Le berceau des Elfes de la Nuit
Il vaut mieux avoir les racines ancrées bien profond dans le sol pour comprendre les origines des Elfes de la Nuit parce que, précisément, ce ne sont pas les racines qui manquent. Entre les Trolls, les Arbres-Mondes et le Puit d’Eternité, saisir où tout a commencé peut vite devenir laborieux. Plusieurs places fortes de Kalimdor se disputent en effet le titre de « berceau » de la race nocturne. En réalité, pour les joueurs des êtres aux yeux phosphorescents et aux oreilles interminables, le vrai berceau, c’est Teldrassil, l’Arbre-Monde, pas le grand, l’autre, celui créé par l’Archidruide Forteramure… bref, la zone de départ des Elfes de la Nuit.
De toutes les zones de commencement, Teldrassil est sans doute la plus singulière et ce, pour des raisons tenant tant à son gameplay qu’à sa position dans le lore de World of Warcraft. Aucune zone n’a d’ailleurs autant brisé le quatrième mur que Teldrassil, la désaffection des joueurs pour Darnassus ayant sans doute contribué à sceller son destin.
Histoire, guerre et botanique
Tedrassil est donc un arbre, pas juste un arbre, mais un arbre quand même. Un Arbre-Monde. On y grandit, on y vit, on y construit, mais dans le respect du plan d’occupation des sols décidé par son créateur, l’Archidruide Fendral Forteramure: essentiellement des cabanes sur les branches des arbres… qui poussent sur l'Arbre… Mais alors, pourquoi aucun des ennemis des Elfes de la Nuit n'avait pensé à y foutre le feu avant ? À l’origine, le véritable Arbre-Monde, c’est Nordrassil : la source de l’immortalité des Elfes de la Nuit, sur le Puit d’Eternité, au Sommet d’Hyjal – ça a l’air compliqué comme ça mais avec un bon GPS, on trouve. Malheureusement, c’est toujours quand tout se passe bien que la Légion Ardente débarque et qu’il faut lui rappeler que non, on ne l’a pas invitée, non, on ne veut pas boire de ce sang de démon, non, s’il vous plait, M. Archimonde, laissez-nous, il est tard, rentrez chez vous maintenant ! Une chose en entrainant une autre, la Légion s’incruste et on n’a pas d’autre choix que de la faire exploser… avec l’Arbre.
Bye-bye Nordrassil, bye-bye l’immortalité, c’est pas la grande forme pour les Elfes de la Nuit en ce lendemain de bataille du Mont Hyjal. C’est alors que Forteramure, considérant toutes les options sur la table, décida qu’entre s’adapter à la mortalité pour se rapprocher des autres races de l’Alliance et tenter de retrouver l’éternité afin de continuer à donner des leçons de morale à tout Azeroth, il fallait… retrouver l'éternité en plantant un arbre ailleurs ! Honnêtement, je veux bien entendre la logique du plan, mais cela reste assez drôle quand on connait la propension des Elfes de la Nuit à dénoncer la dépendance des Elfes de Sang à la magie alors qu’eux-mêmes ont toujours manifesté un besoin irrépressible d’immortalité. Mais bon, l'immortalité, c'est un petit club encore beaucoup trop fermé pour que vous et moi, on puisse comprendre.
Ceci dit, le plan de Forteramure ne fonctionnera pas tout à fait comme prévu. Privé des bénédictions nécessaires, Teldrassil ne génèrera jamais l'éternité. Il remplira cependant une fonction d’importance : accueillir et voir grandir des générations d’Elfes de la Nuit. Un berceau, on vous dit.
En réalité, Teldrassil n'était pas la première tentative des Elfes de la Nuit visant à faire pousser un deuxième Arbre-Monde, après Nordrassil. Considérant que seuls les bénédictions et le caractère sacré d'un Arbre pouvaient purger le Norfendre de sa corruption, des Druides, bien inspirés, avaient planté Andrassil dans les Grisonnes… sauf que pour le coup, les conséquences furent bien plus néfastes que la tentative à peu près ratée de Teldrassil.
Au lieu de lutter contre la corruption, la magie de l'Arbre-Monde l'a renforcée. Oui, la magie, c'est loin d'être une science exacte. Globalement, on tente des trucs. Parfois, ça fonctionne (Nordrassil), parfois, ça ne fonctionne pas (Teldrassil), parfois, c'est encore pire (Andrassil). Les Druides n'ont pas eu d'autre choix que de detruire Andrassil - oui, ça devient une habitude. Il s'est brisé en trois endroits, que l'on peut observer dans les Grisonnes, et porte désormais le nom de Vordrassil.
Bien entendu, après le fiasco de Vordrassil, tous les druides elfiques n'étaient pas super chauds quand Forteramure leur a annoncé qu'il allait faire pousser Teldrassil. Mais bon, s'il ne s'était pas imposé, il n'y aurait sans doute plus d'Elfes de la Nuit, ni d'occasion de parler de leurs quêtes de départ.
Elune, le Satyre et l'Elfe pas très futé(e)
Après un commencement paisible à Sombrevallon, nous voilà lâchés sur la route de Dolanaar, accompagnés par une musique encourageante, nous faisant gonfler le poitrail d’envie de découvrir le monde… enfin, l’Arbre-Monde. C’est alors que l'on rencontre Zenn Vilsabot, un Satyre, c’est-à-dire un Elfe de la Nuit corrompu, démonisé et relooké, qui nous demande de lui rendre un service… ce que bien sûr, on accepte parce que… bah, déjà, c’est une quête, donc des points d’expérience et puis… aucune autre raison, en fait. En y réfléchissant, cette petite suite de quêtes qui va nous amener à aider un Satyre, puis à rechercher la rédemption auprès de nos pairs et d’Elune, manque un peu de réalisme in game. Même en supposant que les Elfes de la Nuit, pour une grande part d’entre eux, naissent et grandissent à Sombrevallon, et donc loin de la capitale et des autres civilisations, les Satyres ont une telle importance dans tous les maux qui ont affligé la race depuis des années qu’il est impossible qu’ils n’aient pas été éduqués sur la question. Aussi, quand un Elfe rencontre un Satyre, accepter de l’aider devrait être la dernière chose qui lui passe par la tête. Mais bon, on va assumer d'être peu con et ne pas bouder son plaisir.
Depuis Dolanaar, on a accès à plusieurs zones de l’Arbre-Monde : Brise-Stellaire, la grotte de Gangreroche et le fameux Refuge des Saisons de Ban’ethil. Aaaaah… Ban’ethil… Un lieu légendaire pour son histoire, son action et… son potentiel quasi infini de die & retry. Sur le plan du scenario, il marque le premier contact entre le joueur et le Rêve d’Emeraude, mais il ne permet pas de complètement saisir le concept. Personnellement, je croyais que le Rêve d’Emeraude était une sorte de vaste blague un peu méta : l’idée que les druides passent le plus clair de leur temps à dormir mais que tout le monde fait semblant de l’ignorer en racontant qu’en fait, ils sont dans le Rêve d’Emeraude :
« Ecoutez, le Rêve d'Emeraude, le Rêve d'Emeraude, oui, c'est un peu complexe à comprendre pour les non-initiés. C'est-à-dire que nous sommes allongés, nous avons les yeux fermés et nous ronflons.
- Oui, vous dormez, en fait.
- Ah non ! Rien à voir ! Nous combattons la corruption ! »
Du rite initiatique a la promenade de santé
Sur le plan technique, Ban’ethil, c’était le Neuvième Cercle de l’Enfer. Loin de moi l’idée de véhiculer la célèbre maxime du « c’était mieux avant », mais force est de reconnaître que l’exécution des quêtes de Teldrassil s’est grandement simplifiée avec le temps. Mon premier personnage était une Elfe de la Nuit, à l’époque de Burning Crusade, et elle en a fait des séjours au cimetière entre les niveaux 1 et 15, spécifiquement à Ban’ethil. L’endroit était impossible à appréhender, tout en superposition de sous-sols, avec des niveaux se ressemblant, des tunnels cachés et des furbolgs enragés partout, derrière chaque porte, chaque virage, chaque niveau… PARTOUT ! On y évoluait seul, à la recherche de quatre reliques d’éveil pour sauver un druide prisonnier du Rêve d’Emeraude. Bien sûr, on avait très peu d’informations sur la localisation des reliques. Il fallait donc retourner la place suffisamment rapidement, sans laisser les furbolgs repop, sans négliger aucun recoin caché, sans map et sans mourir parce que, le temps de revenir du cimetière, la pièce était déjà remplie de mobs. Je me suis arraché quelques mèches de cheveux à Ban’ethil, j’ai ragequit une fois ou deux et j’ai fini par grouper un autre joueur qui errait dans un état d'epuisement nerveux proche du mien. A plusieurs, c’était quand même plus facile.
Quelle ne fut pas ma surprise, ayant récemment recréé un Elfe de la Nuit, de constater que, désormais à Ban’ethil, on te fournit un PNJ ! Une chasseresse te tient quasi littéralement par la main, pour combattre avec toi et si tu galères encore trop sur l’emplacement des reliques, tu peux l’interroger, elle invoquera une brume GPS – je ne plaisante pas, il y a vraiment une brume GPS dans le jeu – pour te guider jusqu’à chacune d’elles. Mon premier réflexe, c’était d’être déçue. Je me sentais privée d’un rite de passage intense pour mon personnage, frustrée de cette première expérience qui fait que chaque fois que tu devras ensuite pénétrer dans un refuge des saisons, tu déglutiras avec peine en balbutiant une petite prière à Elune parce que tu sais que tu vas perdre quelques dents dans l’aventure. Tu es un Elfe de la Nuit passé par Ban’ethil, tu connais les bails !
Mais en y réfléchissant, je me dis qu’au final, l’assistance in game a peut-être amélioré l’expérience de jeu. Teldrassil est une zone propice à la contemplation. On y déambule plus qu’on y évolue, on court sur la lande en regardant les étoiles de la nuit permanente, on s’assoit au bord d’un puit de lune pour écouter l’esprit des Kaldorei nous conter leur histoire. Au fond, Teldrassil n’est pas une zone d’apprentissage ou d’épreuves. C’est une zone de découverte, un cocon… un berceau. Alors oui, aujourd’hui, c’est plus facile et on éprouve peut-être moins de satisfaction quand on va rendre ses quêtes, mais on est sans doute plus attentif au background parce que le jeu est maintenant fait pour que l’on puisse en profiter pleinement. Il en va de même pour Gangreroche où on te donne un item qui permet de one shot les grellides. C’est plus rapide, mais c’est moins rageant et on mémorise mieux le schéma complexe de la grotte que l’on retrouvera ensuite dans d’autres zones. Est-ce que finalement le game play ne rejoint pas le background ? Teldrassil a été créé pour redonner de l’espoir aux Elfes de la Nuit, en attendant que Nordrassil guérisse. Il est un sas de décompression pour les personnages, comme pour les joueurs.
Darnassus, la ville qui ne se réveille jamais
Une fois la découverte de l’Arbre terminée, il est temps de passer les portes de Darnassus, capitale des Elfes de la Nuit et refuge des Worgens depuis Cataclysm. Elle doit sûrement regorger de quêtes, de personnages de haut niveau et de joueurs de la Horde qui tentent une intrusion en territoire ennemi… Non, laissez tomber, il n’y a personne et si on pouvait parler dans le jeu, ça ferait de l’écho.
Darnassus est la capitale mal aimée et désertée de l’Alliance. C’est bien simple, on y a implanté des PNJ à l’entrée pour donner une impression de foule, mais rien n’y fait, elle reste désespérément vide. En fait, sa situation géographique n’a pas aidé. En préparant cet article, j’ai réalisé que Darnassus est, pour la Horde, la capitale la plus difficile à envahir. Il faut se rendre tout au nord de Kalimdor, à Sombrivage, réussir à prendre le bateau et passer par le portail de Rut’theran pour seulement être téléporté dans la ville. Concrètement, il est impossible de préparer une invasion discrètement puisque tout le monde vous aura vu arriver depuis le continent. Ça n’encourage pas l’action, surtout quand, à l’opposé, il suffit de prendre d’assaut Hurlevent par le port.
En outre, les Elfes de la Nuit ne sont pas célèbres pour leur jovialité ; la maitresse des lieux, Tyrande de Murmevent, souffre d’un manque récurrent de charisme et l’arrivée des Worgens n’a rien arrangé. Au final, l’ambiance monacale de Darnassus est plutôt cohérente avec son histoire. Le fait que la vie s’y écoule lentement ne serait-il pas une ultime tentative pour rattraper l’immortalité perdue ?
La stratégie de la terre brulée
A l’heure où ces lignes sont écrites, on ne sait ni qui allumera le brasier de Teldrassil, ni pourquoi il faut que l’Arbre-Monde se consume, mais la seule chose que l’on sait, c’est que la chute sera irrémédiable. Il est difficile de dire ce qu’il restera du foyer des Elfes de la Nuit – oui, je sais, ce jeu de mots est magnifique, s’ils recommenceront tout à zéro ailleurs ou s’ils trouveront refuge auprès d’un autre peuple. Les nouveaux joueurs devront-ils apprendre les codes d’une autre zone ou, à l’image des Worgens et de Gilneas, seront-ils condamnés à revivre inlassablement la chute de l’Arbre-Monde ? Si nul ne le sait pour l’instant, ce qui est certain, en revanche, c’est que si l'on veut errer une dernière fois dans Teldrassil, faire semblant de ne pas savoir que Zenn Vilesabot est un Satyre, dégommer du furbolg dans Ban’ethil, écouter l’histoire des Kaldorei au bord des puits de lune et se dire que, quand même, Darnassus, c’est beau… c’est chiant, mais c’est beau… Si on veut faire tout ça une dernière fois, c’est maintenant parce que le 14 aout, il sera trop tard…