Si j'avais écouté les gens qui m'ont dit « arrête », j'aurais arrêté un million de fois.
Des gens très proches, comme des gens très éloignés. Je pense qu'on sait tous, au fond de nous, si on se sent capable ou pas. Si on peut écouter cette voix intérieure qu'on a.
Et se remettre en question. Toujours se remettre en question. Faire ce travail sur soi. Être ouvert aux critiques, mais ne pas laisser les critiques nous guider. Humble, déterminé, sans rien lâcher. Ne lâcher que lorsqu'on est prêt à lâcher, car il n'y a pas de honte à dire « je n'ai pas réussi ». Tant qu'il ou elle a la conviction que c'est possible, il ou elle doit continuer. Contre vents et marées.
Ce sont tous les sacrifices que j'ai pu faire. Je suis passé à côté de plein de choses dans ma vie de jeune adulte et d'adulte, qui est encore longue, quand même. Je vais sur mes vingt-huit piges, mais toute ma période de dix-huit ans à aujourd'hui a été consacrée à Dota. Et qu'à Dota. C'est un choix que j'ai fait. Mais effectivement, c'est des sacrifices et, là aussi pour les gens qui ont l'aspiration de devenir joueur pro, tu y consacres ta vie. Ce ne sont pas que des mots. Ta vie, ce n'est "que" ça.
Ce que tu fais à côté, ça n'est que pour garder un équilibre pour mieux atteindre tes objectifs. C'est dur à dire, mais c'est un outil. Je dors, non pas parce que j'aime dormir, mais pour être reposé. Si on me prouve par a plus b que ne plus dormir va m'aider, j'arrête de dormir. Si on me prouve par a plus b que ne voir plus que mes coéquipiers va m'aider, je le ferai aussi.
T'es obligé d'avoir cette mentalité pour être le meilleur. Je ne crois pas à ceux qui affirment « je travaille peu et j'y arrive ». Ce n'est pas vrai.
C'était en 2010, 2011. Sur un malentendu. C'est un pote de lycée avec qui je jouais à Dota, même pas régulièrement, de temps en temps. Je passais beaucoup de temps avec lui en rentrant des cours parce qu'on habitait à côté. C'était juste pour se charrier l'un l'autre. J'y ai joué de plus en plus jusqu'à jouer vraiment énormément, et j'ai développé cette obsession de vouloir m'améliorer.
Longtemps après, après cinq ou six ans de Dota, j'ai testé League of Legends. Je suppose que, comme les mecs qui testent Dota après avoir joué à LoL, j'ai trouvé ça trop "simple", pas assez complexe techniquement et du coup, ça ne m'a pas plu.
Quand j'ai commencé sur Dota, c'était d'une complexité folle. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus accessible. Il y a certains héros, limite si tu n'avais pas une micro comme un joueur de StarCraft, c'était très difficile. Tu pouvais les jouer, mais tu ne pouvais pas les maîtriser.
Aujourd'hui, il y a des héros à micro qui sont très complets. Sur LoL, on m'explique que ça n'existe pas un héros qui contrôle plusieurs unités. Sur Dota, il m'arrive d'en gérer six ou sept. On m'explique aussi que sur LoL, si tu es dans un bon match-up, tu vas forcément finir par gagner ta lane. Sur Dota, tu mets un joueur qui est moins bon que moi en face, je vais l'éclater même avec le pire match-up du jeu.
La compétence pure a un impact beaucoup plus élevé sur le jeu qu'elle peut en avoir sur LoL. C'est un jeu qui est vraiment riche. Dans Dota, si tu es vraiment dans ton jour — un peu comme dans CS:GO d'une certaine manière — , tu ne peux pas gagner la partie à toit tout seul, mais tu peux avoir un impact vraiment conséquent. Et si ton équipe sait capitaliser dessus, tu vas faire la différence.
J'en suis à dix ans de Dota. J'y ai investi toutes mes capacités, mon potentiel. Tu vois, je suis à fond dedans. Et je continue d'apprendre. D'une année sur l'autre, j'apprends à contrer ce que je faisais l’année d'avant.
Le jeu pourrait me suffire sans que j'aie accès à un PC. Juste théoriquement.
C'est vrai qu'il n'est pas le jeu numéro un en France.
Dans les pays où je vais, c'est le jeu numéro un. En Russie, c'est le jeu numéro un. Dans plein de pays d'Asie du Sud-Est, c'est le cas. En Chine, c'est énorme. Même aux Etats-Unis, au Brésil, au Pérou, c'est énorme. Il y a des sortes d'épicentres comme ça. Je ne me pose pas de questions par rapport au fait que le jeu réussisse dans certains pays.
La question, c'est : « Pourquoi ça n'a pas eu autant de succès en France ? ».
Je pense que c'est juste un mauvais concours de circonstances, honnêtement. À l'époque, il y avait énormément de talents sur Dota lorsque j'ai démarré. Un grand vivier de talents. Mais pas de structures qui ont fait le pari. Et moi, je m'y suis heurté. Au niveau prise de risque, entrepreneuriat, on a quand même du retard. Les mecs nous disaient : « Mon retour sur investissement n'est pas assez bon, je ne me lance pas ». Tu sais, il n'y avait pas de The International.
Je leur tenais le même discours : « Tu ne te rends pas compte. Tu fais une erreur. C'est un jeu qui va exploser. Une équipe aujourd'hui te coûte quelques milliers d'euros ! ».
Maintenant, le budget d'une équipe Tier 1 se compte en millions d'euros. Et dans d'autres pays, ils y sont allés. Ils ont un peu "cimenter" la scène. Ça aurait pu être chez nous exactement ce que c'est dans d'autres pays aujourd'hui. J'en suis sûr. Donc les joueurs se sont découragés. Et, en fait, ils sont allés sur d'autres jeux qui leur paraissaient plus "rentables". CS:GO ou, à l'époque ça n'existait pas encore, League of Legends. Premier arrivé, premier servi.
C'est un cercle vertueux. Tu as des structures et des équipes pro qui brillent, ça intéresse les jeunes joueurs et ça s'alimente comme ça. Dota, ça ne s'est pas fait naturellement en tout cas.
Dernièrement, il y a un vrai engouement autour de Dota. Ça a commencé avec notre victoire à The International 8. C'est à des événements comme ça, avec une équipe "française" qui cartonne, que ça va lancer le jeu en France. Je sais qu'il y a des structures françaises qui y ont réfléchi pendant longtemps. Le PSG, finalement, a pris une équipe de joueurs Chinois. Ils ne prennent pas trop de risques, mais, en tout cas, ça crée de l'engouement autour. Je pense que Vitality a été intéressé pendant un moment. C'est une grosse structure qui fait les choses bien, et tu ne peux pas ne pas regarder du côté de Dota quand tu fais de l'esport.
Mais c'est "lent", j'ai envie de dire. Je le dis pour eux, à la limite. C'est une vraie opportunité qu'ils sont en train de rater et qu'ils ont raté. C'est peut-être déjà trop tard.
Parce que Dota, beaucoup de monde ne comprend pas et se plaint de ne pas comprendre. En fait, c'est très simple.
Valve, ce sont de vrais "gamers". C'est le vrai ADN du gaming. C'est l'esprit open source. C'est-à-dire que, tout ce qui est partenaire franchisé, ce n'est pas dans leur vocabulaire. II faut que ce soit accessible à tout le monde. Donc c'est un free-to-play, c'est super important pour eux. Ça fait partie des valeurs vraiment essentielles. Sur League of Legends, tu n'as pas accès à tout lorsque tu ouvres le jeu.
Ils n'avanceront pas dans une direction qui n'est pas celle-ci et qui est contraire à celle-ci.
Pareil au niveau de la compétition. Il faut que chacun puisse avoir la même chance. Toi et moi, demain, on monte une équipe. Ok, on sera peut-être pas invités sur les plus gros tournois, mais si on est les meilleurs, on sera à The International en fin d'année. 100 % sûr. En un an. Ce n'est pas possible sur d'autres jeux.
Sur CS:GO, ils garantissent la même chose. Il n'y a pas longtemps, ils ont encore fait un post énorme pour dire : « Attention les gars, pas d'exclusivité sur votre tournoi. Vous gardez l'accès à la compétition intacte. Sinon on coupe des têtes ». Entre guillemets.
Leur deuxième prise de position, c'est dire : « Nous ne faisons pas de l'esport, nous faisons un jeu vidéo ». Ce n'est pas leur travail de gérer un circuit esport. Ça ne fait pas partie de leur métier. Ils le savent et, "humblement", ils ne se mêlent pas de ce qu'ils ne savent pas faire. Riot a monté son truc en disant qu'ils allaient en faire un business. Pour Valve, c'est pas un business. Sur CS:GO, typiquement, ils n'interviennent pas.
Et sur Dota, à la base, ils n'avaient pas vocation à intervenir. C'est lorsqu'ils ont développé Dota 2, The International en a été la vitrine. Pour "showcase" le jeu, en quelque sorte. Et ça devait être un one-shot. Il n'y avait pas de projet de The International 2.
Ça leur a tellement plu, et ça a créé une telle émulation en interne pour tous les employés, qu'ils y ont trouvé un moyen de se connecter avec les joueurs de Dota 2. C'était jubilatoire pour eux et ils ont travaillé sur une deuxième édition. Puis une troisième, etc.
Ils ont maintenu The International et de fil en aiguille, ils se sont retrouvés à devoir faire des Majors. On leur a dit : « Les gars, c'est bien The International, mais vous êtes en train de tuer la scène. Il faut que vous proposiez quelque chose d'autre. Il faut que vous proposiez des Majors ».
Aujourd'hui, tu as cinq Majors. Cinq séquences plutôt : un Major associé à une mineure. Les Majors sont destinés aux équipes Tier 1, les meilleures équipes. Et puis les mineures pour celles qui n'ont pas réussi à accéder aux Majors. Les cinq te conduisent à The International. Le DPC, le Dota Pro Circuit, existe depuis un moment maintenant. Ça permet de structurer la scène et la saison, aux équipes de s'organiser et d'avoir de la visibilité sur leur agenda. C'est aussi plus attrayant pour des sponsors qui vont arriver à être visibles.
Là, Valve se rétracte presque.
C'est-à-dire que, concernant les Majors, ils ne veulent pas toucher à la production ni gérer l'événement. Ils gardent juste la main sur le contrôle qualité en disant : « Attention, pas d'abus ! Vous respectez les joueurs, vous maintenez cet esprit open, vous respectez les fans ». Valve, ils interviennent pour dire que les streamers ont le droit de streamer tous les tournois, à partir du moment où ils ne concurrencent pas le stream officiel. Ils sont allés voir les organisateurs de tournoi en expliquant : « La prochaine fois que tu dis de couper son micro à un mec sur Twitch, on va te couper les droits ».
Comme Valve n'a pas vocation à organiser et à faire la promotion de leurs évents, c'est EPICENTER, MDL, etc. qui gèrent tout ça. En gros, c'est : « Toi, tu veux faire du business avec Dota ? Vas-y, je t'en prie. Tant que tu fais ça dans les règles, il n'y a pas de soucis ». Ça peut être MDL, ça pourrait être toi.
Je me rappelle de mon premier événement, c'était énorme. L'ESWC. Je suis arrivé directement dans un tournoi qui avait, pour moi à l'époque, beaucoup de prestige.
J'avais été très très nul. J'avais pris l'eau complètement. C'était terrible. Mais j'étais ultra motivé et je travaillais énormément. The International, c'est un objectif que j'avais, que j'ai poursuivi et que je poursuis depuis maintenant presque dix ans.
Aujourd'hui, je sens surtout que je me suis séparé du "reste de la masse", des autres compétiteurs. Quand tu as gagné TI deux fois, il y a OG et il y a le reste. C'est comme si nos compétiteurs avaient capitulé. Je l'ai senti. Nos plus grands rivaux admettent le fait qu'on est au-dessus.
Tu vois, Sumail, qui a toujours été considéré comme l'un des plus grands, l'un des plus gros talents et une personnalité forte — il s'appelle lui-même "The Greatest of All Time"— , a quand même tweeté avant la finale que nous étions la meilleure équipe de tous les temps. Quand des mecs comme ça admettent quelque chose d'aussi lourd, les jeux sont faits.
Et ce n'est pas parce que tu gagnes la deuxième fois que c'était plus simple. C'était encore plus compliqué et ça le sera encore plus la troisième fois. C'est de plus en plus dur parce qu'il y a ce côté motivation qui n'est plus là. Enfin, qui n'est plus là... Qui est à reconstruire. Il y a un vrai travail sur soi à faire. Reconstruire quelque chose, une motivation assez puissante.
Ce processus, c'est quelque chose qu'on prend très au sérieux. On se laisse tous le temps, on s'impose, même, ce délai de réflexion. Repartir pour une année et gagner une troisième fois va être extrêmement difficile, douloureux. Ça va être une aventure, quelque chose de joyeux, mais il va falloir travailler et encore tout sacrifier.
Pour ça, il faut que chacun soit sûr de ce qu'il veut, moi y compris.
Je pense qu'on a réussi à créer une méthode, une recette, qui est exportable à d'autres jeux esport, et même dans le sport. Tout simplement.
Je pense qu'aujourd'hui, on a un savoir-faire chez OG qui fait qu'on peut aider à concrétiser le potentiel de chacun. Ça, j'en suis persuadé.
Disons qu'on prend en compte absolument tous les paramètres qui vont faire la différence dans des compétitions de haut niveau. Tous les paramètres. Il y en a beaucoup. C'est une manière de travailler. C'est une implication totale. Il y a la méthode, il y a la technique, il y a l'humain, son mental, toute une série de chose.
On a tellement de joueurs autour de nous qui ont un talent fou, qui méritent, qui travaillent jour et nuit. Ça nous fait mal au cœur, car on se voit à travers eux il y a quelques années. Ils n'ont pas la méthode, ils n'ont pas les gens autour d'eux pour les guider correctement, et qui peuvent exploiter 100 % de leur potentiel. Ce sont des mecs qui prennent des murs en permanence. Et ça nous fait mal. On aimerait pouvoir rendre. Rendre de notre expérience et faire bénéficier plus les autres.
OG, c'est un modèle dont je suis fier et je souhaite le répliquer pour en faire bénéficier d'autres joueurs, sur d'autres jeux, d'autres titres esport.
C'est d'ailleurs pour ça qu'on a construit OG, parce qu'on avait une idée très précise de comment les choses devaient être faîtes. Tant au niveau sportif qu'au niveau business. On a longtemps été en désaccord avec les gens qui nous ont entourés, les organisations dans lesquelles on est passés. Ça a été une frustration qui nous a conduits jusque-là. Ce dont on est fier, c'est qu'on est resté fidèles à nos valeurs et on fait les choses comme on les aime.
Mes coéquipiers, mon groupe, je pense que c'est ma plus grande fierté.
C'est l'équipe qu'on est aujourd'hui. Tous autant qu'on est, c'est la manière qu'on a de se traiter les uns les autres. On a grandi ensemble. On s'est appris beaucoup de choses. Au niveau du jeu, purement et durement, je suis devenu un meilleur joueur grâce à mes quatre coéquipiers. Eux sont devenus meilleurs grâce à moi.
Notre équipe est très saine. La situation du jeu est très saine.
Je ne lui souhaite pas d'exploser. C'est un jeu qui est déjà énorme, qui grossit de manière stable, et il faut que ça continue comme ça.
Parce que ce que je souhaite, c'est qu'il y ait du Dota dans vingt ans. C'est pouvoir regarder du Dota avec mes gamins dans une dizaine d'années. Parfois, ce sera un match de foot, parfois, ce sera la demi-finale de The International.
Et je me réunirai avec des potes, mes anciens coéquipiers.