Il y aura un avant et un après TI20. Pas parce qu’OG pourrait réaliser un triplé historique, ou parce qu’un nouveau record de cashprize pour un tournoi esportif pourrait être de nouveau écrasé. Non, ce qui va profondément marquer un point de rupture dans l’esport de DotA 2, après le prochain International, ce sont les changements qui viennent d’être annoncés - plusieurs mois à l’avance - par l’éditeur du jeu. À savoir : l’introduction de ligues régionales à travers le monde, accompagnée d’une modification de l’organisation du circuit compétitif (le Dota Pro Circuit, inauguré en 2017) et du nouveau visage des Majors.
Un nouveau format pour le Dota Pro Circuit
Valve voit les choses en grand pour l’esport de son MOBA. C’est ainsi que nous retrouverons lors de la période 2020-21 - sur DotA, une année de compétition se voit étalée sur la moitié de deux années calendaires, à l’image de ce qui se fait dans le football - un tout nouveau format pensé pour stabiliser l’écosystème existant. Si cet écosystème a depuis toujours snobé ses plus petites équipes - du Tier 2 et du Tier 3 -, tout s’apprête à changer.
Auparavant, la seule chance de percer pour une équipe sur DotA 2 était de s’immiscer dans les Minors, voire les Majors au gré de ses résultats, et performer quasiment en moments de « one shot » pour tenter d’exister. Une fois que la régionalisation prendra effet, en octobre 2020, cela sera différent, puisque le schéma du monde amateur vers celui professionnel arborera un tout nouveau cadre.
Au programme : 6 régions indépendantes les unes des autres, elles-mêmes découpées en deux divisions. Via des qualifiers ouverts, n’importe qui pourra prétendre à intégrer la D2 d’une de ces régions. Les deux meilleurs à l’issue d’une saison pourront accéder à la division numéro une, qui enverra dans l’autre sens ses deux pires élèves. Être bien loti dans les premières divisions, dont le tableau sera trusté par les plus gros cadors de la scène, vaudra d’accéder aux Majors (4 places pour l’Europe et la Chine, 3 pour l’Amérique du Nord et l’Asie du Sud-Est, 2 pour la région CIS et l’Amérique du Sud). Des Majors qui seront au nombre de trois par an. Quant aux Minors, il n’y en aura plus.
Et parce que DotA 2 ne serait pas DotA 2 sans The International : des points de DTC seront toujours attribués aux équipes qui performent le plus dans les ligues et lors des Majors, et - au moment de clôturer l’année compétitive - les 12 organisations les mieux classées se qualifieront pour l’un des plus prestigieux tournois d’esport-spectacle du globe qu’est The International. Bon à savoir : les slots restants seront offerts via six qualifiers régionaux réunissant les huit meilleures équipes (non qualifiées pour le TI) de chaque région engagée dans le Dota Pro Circuit.
Un changement (trop) tardif ?
Du côté de l’argent injecté dans les dotations, devrait naître une répartition plus juste envers les équipes qui n’appartiennent pas (encore) à l’élite. Une sorte d’engagement équitable où les 6 500 000$ délivrés auparavant chaque année seront désormais reversés sous cette forme : 5 040 000$ pour les ligues (D1 et D2 incluses), et 1 500 000$ pour les Majors. Imagé de manière plus grossière, cela devrait se traduire par des plus petites formations qui - sur le papier - auront de quoi manger et pourront trouver un sens à leur vie. Ce qui n’était pas forcément le cas avant.
Dans les faits, cela s’annonce prometteur, mais cela sera-t-il suffisant pour pérenniser les activités des clubs et des joueurs ? Mais surtout : est-ce que Valve n’intervient pas ici trop tardivement ? Cela fait bien longtemps que League of Legends, le concurrent principal de DotA 2, s’est structuré de manière régionale, voire même nationale avec des compétitions telles que la LFL (Ligue française de League of Legends). L’adage veut qu’il ne soit jamais trop tard, certes, mais quand même : on a déjà vu plus rapide en matière de prise de décision quand il s’agit de concurrence.
Est-ce pour autant un grand mal ? Non, parce que même si Riot Games et Valve possèdent tout deux un MOBA de très grande envergure dans l’esport, l’un a décidé de courir vers la franchisation, quand l’autre semble s’y refuser en employant un modèle plutôt sexy.
À l’image des annonces récentes d’Ubisoft pour son FPS, Rainbow Six, Valve entrouvre la porte à un esport inspiré de ce qui se fait culturellement en Europe : un système sportif ouvert. C’est-à-dire que ses ligues professionnelles ne se voient ni fermées ni franchisées, et que tout le monde peut y accéder. À contre courant direct des compétitions esportives majeures verrouillés - à l’américaine - de League of Legends, de l’Overwatch et de la CoD League, mais aussi loin de l’exclusivité recherchée par divers organisateurs de tournois - les fameux TOs - sur la scène de CS:GO, qui partageait jusqu’ici des liens étroits dans son fonctionnement avec celle de DotA.
Quelle importance pour les Majors ?
Ramenés à trois par an, les Majors de DotA 2 passeront de seize à dix-huit équipes. Six d’entre elles - les troisième et quatrième de chaque ligue régionale - passeront par la case Wildcard, une étape disputée en round-robin. Les deux meilleurs avanceront vers une phase de groupe à laquelle seront juxtaposés les deuxièmes de chaque ligue régionale. Là encore, et toujours sous forme de round-robin, les deux meilleurs procéderont à une avancée dans l’upper bracket des playoffs, tandis que les quatre suivants les rejoindront dans un lower bracket. Concrètement, tout l’intérêt de remporter une saison de ligue régionale résidera dans le fait d’accéder directement aux playoffs du Major suivant, sans passer par toutes ses étapes préliminaires qui exigeront beaucoup d’énergie aux équipes.
Si tout semble bien ficelé au premier abord, subsiste quand même le prestige futur des Majors, que certains observateurs anticipent déjà comme des étapes bonus du Dota Pro Circuit, plutôt que ce dont ils avaient l’habitude d’être : des grands rendez-vous ultra-importants. Déjà parce que le cashprize de chacune de ces compétitions seront de 500 000$ quand une ligue régionale - rappelons qu’elles seront au nombre de six - rapportera 280 000$ à elle seule. Une preuve financière qu’une saison de ligue aura tout autant de poids, si ce n’est plus, qu’une édition de Major, et qu’elle ne sera donc pas là pour décorer. Mais aussi esportivement parlant, puisque les Majors devront là aussi partager de leur influence avec les ligues. En conquérir un rapportera 500 points de DPC, lorsque remporter une saison de ligue régionale en amènera tout autant.
Les points DPC, parlons-en
L’une des principales interrogations à retenir de toute cette réorganisation est sans aucun doute le prochain « dispachement » des points pour le Dota Pro Circuit. Finir en tête d’une région dont le niveau global est moins concurrentiel ou moins performant que les autres permettra à certaines organisations de grimper plus facilement dans le ranking mondial du DPC, quand d’autres devront un peu plus galérer. Est-ce legit ? Pas vraiment, pour certains, même si cela pourrait apporter plus de variété lors du TI annuel.
À titre d’exemple, le TI19 avait vu autant d’équipes européennes qualifiées via le DPC (6, en comptant une équipe russe) que le reste des autres régions. Valve aimerait une plus grande représentation internationale lors de son tournoi de gala ? Plutôt que de faire concourir exclusivement les meilleurs ? Il semblerait que oui. C’est un sujet qui porte à débat et qui peut être compréhensible.
Ce qui l’est moins, par contre, c’est qu’il n’y aura plus de qualification ouverte débouchant sur The International. Autrement dit : au revoir les parcours à la OG, qui reste pourtant l’une des plus belles aventures de l’histoire de l’esport.
En définitive, que faut-il retenir du changement de format pour le Dota Pro Circuit ?
Assurément sa profondeur, son engagement assumé et les potentielles retombées positives qu’il pourrait apporter non seulement à DotA 2, sa visibilité, son écosystème et ses équipes montantes, mais aussi et surtout à l’esport en général, qui scrutera à coup sûr si le modèle à l’européenne peut fonctionner durablement ou non dans le monde des compétitions de jeux vidéo.