer la protection de leurs joueuses en s'adaptant à une situation inédite. Non pas en leur accordant des privilèges vis-à-vis de leur performance, par exemple en les conservant dans leur roster alors qu'elles n'ont pas le niveau, mais bien en créant un environnement leur permettant d'exprimer leur potentiel à son maximum.
Actuellement, la mixité du circuit compétitif de Riot Games est un mirage, et on invoque régulièrement l'argument de la performance pour justifier cet état de fait. Mais, si les femmes ne semblent, pour l'instant, pas avoir le niveau pour concourir au sommet, cela suffit-il pour leur refuser le droit à la compétition à des paliers secondaires ? Et puis, comment les femmes pourraient-elles 'rattraper' les hommes si elles ne disposent pas d'environnement compétitif pour développer leur talent ? Accepter que les femmes sont juste moins bonnes que les hommes à League of Legends pour le moment, est-ce que ce serait pas un peu trop facile ?
En fait, la situation actuelle donne lieu à une sorte de statu quo, qui flirte avec le cercle vicieux. Car, tant qu'une joueuse ne sera pas parvenue à finalement intégrer pleinement le circuit compétitif de Riot — en allant, par exemple, botter les fesses des mecs du LEC — on entendra toujours des voix s'élever, pour prétendre que les femmes en général en sont incapables et pour s'opposer à leur ascension. De l'autre côté, outre la rareté des talents féminins ou des organisations capables de les porter, ainsi que les enjeux culturels et sociétaux qui dépassent largement la sphère de League — la perspective d'être la première femme à parvenir à un tel niveau de compétition agit comme un répulsif puissant.
Sans Out of the Blue, la scène féminine tourne désormais en rond, dans l'attente de nouvelles Valkyries qui auront la niak nécessaire pour dévorer du joueur du LEC au petit déjeuner. Et Freyja de plaisanter : "En vrai, si on avait dix ans de moins…"
Il y avait un 'avant' Out of the Blue, il y aura désormais un 'après', car le roster a fait bien plus que dominer la scène féminine : il a permis de donner une voix aux femmes, en prouvant qu'il existe des joueuses qui rêvent bien de la mixité, et dont les ambitions sont loin de se limiter à jouer uniquement entre elles.
"Il y a eu une période ou il ne fallait pas aller sur Reddit," confesse Shiny, "mais au bout d'un certain temps on a fini par prouver qu'on n'était pas des clowns. Et ça, pour moi, c'est un accomplissement aussi important que d'avoir remporté n'importe quel tournoi."
Car, finalement, certaines joueuses de League of Legends désirent juste "montrer qu'elles sont capables, qu'elles méritent leur place". Elles ne souhaitent pas être traitées différemment ou pointées du doigt : et si certaines préfèrent jouer entre elles, d'autres désirent juste qu'on les intègre, au même titre que les hommes. Et, puisque contrairement au sport, aucun argument génétique ne s'oppose à la mixité, il est certain qu'elles y parviendront un jour.
La vraie question, c'est quand — mais il semble difficile de faire autre chose que de la laisser en suspens. Dans l'attente d'une ou plusieurs Lagertha, la scène féminine vivote dans l'ombre, grignotant peu à peu le fossé qui la sépare du circuit des hommes… Pas très loin, en Overwatch League, l'exemple de Se-yeon "Geguri" Kim démontre que les Shieldmaiden qu'on attend sur League ont d'ores et déjà débuté leur conquête des autres esports, en bottant les fesses des mecs qui les en croyaient incapables. Reste désormais à savoir quand elles planteront leur étendard dans la Faille...