Quand nous avons abordé les transferts fin 2019, nous avons surtout parlé des joueurs, coachs et équipes. Mais une femme au parcours aussi surprenant que passionnant a marqué le mercato en rejoignant l’écurie la plus titrée de l’histoire de League. Retour sur le parcours de Hajinsun, passionnée d’esport aux multiples casquettes, qui a rejoint T1 à l’aube d’un renouveau attendu pour la Corée.
J’ai rencontré Hajin en 2015, à l’occasion du mondial de League of Legends à Paris, lors de la semaine de viewing party organisée par O’Gaming pour l’événement. Passionnée et émerveillée par l’esport, elle arrivait dans l’écosystème pour la première fois en tant que traductrice franco-coréenne pour Riot Games, avec en bagage un parcours brillant : “Je suis arrivée en France quand j’avais neuf ans. J’ai eu un parcours assez classique : grand lycée Parisien, Bac S, puis j’ai intégré Centrale Paris en 2012. Mon avenir était déjà un peu tout tracé” raconte-t-elle. 2012, c’est également l’année où Hajin commence à s'intéresser à League of Legends : "D’abord au jeu, puis l’esport est venu assez tard finalement, en 2014” .
C’est cette curiosité pour le jeu et sa discipline qui ont conduit Hajin à travailler sur le mondial de 2015. Mais à ce moment là, elle ne se doutait pas que cet avenir qu’elle pensait tracé la mènerait bien ailleurs. Avec humilité, elle explique son parcours lui a apporté beaucoup de crédibilité à une époque où les diplômes dans l’esport étaient un peu mis sur le côté : “L'école ne m’a pas appris de ‘hard skill’ qui m’ont aidés dans l’esport. Finalement, ce qu’on t’apprend à l’école c’est travailler avec d’autres personnes, savoir trouver sa place au sein d’un projet” et c’est certainement ce dernier élément qui correspond le plus au parcours de Hajin en esport aujourd’hui.
2015 a été l’année charnière en esport pour elle, et si la route a été parsemée d’aventures, elle n’a pas pour autant été facile. En tant qu'ingénieure centralienne en devenir cherchant sa place dans une sphère esport qui se construit elle aussi, Hajin a su être curieuse et expérimenter pour trouver sa voie : "Après les Worlds en 2015, j’ai travaillé avec l’équipe LoL du PSG esport l’année suivante. J’ai fait mon stage de fin d’étude chez Canal+ en 2017 : c’était en rapport avec l'ingénierie mais c’était aussi l’année de lancement de leur programme esport auquel j’ai pu contribuer. Cette année là, c’était beaucoup de piges, mais aussi ma première expérience StarCraft avec la Home Story Cup XVI”. Fin 2017, Hajin termine également ses études et elle décide d’ouvrir en grand la porte de son aventure esport : ”Je décide de partir freelance, et en 2018 je participe au MSI, Nation Wars en tant que host sur trois langues différentes. Puis fin 2018 j’ai la chance de host les Group Stage des WCS à la Blizzcon”.
Une année très remplie, mais de laquelle Hyunseon ne sort pas tout à fait sûre d’elle. Être freelancer et l’instabilité que cela peut impliquer la fait douter, et elle a du mal à envisager un chemin similaire pour 2019 : ”J’ai fait mes débuts sur de nouvelles scènes avec les critiques que cela implique, et n’étant pas pleinement satisfaite et confiante sur ma performance aux WCS, je me voyais mal continuer dans le freelancing pour les années suivantes”. Apprenant les leçons de 2018 et ce qui ne lui correspond pas, elle reste néanmoins ouverte à tout, postule à divers endroits, et c’est ainsi qu’elle rejoint l’équipe LEC de Misfits pour aider Gorilla et PoohManDu, recrues coréennes de la promo 2019 de la structure.
Nouvelle aventure et nouveau challenge. On se rappellera à posteriori de la tristement célèbre aventure Misfits en 2019. La désillusion de cette équipe promise à de grandes choses, et Hajin, qui s’est battue dans l’ombre et a essayé de composer au milieu de tout ce chaos : ” Je suis sortie de cette expérience en me demandant ce que je voulais faire. Travailler pour une équipe oui, mais le côté ‘maman de joueurs’ de manager d’équipe m'intéressait peu. Je considérais aussi l’option d’aller en Chine, travailler pour la LPL, apprendre le chinois. En bref, tenter une nouvelle aventure”. Le mercato de la jeune femme suivant son cours, elle est proactive et prend contact avec équipes, broadcasts et organisations diverses pour passer des entretiens. Mais la question que tout le monde se pose quand on voit la dernière étape en date pour Hajin : Comment - as - tu - rejoint - T1 ????
D’un contact, elle apprend que SKT, récemment renommé T1, cherche à recruter. Elle envoie spontanément son CV. Armée d'expériences toutes aussi solides que nombreuses, son profil séduit les triples champions du monde en quête de renouveau et de changement : ”Ce qui m’a plu, c’était que je voyais une volonté de T1 pour se reconstruire. Ils étaient dans une période de transition et ils recrutaient massivement”. C’est donc pour s’inscrire et faire partie de cette transformation que Hajinsun rejoint le fameux blason coréen. Avec une volonté des équipes coréennes et notamment T1 de s’ouvrir vers l'occident*, Hajin explique qu’elle agit notamment en tant que pont entre l’équipe basée à Séoul, et le CEO Joe Marsh à Philadelphie.
(*ndlr : on peut prendre comme exemple les réseaux sociaux, productions médias des équipes et orientations de marques bien plus tournés vers la fanbase occidentale qu’auparavant sur les six derniers mois ; dans le cas de T1, depuis l’alliance avec Comcast Spectacor)
Avant que Hyunseon ne s’envole vers Séoul, elle était passée dans l'émission du Skell pour parler des équipes coréennes, de leurs habitudes mais aussi et de la perte de vitesse ces dernières années en matière de résultats à l'international. De sa position de spectatrice et professionnelle en Europe, elle est arrivée en LCK avec des objectifs, et forcément certaines attentes : "Je m’attendais à ce que les joueurs s'entraînent dur, que l'entraînement soit millimétré, mais aussi que les joueurs soient par conséquent assez fermés. Ca s’est confirmé. Il y a peu de flexibilité dans la façon de s'entraîner, ce qui je pense est dû à la culture coréenne”.
Quand on discutait avec Hajin dans le Skell de l’impact de la culture coréenne en compétition, je l’entendais souvent dire “quand quelque chose est ancré, c’est difficile de tout chambouler du jour au lendemain”. Compréhensible finalement quand on regarde un pays qui a brillé pendant plus d’une décennie dans plusieurs disciplines. Si cela a marché pendant autant de temps, pourquoi ce n’est plus le cas ? Ce sont des questions et des problématiques auxquelles le nouveau ‘management’ souhaite répondre, et c’est dans ce changement que s’inscrit aujourd’hui Hajin : “Il est question de changer les conditions de vie, organiser des choses en dehors du jeu pour les joueurs, pourquoi pas penser à de nouvelles façon de voir le feedback. Mais pour l’instant, c’est difficile. Le mot qui revient assez souvent, c’est patience”.
Avec ces informations en tête, il faut aussi comprendre que les fonctionnements d’une équipe coréenne et occidentale sont complètement différents :”Ici, je suis plus dans le côté administratif si on peut dire. Je conserve ce rôle d’analyste, mais j’agis plus dans les bureaux que sur le terrain”. En tant qu’analyste, Hajin a un travail de fond à effectuer sur les adversaires de la semaine, les tendances de la méta et aussi les scrims et les stats, mais elle explique aussi qu’elle souhaiterait parvenir à terme à créer un lien et un réel dialogue avec l’équipe. ” Il y a peu de feedback” dit-elle, mais raconte cependant qu’elle sourit quand elle voit certains éléments qu’elle a pu constater être par la suite utilisés dans les matchs plus tard dans la semaine. Historiquement, les équipes coréennes ne travaillent pas étroitement avec des analystes, et c’est un nouveau rôle qui devra s’inscrire et trouver sa place dans les changements initiés par T1.
Pas à pas, Hyunseon reprend ses marques dans son pays natal, mais aussi au sein d’une équipe T1 qui ambitionne d’écrire une nouvelle page de l’histoire de League of Legends. Si l’écurie brille toujours à domicile avec actuellement une deuxième place en LCK, ce sont les changements que décrit la jeune femme qui conduiront T1 à sa gloire d’antan.
C’est en tant qu’actrice de ce mouvement que continuera d’évoluer Hajinsun, jusqu’au nouveau chapitre de son aventure esport.
[Toutes les informations de ce portrait font état de l’avis et l'opinion de Hajinsun, et ne sont en rien représentatives de la position de la structure]
Voir la suite