La monde du sport électronique est impitoyable. Malgré une croissance et une évolution sans pareil, le secteur semble souffrir des mêmes maux depuis sa création. Dernier événement en date, l'action audacieuse entreprise par la structure russe Virtus.pro afin de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière. L'organisation a en effet publiquement menacé d'un boycott plusieurs organisateurs d'événements. Ces derniers seraient coupables de ne pas avoir payé le cash qu'ils doivent à l'équipe et ses joueurs depuis plusieurs mois. Or si on peut parler d'audace, c'est que rarement ces conflits privés atteignent la sphère publique alors qu'ils sont nombreux, surtout sur une scène comme celle de Counter-Strike: Global Offensive où un grand nombre de tournois sont organisés. De plus une bonne partie des joueurs évoluant aujourd'hui chez Virtus.pro sont directement touchés par ce type de problèmes, les Polonais Wiktor « TaZ » Wojtas et Filip « NEO » Kubski avaient notamment par le passé souffert de la disparition de l'ESWC (Electronic Sports World Cup) en 2009 et de la CPL (Cyberathlete Professional League) un an plus tôt.
Une attaque en bon et due forme
Souvent dans l'histoire du sport électronique, des problèmes de paiements sont venus émailler l'actualité. Plusieurs organisateurs ont d'ailleurs été reconnus pour être régulièrement pointés du doigt, même si depuis plusieurs années tout semblait être rentré dans l'ordre. La professionnalisation du secteur et l'éclatement de différents scandales avaient, semble-t-il, permis de régler un certain nombre de ces soucis. On se souvient notamment des dotations de l'ESWC 2008 de San José qui ont mis des années à être versées, ou encore l'ESL (Electronic Sports League) qui avait plus d'un an de retard dans ses versements en France et en Europe courant 2011. L'affaire mise en lumière par Virtus.pro semble toutefois nous démontrer qu'il subsiste toujours des zones de frictions entre structures et organisateurs. Cette fois en revanche ce ne sont plus les mêmes qui sont pointés du doigt. ESEA, Techlabs, Star Ladder, Copenhagen Games, Excellent Moscow Cup et i-League sont les cibles privilégiées par les dirigeants du clan russe.
Anton « Sneg1 » Cherepennikov - président (Traduction - Source)
J'ai déjà mentionné par le passé que les dettes des organisateurs de tournois à notre égard s'élèvent à un montant à six chiffres en dollars américains. Je suis personnellement fatigué de m'investir en participant à un grand nombre de tournois à travers le monde dont les organisateurs sont malhonnêtes. C'est pour cette raison qu'à partir de l'année prochaine nous ignorerons les ligues et compétitions qui nous doivent de l'argent, et cela jusqu'à ce que les dettes soient réglées. Nous ferons exception des tournois dans lesquels nous sommes déjà engagés, car ce serait un manque de respect vis-à-vis de nos fans qui ont pu réserver leurs places afin de nous soutenir ou qui attendent de nous voir jouer sur les streams.
Nous ne participerons pas non plus aux événements qui ne signeront pas d'accord avec les organisations. Contrat qui stipulera clairement toutes les conditions qu'imposent une participation, un calendrier de paiement du cash et le montant des amendes en cas de manquement à ces obligations.
Nuançons toutefois ces attaques, car après ce communiqué très offensif posté sur le compte Facebook du club, Anton « Sneg1 » Cherepennikov s'est exprimé pour faire machine arrière sur certains sujets. Tout d'abord ses attaques contre le Star Ladder ont été levées suite à une explication avec la direction, ensuite celles à l'encontre de la Copenhagen Games et de l'ESEA ont suivi tout simplement, car la faute revenait plus à Virtus.pro qu'aux tournois eux-mêmes. Et c'est là où le bât blesse, s'il était audacieux de dévoiler publiquement ce type de problème il fallait un minimum être renseigné sur les dossiers réglés ou non... Or vraisemblablement ce n'était pas le cas. Pour sa défense, le président du club russe ne pensait pas que ce qui n'était à l'origine qu'un simple blog en russe aurait un tel impact. Cela démontre toutefois un manquement assez important dans la politique de communication du clan et, après tout, grâce à tout ce bruit ils ont pu obtenir des réponses rapides à leurs interrogations.
La victoire devant les meilleurs mondiaux aux EMS One Katowice
Les tournois réagissent
Forcément lorsque vous êtes attaqués et que vous n'avez rien à vous reprocher vous êtes en droit de répondre et de vous sentir injustement mis sur le banc des accusés. C'est donc l'ESEA qui a choisi de dégainer une réponse bien sentie qui reprend les accusations à son encontre. Déjà, avant même ce communiqué des Américains, nous avions appris que les accusations des Virtus.pro n'étaient pas très bien ficelées, l'organisation ayant déjà fait son mea culpa vis-à-vis du Starladder.
Craig « Torbull » Levine - co-fondateur de l'ESEA (Traduction - Source)
Aujourd'hui Virtus.pro a publié un communiqué concernant de très importantes sommes d'argent qui n'auraient pas été payées à l'organisation. Toutefois ils ont mentionné par erreur le nom de l'ESEA. Concernant les finales de la saison 17 de l'ESEA, qui se sont terminées le 7 décembre dernier, les joueurs américains qui se sont enregistrés correctement, ainsi que les fnatic, Titan et mousesports, ont été payés extrêmement rapidement via un virement bancaire ou Paypal dans les jours qui ont suivi la compétition. En revanche Virtus.pro ne nous a pas transmis ses informations bancaires (ils ont demandé à être payés sur un compte différent de celui de la saison précédente). Nous avons contacté le management de l'équipe les 14, 18 et 22 décembre, mais n'avons toujours pas reçu ces informations. C'est pour cette raison que le paiement n'a toujours pas été réalisé aujourd'hui.
Contrairement à d'autres organisateurs d'événements qui ont disparu (CPL, WSVG, CGS, IPL, WCG etc.) ou d'autres qui ont abandonné Counter-Strike, l'ESEA est resté engagé dans CS depuis plus de dix ans maintenant et a versé pour 876 890 $ aux équipes. Le cash de nos tournois ESEA Invite est traditionnellement payé directement lors des finales LAN par chèque, et pour ceux qui désirent un virement bancaire cela se passe dans les jours qui suivent la compétition. Nos autres événements sont réglés dans les sept jours après la réception des informations de la part des équipes. Pas en 60, 90, 180 ou plus encore, et encore moins jamais payés.Nous sommes déçus de voir le nom de l'ESEA placé parmi une liste d'organisateurs de tournois qui ne paieraient pas selon Virtus.pro. Nous travaillons actuellement en privé avec Virtus.pro de manière à clarifier la situation.
Rapidement le ton a donc changé, l'offensive de Virtus.pro a fait réagir c'est certain, mais par forcément comme on aurait pu le penser. Après s'être excusé publiquement envers le Star Ladder, c'est maintenant vis-à-vis de l'ESEA et de la Copenhagen Games que le club doit le faire. Dans tous les cas, cela aura permis à la structure de recevoir rapidement les 6 000 $ que lui devait la ligue américaine et les 6 000 € en provenance des Danois. Notons la pointe de mauvaise foi d'Anton « Sneg1 » Cherepennikov qui visiblement, et on le comprend, n'aime pas être pris à défaut. Il regrette que son blog ait été porté et traduit publiquement et que l'ESEA y ait répondu, mais déclare tout de même que « les faits sont les faits, il n'y a pas d'argent ». Il faut bien avouer que si on ne transmet pas les informations pour être payé, il est normal qu'on ne reçoive rien et cette phrase n'était peut-être pas nécessaire.
Un drôle d'épilogue
Après s'être envolée rapidement, l'avion du scandale piloté par Sneg1 a connu de nombreuses turbulences, de plus en plus importantes laissant craindre un atterrissage mouvementé. Heureusement toutes les attaques n'étaient vraisemblablement pas infondées et finalement le patron russe de Virtus.pro choisit de revenir à l'essentiel de son message : la création d'un accord entre clubs et tournois. En effet la signature d'un contrat serait une piste à creuser, peut-être pas à la manière dont le dirigeant le souhaite, mais nous évoquerons ce sujet plus en détail dans un prochain article. Pour Sneg1 la plupart des contraintes doivent en effet revenir aux organisateurs, or l'affaire qu'il a soulevé révèle les manquements flagrants de sa propre structure. Si un tel accord avait été conclu, il aurait donc été lui-même touché par des sanctions... Il est donc nécessaire aux clubs de balayer devant leur porte assez rapidement s'ils envisagent de réclamer un encadrement plus strict et d'éventuelles conditions.
Le boycott qui avait été évoqué précédemment n'est plus lui aussi à l'ordre du jour pour Virtus.pro. L'organisation déclare simplement qu'elle ne participera pas aux ligues qui lui doivent de l'argent et tant qu'elles leur en devront, sauf s'ils sont actuellement engagés dans l'une d'elles. Plus intéressant la question de la direction que doit prendre l'argent versé par les compétitions est soulevée. Depuis la récente affaire des revenus de stickers chez Copenhagen Wolves, et le vol d'une grosse partie des gains du club par un manager malhonnête, il est devenu clair qu'une meilleure organisation sur ce sujet est nécessaire. Si dans le cas des stickers il s'agissait d'un versement direct de l'éditeur de CSGO Valve, le club n'était pas exempt de tout reproche. Là aussi un travail doit se faire du côté des organisateurs de tournois et des clubs. Le problème s'annonce en revanche épineux, certaines structures récupérant une part du cash remporté par leurs joueurs, et qui pourrait être désigné comme étant une personne de confiance ? Une fois encore une bonne partie du travail revient aux équipes plus qu'aux tournois, même si ces derniers doivent avant tout se renseigner auprès des joueurs, mais aussi des dirigeants, et ne plus agir comme certains trop hâtivement.
Bref cette affaire a eu le mérite de soulever un grand nombre de questions, mêmes si ce n'était pas celles qui étaient posées à l'origine et si, en l'état, aucune réponse réelle n'a été apportée. Nous reviendrons ultérieurement plus en détail sur l'intérêt d'un contrat liant structures et équipes, mais également sur la manière dont il pourrait s'appliquer. Cela impliquera nécessairement de détailler d'autres aspects plus isolés, mais qui nuisent à l'entente générale entre les clubs et les organisateurs. En clair on remerciera malgré tout le patron de Virtus.pro d'avoir mis à l'ordre du jour une problématique qui serait certainement passée inaperçue sans lui, en revanche on ne le félicite pas d'être aussi maladroit et de manquer d'autant de rigueur lorsqu'il lance une offensive médiatique... La communication est donc bel et bien un métier qui ne s'improvise pas !