Située à la pointe nord-ouest de Kalimdor, Sombrivage, ou Darkshore en anglais, a la particularité d’être le premier point d’ancrage continental des Elfes de la Nuit et des Draeneï. L’incendie imminent de Teldrassil, implémenté par BFA, ne devrait rien changer jusqu’au niveau 110. C’est donc un territoire accessible dès le niveau 15, le genre de zones qui détermine la perception que se font les joueurs du background d’un MMORPG. Or, Sombrivage n’est pas exactement une zone festive.
Sortie en décembre 2010, l’extension Cataclysm a profondément modifié la géographie de Sombrivage. Routes coupées, apparition d’un tourbillon et d’un siphon conduisant à une zone cachée, extinction d’une partie de la faune et apparition de nouvelles créatures, la zone a été littéralement terraformée par le réveil d’Aile-de-Mort et le tsunami subséquent. A cet instant, la modification géographique renforce le traumatisme ressenti par les populations locales. Concrètement, le jeu utilise tous ses aspects pour faire comprendre aux joueurs que c’est la catastrophe. Les visuels sont gris, la musique est déprimante et les PNJ sont désespérés. En réalité, Sombrivage a été triste dès World of Warcraft Vanilla, tout simplement parce que la zone a été conçue comme telle, jusqu’à son nom : le sombre rivage… On ne vous ment pas sur la marchandise !
Quand on avait parlé de ce qui faisait l’intérêt de Teldrassil, en tant que zone de départ, on avait évoqué son côté lent, monacal et presque ennuyeux. Mais ce qui a rendu Darnassus triste et morne, c’est essentiellement le manque d’affluence et d’action, alors que Sombrivage est une zone fondée sur l’idée même de mélancolie, dans le sens que lui a donné Victor Hugo : « le bonheur d’être triste ».
Sur le plan visuel, il ne fait jamais vraiment jour à Sombrivage, la zone étant perpétuellement plongée dans la pénombre. Si le phénomène s’explique par la proximité avec Teldrassil et sa nuit permanente, il a surtout le mérite de poser une ambiance cohérente avec la joie de vivre locale - ironie. Comme on l’a vu un peu plus haut, depuis Cataclysm, la zone est marquée par le deuil des victimes d’Aile-de-Mort et du tsunami, mais c’est Battle for Azeroth qui va définitivement sceller son désespoir en lui attribuant le point d’observation de l’incendie de Teldrassil. La bêta a révélé des visuels spectaculaires, usant de ciel rougi et de pluie de cendres. Ce n’est donc pas encore cette fois-ci que Sombrivage sortira de la déprime.
Sur le plan scénaristique, en tant que zone intermédiaire, mais proche du début du jeu, elle a la lourde tâche d’introduire les intrigues de Kalimdor aux nouveaux joueurs. Et quand on sait combien de maux rongent le continent ouest depuis des millénaires, on comprend que la charge dramatique des lieux soit intense. Concrètement, sont présents dans les parages les Murlocs, la corruption, le Marteau du Crépuscule, les âmes des Bien-Nés, les Trolls Briselance et de nombreuses autres menaces assez représentatives du chaos kalimdorien. En d’autres termes, donner à un joueur de l’Alliance un aperçu réaliste d’un continent essentiellement aux mains de la Horde implique de créer une zone en délabrement perpétuel. A l’inverse, coller la Foire de Sombrelune sur Sombrivage, ça aurait peut-être été cohérent au niveau du nom, mais beaucoup moins au niveau du background.
Les quêtes de la zone reflètent aussi une certaine vacuité, un renoncement, l’idée qu’il est inutile de bâtir quoi que ce soit puisqu’il y aura toujours quelque chose ou quelqu’un pour détruire. Ce qu’on y fait n’est pas nécessairement inutile, mais on reste toujours dans une perspective de limiter les dégâts, contenir la corruption et fournir les premiers soins. Il n’y a pas d’horizon à long terme pour Sombrivage. On ne fait que gérer le quotidien et parer à l’urgence, au point qu’on s’interroge assez peu sur le sens de ce que les PNJ nous demandent : par exemple, est-ce que quelqu’un sait vraiment pourquoi on répare les Bigobox du Gnome ?
Au final, Sombrivage, c’est un peu cette zone où on pourrait voir passer un Elfe de la Nuit portant un panneau géant annonçant la fin du monde qu’on ne s’étonnerait pas plus que ça. Même l’urbanisme est réduit au strict minimum : Lor’Danel est le seul village de la zone encore à peu près en état, Auberdine ayant été détruite par Cataclysm. Sur une zone conçue tout en longueur, un seul village, c’est peu, surtout dans un paysage de ruines, ce qui renforce encore l’impression de chaos ambiant. En résumé, l’endroit parfait pour être heureux d’être triste.
L’extension Battle for Azeroth ajoutera donc une couche de malheurs à une zone déjà bien sinistrée, un temps pensée comme un point d’évacuation possible des Elfes de Teldrassil vers l’ile de Brume-Azur. La Horde saisira bien sûr l’occasion de faire un carnage en tentant de raser Lor’Danel. Et comme les ruines d’Auberdine vont s’avérer gorgées d’Azerite, celles-ci deviendront… une mine à ciel ouvert… Voilà, heureux d’être triste, on a dit !