Avachi sur un lit d'hôtel dans une chambre surchauffée où deux ventilateurs mènent un combat perdu d'avance, mon regard glisse sur la figurine collector qui fait la jalousie de mes collègues et j'ai pour la première fois de ma vie l'impression d'appartenir à un club select.
Car j'ai vu Cyberpunk 2077, le jeu qui souffle un vent d'euphorie sur le monde du gamig, si les béhémoths tels que EA et Ubisoft sont des usines qui enchaînent les superproduction, dans l'imaginaire collectif CD Projekt est l'orfèvre qui produit encore artisanalement dans sa petite boutique de Varsovie et dont les créations s'arrachent auprès des connaisseurs.
Autant vous dire qu'avec une présentation de Cyberpunk comme premier rendez-vous de la Gamescom, je n'ai pas eu trop de mal à sortir du lit ce matin là. La salle d'attente du stand reproduit l'un des bars du jeu à grand renfort de néons, tags sur les murs et vue sur la ville simulée par un large écran. Après quelques minutes, les portes de la salle de projection s'ouvrent et la présentation débute enfin.
Punk for hire
Un couloir insalubre éclairé par des lampes industrielles en bout de vie, voilà la première image que nous offre Cyberpunk. Le personnage principal remonte ce couloir, pistolet en main, accompagné de son acolyte. Le petit groupe de mercenaires opère en équipe de trois, deux hommes sur le terrain et un troisième à distance pour hacker les portes et préparer des chemins de fuites. D'après leur conversation, ils ont été engagés pour sauver une jeune fille qu'ils ont localisé dans l'un des pires quartiers de la ville.
Alertée par l'arrivée du groupe, une habitante ouvre sa porte et sort sur le perron, d'une rapide pression de bouton, le joueur lui intime de rentrer à l'intérieur, ne pas le faire aurait-il incité cette dame à donner l'alerte, ou ne s'agit-il que de faire le show pour la présentation ? Difficile à dire mais cet ajout est symptomatique de l'attention portée aux détails qui va émailler toute la démo.
Le bon appartement est au bout du couloir, le hacker de la bande entre en action et la porte s'ouvre sur une vision d'horreur. L'endroit est géré par des trafiquants d'organes, des corps sont entassés un peu partout, attendant d'être jetés ou découpés. La négociation ne semble pas être au programme, le premier trafiquant est éliminé discrètement, les actions d'assassinat étant bien présentes, puis la fusillade s'engage.
C'est l'occasion parfaite de rappeler que si l'action est à base de première personne et d'armes à feu, Cyberpunk n'est pas un shooter mais un RPG. À chaque impact de balle les points de dégâts s'affichent sur l'écran et lorsqu'un trafiquant débarque dans le couloir pour se prendre un tir dans la tête, ce n'est pas pour mourir mais pour voir sa barre de vie gentiment descendre. Si cela ne vous a pas gêné sur des titres comme Borderlands ou The Division, vous n'aurez aucun souci avec Cyberpunk mais c'est susceptible de faire tiquer le joueur qui jure avant tout par le réalisme.
Les vilains trafiquants sont "gérés" à grands renforts de ralentis provoqué par l'absorption de drogues. On découvre que beaucoup d'éléments sont destructibles et que les tirs traversent les murs, une mécanique qui déploiera probablement son plein potentiel une fois notre mercenaire équipé d'une augmentation qui voit à travers les parois. La cible est alors retrouvée dans une baignoire glacée qui fait office de frigo de fortune, encore vivante mais plus pour très longtemps et c'est l'occasion de constater que Cyberpunk n'hésite pas une seconde à afficher de la nudité.
Ce qui arrive une fois la malheureuse repêchée est particulièrement important : pas question ici de s'enfuir de l'immeuble avec elle, de déployer une balise de détresse ou d'appeler les secours nous-même, non, non tout ça est vu et revu. Il se trouve qu'en tant que membre de la classe huppée de Night City la demoiselle possède une assurance santé très chère et très unique portant l'adorable nom de Trauma Team International. La Trauma Team, c'est la fusion entre une ambulance et un hélicoptère d'assaut, ce n'est pas un service public (ils n'existent plus) mais un prestataire privé. En simple, les habitants assez riches pour se payer un abonnement portent une puce qui prévient l'entreprise dès qu'un problème de santé est détecté. Une unité débarquera alors en quelques minutes et mettra tout en oeuvre pour vous sauver, que vous soyez au milieu d'une fête ou dans une zone de guerre, qu'il faille faire exploser un immeuble ou combattre une armée.
Les trafiquants savent que faire leurs courses parmi la jeunesse dorée de la ville est un coup à se prendre une bande d'ambulanciers très énervés sur le coin de la figure, ils ont donc greffé à la fille un implant qui bloque l'émission du signal d'alerte. Notre mercenaire n'a qu'à retirer l'implant pour voir la cavalerie débarquer, la rapidité et la tension avec lesquels celle-ci opère rappelle celle des unités d'élite infiltrées en territoire ennemi et fait prendre conscience de la dangerosité de certains quartiers de Night City.
Le mode de fonctionnement unique de la Trauma Team est typique d'un univers riche et bien pensé et pour cause, le jeu est l'adaptation du jeu de plateau Cyberpunk 2020 sorti dans les années 80 aux États-Unis et inventé par Mike Pondsmith qui collabore à la réalisation du jeu, l'avantage quand on adapte un univers déjà tout prêt et qu'on lui est fidèle c'est qu'une montagne de bonnes idées est déjà là à vous attendre. Et CD Projekt a déjà prouvé avec les romans d'Andrzej Sapkowski (The Witcher) que l'adaptation est un exercice dans lequel le studio excelle.
V for V
Nous retrouvons notre héros chez lui au lendemain du sauvetage. C'est l'occasion de faire plus ample connaissance avec V, homme ou femme, à gage bien décidé à se faire un nom dans le monde de la pègre. Un rapide tour de la chambre nous vante des possibilités de personnalisation considérables. En plus des vêtements, coupes de cheveux et autres tatouages qui impacteront vos résistances ou votre réputation, il est un type d'ajout qui ne peut être obtenu que dans des lieux bien précis : les augmentations et ça tombe bien, on va passer chez le toubib.
En route, on a droit à une balade dans le quartier où vit V. L'environnement fourmille de vie et semble ouvert, on voit bien peu de portes fermées mais puisque notre présentateur file vers son objectif, on ne saura pas jusqu'où il est possible de fureter. En revanche, on ne vera pas un seul écran de chargement de toute la démo, en accord avec la promesse de CD Project de ne pas en mettre un seul dans son jeu.
Le joueur s'arrête brièvement devant un écran de publicité d'apparence banal et devant nos yeux ébahis, ce dernier indique la direction d'un distributeur dans lequel est vendu la boisson dont il vente les bienfaits. Celle-ci sera immédiatement achetée et (au vu de ses capacités énergisantes) disparaîtra dans une poche pour être utilisée au prochain combat. Tous les éléments du décor seront-ils activables de la sorte ? Probablement pas, mais les interactions s'enchaînent sans accroc et ça fait son petit effet.
Nous voici arrivés chez le Ripperdock : un médecin spécialisé dans la pose et l'entretien d'augmentations. Ces dernières sont les technologies que l'on greffe sur le corps humain ou qui remplacent carrément certains organes. Vous voulez des jambes bioniques pour échapper à votre copine faire de supers bonds ? C'est possible. Des lames dans les bras comme la fille du trailer ? Pas de problème. Dans Cyberpunk la société danse sur un fil entre l'humain et le robot, au point que votre transformation en cyborg assassin aura la longueur et l'intensité d'une visite chez le dentiste.
V salut son ripperdock favori, s'assoit, choisit une amélioration occulaire et après une rapide anesthésie c'est parti, sans jamais s'arrêter de faire la conversation, le médecin nous remplace la cornée par une augmentation qui permet de zoomer sur le décors. Il y a quelque chose d'unique à voir sa vision s'éteindre pour la récupérer à l'autre bout de la pièce, les cornées bioniques posées sur la table me retransmettant maintenant les images de mon corps assis sur le fauteil d'opération.
On sort de l'opération bluffé mais avec une question majeure : toutes les améliorations donneront-elles lieu à une telle mise en scène ? On a eu droit à plusieurs minutes d'animations et de dialogues pour une quelque chose de somme toute assez basique : un simple zoom. Qu'adviendra-t-il lorsque nous commanderons une amélioration beaucoup plus lourde ? On a du mal à croire qu'elles feront toutes l'objet du même soin et si c'est le cas, de nombreuses heures de dialogues auront été enregistrées rien que pour ce ripperdock.
L'heure file et déjà nous nous dirigeons vers la fin de la démonstration. Le thème de cette dernière partie ? L'écriture des quêtes. Une société est à la recherche d'un traître dans ses rangs qui a permis le vol d'un précieux robot en donnant des informations à un gang. Ni une ni deux, le rusé V conclut un deal avec la société, celle-ci lui remet une carte de crédit piégée portant un virus, votre mission est de vous rendre dans l'antre du gang, et d'acheter le robot avec la carte piégée.
La quête n'impressionne pas particulièrement par ses embranchements : prévenir les bandits de l'existence du virus ou non, emmener le robot ou l'abandonner derrière, tout régler par le dialogue ou faire parler la poudre … on est là sur des choix classiques de RPG avec dialogues à choix multiples. D'autre choses impressionnent en revanche, le langage du corps des personnage qui se penchent en avant lorsqu'ils sont intéressés et se lèvent pour être menaçants mais aussi les doublages cinq étoiles qui rendent les émotions palpables, il est loin le temps où le chef des brigands vous menaçait avec une posture neutre et un ton vaguement convaincu.
Notre présentateur choisit habillement d'acheter le robot mais d'informer le gang de l'existence du virus, il s'en sort avec le robot payé par l'argent de la société et il met dans la mouise l'horrible représentante de la corporation qui ne méritait que ça. Il choisit ensuite (moins habilement) de céder face aux provocation des membres du gang qui n'aiment pas sa veste (ils sont fous cette veste est incroyable) et s'engage dans un long gun fight.
Slow-motion et glissades reviennent à l'écran, ce qui semble d'abord être une rebelotte du premier affrontement se révèle en fait une démonstration de la diversité des armes trouvables dans le jeu. Dans chaque recoin V trouve un nouveau jouet, qui, dans la plus pure tradition du RPG vient avec une couleur pour annoncer sa rareté et une palanqué de statistiques. On fait tour à tour connaissance avec le fusil à pompe qui fait disparaître les barres de vie plus vite qu'elles n'apparaissent, le fusil intelligent qui vise à votre place (chez moi on appelle ça un aimhack) ou encore les lames mantis qui s'enfonçent aussi facilement dans le béton des murs (pour faire grimpette) que dans la boite cranniène d'un trafiquant de tech. Mention spéciale pour le katana qui, lorsqu'il ne coupe pas, génère un champ magnétique qui dévie les balles, en plus il va bien avec les motifs asiatiques de la veste et selon les mots de Vampyro dans Wakfu "le pouvoir n'est rien sans le style".
Dernière mécanique intéressante qu'il nous sera donné de voir : le piratage du corps d'un chef d'escouade nous permet d'infecter les membres de son unité avec des virus, celui que nous avons vu à l'oeuvre se contentait d'enrayer les armes mais celui qui choisira de spécialiser son personnage en hacking devrait rapidement débloquer des options plus explosives. Le nettoyage du repaire se termine sur un combat de boss, on se contente là d'esquiver des roquettes en balançant tout ce qu'on a sur un sac à points de vie. Si le boss n'est pas bluffant la narration reprend elle très vite la main, à peine sorti du hangar la corporation qui s'est fait voler son robot est là pour récupérer tout ce qu'elle peut, la représentante dont le plan à foiré (puisque nous avons alerté le gang de l'existence du virus) n'est pas là, limogée ou pire, les choix ont des conséquences réelles et rapides dans Cyberpunk.
Le gang ou la société réaparaîtront-ils plus tard pour nous faire payer nos choix ? Le robot aura-t-il une véritable utilité ? Payer avec son propre argent aurait-il changé quelque chose ? Autant de questions auxquelles nous n'aurons pas de réponse car déjà les lumières se rallument et l'on sort de la présentation avec presque autant de questions qu'en entrant.
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