Si aujourd'hui de façon globale l'eSport se développe et se professionnalise, notamment grâce aux sponsors, le modèle actuel semble arriver à une certaine limite et va avoir à se renouveler. Pour analyser cela, je me suis basé sur le premier épisode du podcast « The Executives » dans lequel Ryan Schlieper, responsable du marketing de la gamme Soundblaster de Créative qui sponsorise notamment Dignitas et Complexity et j'ai demandé à [M] Mischa, du service marketing de Millenium son point de vue sur la question.
Ryan Schlieper de Soundblaster
« Le but du sponsoring c'est de montrer que l'on s'intéresse de près à la communauté des Gamers (...) et que l'on incarne l'esprit de cette communauté »
Ryan Schlieper dit cela lorsque lui ai posé la question toute simple, « pourquoi sponsoriser l'eSport ? ». À travers sa réponse, on semble voir que l'idée du sponsoring n'est pas à proprement parler la vente d'un produit en particulier, mais plutôt la présentation de la marque dans son ensemble et son lien avec la communauté des joueurs. En somme l'intérêt dans la démarche qu'adoptent les marques, est clairement de se créer une image de marque qui plaît aux joueurs.
Mischa, marketing manager Millenium« L'enjeu pour les sponsors matériels est qu'il faut se faire une place sur le marché. C'est très compliqué aujourd'hui de sortir des périphériques Gamers si on n'est pas Steelseries ou Razer. Donc la stratégie globale est de communiquer à travers les joueurs pros pour faire connaitre le produit, et faire du branding. Pour les ventes, les sponsors ne sont pas axés sur un retour sur investissement direct, mais ça c'est parce que les teams n'ont pas les outils ou le support pour vendre et pour moi c'est un axe de développement important pour m'assurer d'avoir des sponsors sur le long terme (surtout avec la conjoncture économique dans le hardware et la vente en ligne). »
Le problème qui apparaît dans cette démarche est lié à la notion même d'image de marque. En effet, la définition même de l'image de marque c'est de se créer une image qui place au-dessus de la concurrence. Seulement, quand l'ensemble de la concurrence se construit la même image, c'est à dire une marque proche de la communauté via l'eSport, le sponsoring de ce domaine devient une nécessité, non plus pour être au-dessus des autres, mais pour ne pas être en dessous.
Mischa, marketing manager MilleniumL'exemple typique de ce problème c'est le cas de Logitech, il y a quelques années une grande majorité de joueurs utilisaient des souris de la marque, mais ils n'ont pas investi dans l'eSport quand Razer et compagnie sont arrivés. Ils sont maintenant en train de chercher des moyens de revenir sur le devant de la scène.
On voit donc apparaître clairement une saturation du marché puisque l'ensemble des marques liées au gaming s'investit dans l'eSport. Leur cible, le marché des Gamers, est essentiellement composée de garçons entre 15 et 35 ans. Bien qu'en terme de nombre ce soit important, d'un point de vue sociologique, c'est une catégorie extrêmement restreinte, qui doit être en capacité de s'agrandir pour développer l'eSport. On pourrait imaginer par exemple, que des nouvelles marques beaucoup plus grand public financent l'eSport, même s’il n'y a pas de lien direct (comme MasterCard ou Ford qui sponsorisent la Champions League par exemple)
Mischa, marketing manager Millenium« Il ne faut pas oublier trois choses :
- L'eSport est récent et le phénomène n'est pas compris pour la plupart des « grandes marques ou groupes »
- Les teams sont pour la plupart gérées par des passionnés plutôt que des professionnels.
- Les chiffres (audience, fans, etc.) ne sont pas aussi clairs que ceux de la TV ou du nombre de places vendues dans un stade.
Donc même lorsqu'on a le bon contact face à nous, il est donc difficile de convaincre. Bien sûr tout ceci est en train de changer, les banques cherchent des moyens de parler aux jeunes, les marques sportives et lifestyle (Redbull) commencent à investir dans l'eSport... Mais les contrats seront décrochés par les plus grosses structures, celles qui peuvent apporter autre chose qu'un logo sur un maillot. »
La dernière question qui nous intéresse au niveau de l'eSport pour comprendre comment le sponsoring fonctionne c'est de se pencher sur le retour sur investissement. Regardons ce que Schlieper en dit :
Ryan Schlieper de Soundblaster
« Nous croyons que c'est un bon investissement (...) Tout repose sur la conception de ce qu'est un gamer. Ce n'est plus le gars qui joue dans le sous-sol de sa grand-mère. Le casual gaming et le social gaming font voler en éclat la conception que nous avons de ce que sont les joueurs. Nous avons choisi cette activité, car nous pouvons atteindre le bon public »
J'ai des doutes sur la démarche que défend Schlieper. En effet, s'il le public casual a un profil sociologique tout à fait différent, et notamment des moyens financiers plus importants, j'ai des doutes quant au fait que les marques de périphériques/hardware Gamers les intéressent. Il parlait notamment de social gaming. A-t-on vraiment besoin d'un casque Soundblaster, d'une souris Razer, et d'un i7 pour jouer à Farmville ? Comment les marques y trouvent elles leurs comptes ? Demandons à notre grand manitou du marketing :
Mischa, marketing manager Millenium
« Je pense que plutôt de dire qu'ils y trouvent leur compte, c'est plus (comme tu l'as précisé avant) qu'il y a une obligation d'investir, afin de parler aux Gamers. En ce qui concerne les joueurs, il faut faire la distinction entre tous les types de joueurs, les ranger par catégories, afin de bien communiquer auprès d'eux, en effet on ne vendra pas un i7 a un joueur de Farmville, mais est ce que le joueur de Farmville s'intéresse à l'eSport ou pourrait s'y intéresser? L'eSport est pour le moment une niche, cependant les Gamers qui s'y intéressent sont en très grande partie des « influenceurs » pour leur entourage. L'autre chose importante à noter est qu'en informatique ceux qui ne s'y connaissent pas sollicitent les influenceurs. La logique est donc de convaincre l'influenceur pour atteindre une grande partie de la population. »
Scott « Sbourf » Sitbon