Éditeur : Rockstar Games
Développeur : Rockstar Games
Plateformes : PS3, Xbox 360, et PC
Date de sortie : 18 mai 2012 (version consoles), 1er juin 2012 sur PC
Le repentir est une seconde faute. Au pays des banditos où on s'échange les poignées de dollars comme le plomb dans les guerres syndiquées du crime en milieu urbain, il est difficile de faire son trou, surtout quand on est flic. La ville est généralement ce cercueil puant où les trottoirs sont comme des bandes passantes de vies au réseau saturé et au morne bétonné. Le vice habite les murs de ces cités où les forces de l'ordre sont impuissantes, et où une dose de Valkyr peut coûter un destin heureux à une famille.
Maximum Justice
Max était de ces personnes qui avaient voué un culte à la justice sous toutes ses formes. De ces adorateurs zélés qui comme des nouveaux convertis à une religion en font plus que les autres pour donner un sens à leurs actions et légitimer leur foi auprès de leurs pairs. Une famille, une vie, un boulot, c'était le quotidien du New Yorkais avant qu'une horde de junkies l'ampute d'une partie de sa recette du bonheur lors d'un accès de fièvre meurtrier. Le flic perdait alors ses deux amours et aussi son emprise sur la réalité. Il sombrait dans une soif de vengeance et de bourbon mêlés inextinguible. Névrotique, jamais vraiment remis, Max rendra sa plaque quand les ficelles qui dansent au-dessus des têtes finiront d'animer le petit théâtre des marionnettes qui gouvernent Big Apple, l’écœurant à tout jamais de la profession. La corruption et les complots en décors patentés de la mégapole ont finalement eu raison de lui et de son engagement. Il allait enfin pouvoir embrasser le noir de sa dépression...
Jamais bien loin de la bouteille, comme pour y noyer son passé qui revient par vagues, Max a touché le fond. La bouche pâteuse, les pensées aux allitérations cycliques plein le crâne et la tristesse dans le regard, l'ex de la criminelle a lâché prise et regarde défiler les heures derrière les verres qu'il ingurgite par batteries dans les rades miteux des quartiers où il avait, fut un temps, fait régner la loi.
Puis arriva le jour où Passos recroisa son chemin, cet ex-collègue qu'il avait rencontré à l'école de police quand jeunot, il avait les idées plus claires et l'ambition candide d'éradiquer de l'univers de ses concitoyens les pratiques aliénantes de la pègre locale. Passos lui promettait un nouveau départ, une nouvelle vie là où il avait échoué à se retrouver lui-même. Il pourrait enfin se relancer, tirer un trait sur toutes ces filles de joie dont il a oublié le visage et le nom, passer à autre chose, la gueule enfarinée par les antalgiques surdosés massivement.
Complètement bousillé et paré comme l'armurerie clandestine du coin, Max débarque en Amérique du Sud le regard vitreux. Derrière sa paire de Ray-Ban, rien n'a vraiment changé, c'est toujours le bordel dans sa tête à l'instar de son appartement, en vrac. Il vit à la dérive, la violence jamais bien loin de ses journées ordinaires, un mariage de circonstance qu'il a appris à tutoyer, lui qui est devenu le porte-flingue d'un baron de l'industrie brésilienne et dont la famille semble tout droit sortie d'un roman de Puzo.
Il fallait au moins que Rockstar nous fasse dériver sous les tropiques pour couper le cordon ombilical. Sao Polo nous ouvre les bras comme une promesse exotique pour nous faire oublier le background habituel de la série et lui donner un second souffle. Pourtant Max Payne 3 respire la tradition. Cette tradition que Remedy a scellée à travers les deux premiers opus de Max Payne et qui nous avait fait découvrir ce personnage au blouson de cuir et au flingue bavard campant ces histoires proches du polar entrecoupées de bonnes rasades d'action bien tranchantes.
Pas évident de prendre la suite derrière les épisodes de Remedy, surtout que ceux-ci jouissent d'un statut de jeu culte auprès des aficionados. Comme pour le Batman de Burton on attendait d'avoir pour ce Max Payne une suite digne de celles que Nolan a tournées et dédiées au héros de la nuit. Un rapprochement que l'on peut faire même si dans Max Payne 3 il est rare que le chauve sourie. Dans le genre retranscription d'un univers pour l'investir de sa patte, Rockstar est plutôt un client sérieux, restait à connaître les modalités du voyage.
Un verre et contre tous
Far West moderne, déambulation chaotique, Rockstar réinvente Max dans sa délocalisation. L'homme n'est plus qu'une ombre qui traverse les tableaux, il est cet étranger dans son propre univers. Le joueur, lui, suit à distance son évolution au gré des questionnements qui nous embarquent dans les méandres de la pensée du personnage. Plus arrachée que jamais, la narration joue du tiroir comme d'un numéro de claquettes à Las Vegas et on retrouve du ton de Dan Houser, le scénariste des GTA, dans les digressions qui s'invitent ad libidum à l'écran.
Le jeu zigzague entre les flashbacks et le fil réel de l'aventure de manière épileptique, le tout est saturé par des effets cosmétiques de post-traitement qui entérinent cette vision de l'altération psychique de l'inspecteur déchu. Lucifuge, le jeu l'est resté, et paradoxalement il le fait sous la lumière perçante de l'été brésilien.
Si Max Payne 3 a perdu la verticalité et la noirceur de New York, il a gagné avec Sao Polo une folie et une violence qui singulariseront l'expérience pour le joueur. Les favelas sont autant de cicatrices ouvertes qui brunissent et pourrissent sous le soleil. Max en arpente les ruelles comme un touriste lunaire en chemise hawaïenne. Les Occidentaux qui se sont échoués là font le tour des tapins, des boîtes de strip-tease entre deux sniffettes de blanche et deux verres de Bacardi.
Au milieu de cette misère qui agresse la rétine, Rockstar renvoie d'un coup d’éventail les mauvaises odeurs aux joueurs, comme pour singer la réaction typique d'un impérialisme mal assumé. Et ça marche plutôt bien. Payne participe à cette représentation de la dégénérescence morale, lui, dont la conscience en décomposition dérive en fonction de son taux d'alcoolémie. Il est ce loser qui ne mériterait même pas qu'on dépense le prix d'une balle pour l'abattre, et est au même moment le dernier rempart d'humanité auquel le joueur peut s'accrocher quand les charognes aux alentours font et défont les destinées de ces générations de paumés sacrifiées.