Après plusieurs mois de compétitions acharnées, deux structures de Division 2 ont obtenu leur ticket pour la LFL, première division française de League of Legends : Team BDS et Team Oplon, qui doivent maintenant monter un dossier administratif auprès de Riot Games pour se faire définitivement accepter. Dans une interview croisée de leur manager respectif, nous leur avons donné la parole. Dans une ambiance détendue, aucun sujet n’a été esquivé (mercato, scène française, franchises et ligues ouvertes, covid-19…).
Bonjour ! Pour ceux qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous vous présenter ainsi que votre structure ?
Après un petit moment de silence pudique, c’est Alejandro qui prend la parole en premier… Pour renvoyer la patate chaude à son homologue.
Alejandro : " Vas-y ! À toi l’honneur ! "
Hisosow : " Hello, du coup je commence, Hisosow de Team Oplon, je m'occupe de la partie esport, si on devait mettre un nom sur le poste ca serais directeur esport. Je m'occupe de toutes les sections esport mais principalement de League of Legends. Nous sommes présent sur d’autres jeux avec principalement du Versus Fighting (Super Smash Bros. Ultimate, Soul Calibur VI et Dragon Ball FighterZ), mais aussi Hearthstone et Rocket League."
Alejandro: " Moi c’est Alexandre Lopez, j’ai 30 ans et je suis chez Team BDS depuis janvier. Avant ça je suis passé chez MeetiX, Millenium, Vitality et le club de Valencia en Espagne. Chez BDS je suis responsable stratégie et développement. Je m’occupe de la stratégie esport : recrutement, développement, sponsors et médias. C’est le même boulot mais avec un nom différent (rires). Quant à BDS, c’est une structure suisse fondée en juin 2019 qui est présente sur 7 jeux, dont R6 et Rocket League où on est en Pro League. On est arrivés sur LoL en reprenant le slot de Bastille Legacy en mars dernier."
Avez-vous eu l’occasion de vous croiser personnellement avant cette interview ?
Alejandro : " Moi j’ai connu Oplon à l’époque où ils s’appelaient Infamous. Je me souviens qu’ils avaient une équipe 11c11 sur FIFA."
Hisosow : " C’était il y a super longtemps ! Avant de s'appeller Team Oplon on etait une association qui s’appelait InFamouS eSport. J'ai rejoins le projet en 2014 de memoire et Team Oplon a vu le jour en 2018 si je ne trompe pas. Pour ma part, je connais Team BDS via R6. Ils font partie des meilleurs du monde et c'est super de voir une structure francophone de ce niveau à un niveau aussi élevé ! "
S’en suit une discussion passionnée et passionnante entre les deux managers. Ils en profitent pour s’échanger des amabilités mais également partager des souvenirs avec une certaine nostalgie des LANs passées et des personnes perdues de vue. Si l’esport français a bien évolué, le plaisir est lui toujours bien présent.
Bilan de la Division 2
Pour revenir sur la Division 2 et avant de faire le bilan, j’aimerais savoir comment BDS a acquis le slot de Bastille Legacy (BST).
Alejandro : " Pour resituer dans le contexte, quand je suis arrivé en janvier il n’y avait pas encore d’équipe League of Legends, seulement une volonté d’arriver sur le jeu. L’idée c’était de réaliser le meilleur coup possible et on a eu l’opportunité d’acquérir le slot de Bastille Legacy via Riot Games. Les joueurs avaient des petits soucis avec leur structure et dès qu’on a eu le feu vert, on a fait l’acquisition des joueurs et du staff. C’était une équipe que je suivais avec curiosité par le passé et on leur a apporté toute la structuration matérielle et légale nécessaire. "
Team Oplon est elle là depuis le début de la saison. Quel bilan tirer de la première année de la Division 2 ?
Hisosow : " Les choses ont pas mal bougé depuis le début de la saison. Deux structures sont arrivées en cours de route et elles ont beaucoup apporté. D’un côté BDS a amené plus de prestige parce que c’est une grosse structure esport. Ils ont aussi apporté un peu plus de professionnalisme et c’est cool de voir une équipe de ce calibre s’investir à ce niveau. Et il y aussi la Kameto Corp qui a repris Unfazed. Ils ont amené une vision un peu différente avec le côté streaming et animation. Sinon j’ai trouvé la saison très intéressante avec un classement très serré et une fin palpitante, digne d’un shonen. Tout le monde a eu des hauts et des bas, il y a eu des petites histoires et je pense que l’année prochaine la Division 2 sera encore meilleure. C’est bien pour la scène, les joueurs et les structures que la Div 2 se rapproche de la LFL. On a aussi pu le voir avec les audiences et les réactions sur les réseaux sociaux qui ont beaucoup augmenté au cours de la saison. "
Le bilan chez team BDS doit être aussi très positif. En reprenant le slot du premier au classement, j’imagine que l’objectif c’était la montée ?
Alejandro : " Effectivement ! On ne va pas se mentir, quand on a repris l’équipe, le gros du travail avait déjà été fait ! Ils avaient pas mal d’avance et ça nous a donné un gros avantage. En plus, niveau calendrier on avait la chance de ne plus avoir à jouer des équipes comme Oplon… "
Hisosow : " Plus de grosses équipes ! (Rires) "
Les deux passionnés refont alors ensemble la saison de LFL dans la bonne humeur. La saison a été éprouvante pour tout le monde et les dernières semaines furent particulièrement intenses. Les deux managers se félicitent en tout cas du niveau global de la Division 2. Si des équipes comme la Kameto Corp et GO Academy resteront en seconde division l’année prochaine, elles les ont quand même impressionnés.
J’aimerais revenir sur le fameux tie-break de fin de saison entre Team Oplon et la Kameto Corp. Comment l’as-tu vécu en interne ?
Hisosow : " Comme on avait un peu plus d’expérience sur des matchs à enjeux, j’étais quand même assez confiant. D’autant plus que si sur un Bo1 tout peut arriver, là c’était un Bo3. C’était tendu pour les joueurs mais aussi pour le staff. On était tous aux locaux et l’ambiance était vraiment plaisante. C’est pour ressentir ce genre d’émotion que je suis dans l’esport. Les joueurs se sont donnés à fond et n’ont rien lâché, même après avoir perdu la première game. En plus, comme en face la communauté de la K-Corp mettait un peu de pression, la victoire n’en était que plus réjouissante. "
Est-ce que du côté de BDS vous avez suivi le Bo ? C’est le gagnant que vous attendiez ?
Alejandro: " Je vais parler uniquement en mon nom, car nous étions assez divisés sur la question. Moi, je ne veux pas me faire d’ennemi, mais je voyais Oplon gagner. J’aime beaucoup certains profils individuels chez K-Corp, mais collectivement Oplon partait avec de l’avance. Je peux me tromper, mais il me semble que niveau structure et encadrement c’est au-dessus. Dans tous les cas, je suis content parce qu’on avait parié en interne et j’ai gagné ! "
La dernière phrase pique la curiosité d’Hisosow qui essaye d’arracher les vers du nez à son homologue. Il veut savoir qui a parié quoi et compte bien demander des comptes à ceux qui n’ont pas cru dans son équipe. Les discussions restent bon enfant, l’ambiance est bonne en Division 2. Il faudra voir l’année prochaine en LFL si c’est toujours le cas.
Joueur idéal et recrutements
Vous avez évoqué l’importance de l’expérience. Quels sont les meilleurs profils pour former une équipe ?
Alejandro : " League of Legends est le jeu idéal pour avoir un mélange de profils. Il faut des rookies, qui ont cette animosité, cette motivation de vouloir faire leurs preuves, avec un bon encadrement, quelqu’un avec de l’expérience pour cadrer et apporter de la sérénité. Un équilibre entre l’expérience et la fougue. "
Hisosow : " Je suis assez d’accord et c’est ce qu’on a fait cette année. On avait des anciens joueurs LFL avec Hyorai et Dreamsu mais aussi des rookies comme Frappi. Même s’il a déjà fait pas mal de choses sur League of Legends, il reste un très jeune joueur. Il faut des rookies un peu foufous qui peuvent libérer leur talent et avoir des senpais pour les cadrer et faire redescendre la pression. C’est un équilibre qui nous a plutôt bien réussi cette saison. "
J’ai une question un peu piège… Si vous devez piocher dans le roster de votre homologue, quel joueur vous a le plus impressionné ?
Les deux marquent un petit temps d’hésitation et rigolent d’un air un peu gêné, avant qu’Hisosow brise le silence
Hisosow : " Je dirais Chreak. Il a fait une bonne saison et il a bien joué son rôle de capitaine, alors que ça n’a pas dû être toujours facile quand ils étaient chez BTL. En plus je l’aime bien, j’ai eu l’occasion de discuter et de rigoler avec lui sur Discord, comme les joueurs se connaissent un peu tous. "
Alejandro : " Moi je ne vais pas respecter la règle parce que je vais en donne deux. J’aime beaucoup le profil de Vince depuis un moment et j’apprécie vraiment le regarder joueur. L’autre c’est Frappi, que je ne connaissais pas du tout. C’est une découverte. "
Si ce n’est pas trop confidentiel, est-ce que des transferts sont prévus aujourd’hui ? Pour Team Oplon c’est bien obligé puisque Frappi a signé chez MCES…
Hisosow : " Pour l’instant c’est un peu trop tôt ! La prochaine saison commence en janvier et il y a encore beaucoup de temps pour réfléchir. Cette saison on a déjà eu des changements avec deux joueurs qui sont partis en LFl (Dreamsu et Eyliph). On a pris l’habitude et on sait ce dont on a besoin. Mais pour le moment, je ne peux pas répondre plus précisément parce que je n’en sais rien. Il faudra forcément trouver un remplaçant pour Frappi et pour les autres, on ne sait pas encore de quoi sera faite l’année prochaine. "
Alejandro : " Pas non plus de commentaire, c’est trop tôt pour en parler. Dans l’esport, d’ici janvier une multitude de choses peuvent se passer. On va prendre les moments comme ils viennent, dans l’immédiat. On est ravis de nos joueurs et de tout ce qui va avec, mais on sait comment fonctionne l’esport… "
Est-ce que c’est important pour vous de garder un roster français ou francophone ?
Hisosow : " Oui ! Je pars du principe que c’est une ligue française et que le but c’est de mettre en avant des joueurs français. Que cela soit en Division 1, en Division 2, en Open Tour ou dans la Grosse Ligue, il en faut un maximum. Ce n’est pas toujours respecté et je trouve ça dommage. Chez Team Oplon, on va essayer de conserver un maximum de français tout en restant compétitif. J’aimerais avoir un roster full français, mais on sera réalistes. S’il n’y a pas de français au niveau à son poste on prendra un international. "
Alejandro : " Je suis pour une majorité de francophones, mais la réalité c’est que certaines équipes se renforcent avec des joueurs étrangers. Elles arrivent notamment à dénicher des talents expérimentés du LEC qui apportent une plus-value monstrueuse…Il faut que ça soit cadré par Riot Games et je n’ai pas envie qu’on devienne comme les LCS où avec le système de résidence, les américains ne trouvent même plus d’équipe. Pour le moment une règle avec maximum 2 étrangers m'irait très bien, notamment parce que j’ai un Belge et un Tunisien dans l’équipe. On reste francophone, mais je ne vais pas mentir. Même aujourd’hui notre équipe n’est pas 100 % française ! (rires). "
Hisosow : " Après pour moi c’est différent pour les francophones. Il y a plein de petits pays comme la Belgique ou la Suisse qui n’ont pas de grande division, ça serait dommage de bloquer ce genre de joueurs. "
Une discussion naît ensuite au sujet des LCS et de leur politique agressive d’importation. Comme beaucoup, les deux managers regrettent la fuite des talents européens. Mais des ligues nationales comme la LVP Espagnole n’échappent pas non plus aux critiques.
Quelles ambitions l'année prochaine en LFL ?
Si on se projette sur la prochaine saison de LFL, quelles sont les ambitions de vos équipes ?
Hisosow : " Nous en avons déjà parlé entre nous et on essaye d’être réalistes. Pour nous l’objectif sur la première saison c’est de se qualifier en playoffs. Le reste c’est que du bonus. "
Alejandro : " Nous c’est minimum les playoffs. On veut se donner les moyens et faire une performance honorable dès la première saison. "
Le fait que vous montiez ensemble, est-ce que ça vous rapproche ou ça instaure plutôt une rivalité ?
Hisosow : " Il n'y a pas de rivalité avec BDS. Ils nous ont battus 2-0 cette année et on compte bien se venger l’année prochaine (Alejandro rigole gentiment) mais c’est tout. On part du même endroit et je pense on sera plus amis que rivaux, comme c’était déjà le cas en Division 2. Ils nous ont déjà soutenus via leur CM durant notre tie-break et on a pas mal d’amis chez eux. Si les deux équipes vont en playoffs, je serai super content. "
Alejandro : " J’ai le même point de vue, il n’y a aucune rivalité. C’est vrai que notre CM les a soutenus pendant leur tie-break et j’apprécie que ça ne soit pas passé inaperçu. Le scénario idéal serait qu’on se qualifie tous les deux pour les playoffs… On va être les petits poucets l’année prochaine. Il y avait déjà du soutien entre nous cette année et je pense qu’il sera encore plus accentué en LFL. Même si un de leur objectif c’est de prendre leur revanche sur nous (rires). "
Hisosow : " On sera dans le même bateau, aucune autre équipe ne pourra mieux nous comprendre que BDS. "
Les deux managers discutent ensuite longuement sur le sujet des ligues ouvertes et des ligues fermées, dites franchisées. Les deux partagent le même point de vue. Les ligues fermées apportent de la sécurité et de la pérennité aux structures sur le long terme, mais les ligues ouvertes gardent une saveur unique tout en garantissant une haute compétition à l’intérieur de la ligue. Il n’y a pas moyen de se reposer sur ses lauriers. S’ils reconnaissent qu’à haut niveau, les franchises sont nécessaires pour rassurer les investisseurs, ils apprécient que la LFL fonctionne avec un système de promotions et de relégations. Le système français avec les différentes ligues, permet à un joueur de se professionnaliser palier par palier sans se heurter à un plafond inaccessible.
Comment la montée en LFL va impacter vos structures ?
Alejandro : " La visibilité est beaucoup plus importante et les structures en LFL sont plus grosses, du coup les négociations de sponsoring se font à la hausse. Il y a aussi plus d’exigences et d’attentes, auxquelles nous devons répondre. On a déjà les locaux nécessaires, mais on va quand même devoir faire des aménagements. De plus, le gros de notre fanbase se trouve sur R6 et Rocket League. Maintenant on veut développer notre équipe LoL sur le long terme. On prépare pas mal d’activation sur League of Legends. "
Hisosow : " Une montée en LFL ça implique un plus gros budget et des objectifs différents. C’est vrai pour la structure mais aussi pour les marques qui nous soutiennent. League of Legends va être encore plus mis en avant chez nous. "
L'impact du covid-19
Est-ce que la covid-19 a impacté vos structures ?
Alejandro : " Pour être franc, même si ça nous a freiné côté Entertainment, ça nous a été globalement bénéfique. On a fait de l’acquisition en pleine période de covid et de confinement. Là où beaucoup d’équipes se sont séparées de joueurs ou ont mis leur staff au chômage partiel, nous avions au contraire les fonds pour tenir. On a pu montrer notre force de frappe. C’est notamment à ce moment là qu’on a recruté notre équipe Lol. Evidemment, il y a eu d’autres côtés négatifs : on n’a pas réalisé des projets sur notre centre d’entraînement et des activations avec des sponsors n’ont pas eu lieu. "
Hisosow : " Pour nous, ça s’est aussi bien passé pour l’équipe LoL. Déjà parce que la division 2 c’est une ligue 100 % online. On avait prévu des bootcamps et on a pu les faire avant et après le confinement. On a aussi fait des économies, comme beaucoup de LANs ont été annulées. Après c’est dommage, parce que ce sont toujours de très bonnes expérience d’équipes… Nos sections VS Fighting ont beaucoup plus souffert (Smash, Soul Calibur), elles se sont retrouvées sans compétition. "
Nous arrivons à la fin de cette interview, pourquoi devrions-nous vous soutenir l’année prochaine en LFL ?
S’en suit un silence gêné où personne n’ose se lancer.
Alejandro : " Ahah le blanc ! Ce n’est pas facile de faire sa publicité. Je vais répondre pour nous deux : venez donner votre soutien aux challengers ! Nous sommes les petits poucets et vous ne serez pas déçus de nous ! '
Hisosow : " Oui, on a faim ! On aura peur de personne et j’espère que les autres auront peur de nous. On va se donner à 200 % pour la saison à venir. "