Le phénomène de burnout sur la scène CS:GO est-il bien parti pour durer ? On pourrait croire qu’au rythme actuel des choses, on aura dans tous les cas bientôt plus de chances de trouver un remède contre la Covid-19 que d’enrayer les situations d’épuisement qui touchent les joueurs professionnels de la discipline.
Ce qui laisse à penser ça, c’est en partie l’annonce réalisée hier soir par l’ESL quant à sa prochaine édition du Pro Tour, circuit international regroupant certains des plus prestigieux tournois de l’univers du sport électronique. Sortes de grands chelems, avec une cagnotte cumulée de 4,5 millions de dollars, ils alimentent (comme tous les autres tournois importants) le classement par équipe d’HLTV, une référence du milieu et un point névralgique de l’écosystème ouvert de la scène esportive du jeu de Valve — que ce soit par exemple pour l’attribution des invitations directes à destination des clubs pour des grands tournois, ou des objectifs de positions à atteindre inclus dans des contrats de joueurs.
Dans la forme, tout laisse pourtant à penser que l’Electronic Sports League semble vouloir se préoccuper du bien être des cyber-athlètes qui prennent part à ses compétitions : dans l’annonce, on apprend que le calendrier est passé de 10 grands rendez-vous physiques (plans initiaux de 2020, avant la pandémie mondiale qui avait finalement fait basculer le monde de l’esport dans du tout online) à 8 événements importants pour 2021. Ce qui devrait moins faire voyager — en théorie — les équipes participantes. Alors que le planning de certaines de ces compétitions a également été revu, pour s’étaler sur deux semaines, au lieu d’une précédemment, dans le but de moins enchaîner et offrir plus de temps de repos aux esportifs entre chaque moment clef de la compétition.
Mais dans le fond, beaucoup de questions ont enflammé une scène déjà bien attristée par tous les cas de joueurs en situation de décrochage total pour cause d’épuisement. L’ESL a-t-elle, avec toutes ses mesures, vraiment agi pour le bien être des joueurs ? Ou est-ce un bon moyen de surfer sur la vague et jouer le rôle de héros tout en asseyant un peu plus sa domination sur le marché ? La question divise.
Oui, le fait d’annoncer aussi tôt le calendrier des événements estampillés IEM, Pro League ou DreamHacks, permettra sûrement aux organisations de préparer au mieux leur agenda. Oui, en relation avec les équipes qui avaient signé les Accords du Louvre, du temps de repos a été gratté par-ci par-là — comme la possibilité pour les équipes qui seront éliminées tôt dans les tournois de rentrer directement chez elles, plutôt que de devoir attendre l’avion du retour prévu pour tout le monde le lendemain de la finale.
Mais d’autres points restent quelque peu problématiques. Car avec cette répartition assumée et étalée dans le temps, l’ESL laisse très peu de marge de manœuvre à sa concurrence, c’est-à-dire les autres organisateurs de la scène, tels que BLAST ou Flashpoint.
Engagé dans le projet Flashpoint justement, et donc pas forcément totalement impartial au moment de s’exprimer sur la situation d’un « adversaire », MonteCristo a d’ailleurs mis en exergue plusieurs problèmes qu’il juge éthiquement dérangeants. Déjà, le fait que dans le calendrier civil en marge du circuit annuel de CS:GO, l’ESL monopolisera à elle seul 40% des journées (145 jours) pour ses compétitions. Quand on ajoute les périodes de Majors (normalement deux par an), les jours de déplacement, et les journées d’entraînement quotidiennes des équipes, cela augmente considérablement la note. Jusqu’à laisser finalement deux opportunités aux joueurs et aux clubs : profiter du temps qu’il restera pour se reposer un peu, ou jouer à Bob Le Bricoleur sur Google Calendar pour pouvoir participer à d’autres tournois qui ne sont pas promulgués par l’ESL.
Ce qui dérange ici est très simple. On parle d’une situation de monopole que l’ESL tente (encore une fois) d’obtenir, en étalant un peu plus ses compétitions dans le temps, en essayant en somme de prendre plus de place qu’avant, et en jouant la carte de la privatisation des plus gros clubs mondiaux sur un calendrier unique qui ne laisserait que des miettes aux autres. Est-ce une mauvaise chose ? Rien n’est tout noir ou tout blanc. Disons qu’on tend plutôt vers le gris. Puisqu’au final, l’ESL est une entreprise, et elle compte bien mettre les plus grands noms de son esport-spectacle dans sa poche, en leur proposant un projet structuré dans le temps et garant d’une certaine stabilité financière. En fait, tout cela semblerait normal, si Valve était aux manettes et avait ordonné la création d’un circuit unique, porté par l’ESL. Ce qui n’est pas le cas dans l’écosystème ouvert qu’est l’esport de Counter-Strike.
Autre problème judicieusement mis en avant par l’acteur de Flashpoint : le fameux temps de récupération implanté lors des tournois, entre les phases de groupes et les playoffs. Du temps dit « OFF », mais lors duquel les équipes seront bien évidemment en déplacement, souvent loin de chez eux, et même obligés de participer s’il le faut à des cessions de media days. Puisque ceci est un autre élément balancé par l’ESL dans ses annonces de grande révolution : il faut plus de storytelling, et celui-ci sera davantage créé sur le temps de présence des équipes aux tournois, qui passera d’environ une semaine auparavant, à presque deux aujourd’hui.
Autre porte-voix du milieu esportif de CS:GO, le rédacteur français Dorian Costanzo a lui aussi rapidement réagi sur l’étrangeté d’une nouvelle prérogative du plan de l’ESL pour le futur : le fait pour les équipes de devoir voyager de leur domicile jusqu’au flambant neuf studio européen — l’une des principales nouvelles de l’annonce — de la firme allemande, pour y jouer des matchs de phase de poule, avant de s’envoler par la suite vers un autre emplacement, où une arène les attendra pour disputer des playoffs. Autrement dit : double dose de déplacement à prévoir, ce qui pourrait aussi être mal digéré.
Ces plans de l'ESL pour le Pro Tour édition 2021 sont-ils bons ? Difficile de juger sur le court terme, sans tomber dans le camp des aficionados, ou celui des détracteurs. Surtout dans une période aussi instable économiquement et sanitairement parlant. Il s'agirait de pouvoir retrouver une vie normale, avant de parler de potentielles LAN. Ce qui n'est pour l'instant pas gagné...