C'est en 1984 (curieux hasard) que la licence Paranoia est née. Le jeu de rôle papier créé par Dan Gelber, Greg Costikyan et Eric Goldberg, avec son univers SF dystopique, a rencontré un succès certain, tout au moins outre-Atlantique en inspirant sans doute au passage des titres comme Fallout. Et c'est sous forme de CRPG qu'il nous revient aujourd'hui avec Paranoia : Happiness is mandatory, d'ores et déjà disponible sur PC après deux reports successifs et une sortie en toute discrétion, mais aussi prévu sur consoles en 2020.
Dans ce monde rétro-futuriste entièrement contrôlé par l'Ordinateur, le bonheur est obligatoire et les règles sont strictes. Absurdes, mais strictes. Le moindre écart à la réglementation est considéré comme traîtrise et est sanctionné avec in fine l'extermination des traîtres avérés. Reste à voir si de telles conditions de vie permettent effectivement d'être heureux et si la version de Paranoia proposée par Black Shamrock et Cyanide Studio est capable de nous procurer tout le bonheur du monde. Mais chut, il ne faudrait pas que nos doutes parviennent jusqu'à l'Ordinateur.
- Genre : RPG
- Date de sortie : 5 décembre 2019 (PC), 2020 (PS4 et Xbox One)
- Plateforme : PC, PS4, Xbox One
- Développeur : Black Shamrock, Cyanide Studio
- Éditeur : Bigben Interactive
- Prix : 29,99€ (Epic Games Store) disponible sur Amazon
- Testé sur : PC
L'Ordinateur est votre ami
Tout commence par votre "éveil", un peu déboussolé, en tant que nouveau clone d'une série de six. Pour commencer, il s'agit de passer les différents tests nécessaires du Service Assurance Qualité des Clones du Complexe Alpha, pour s'assurer que le résultat est correct et qu'il n'est donc pas nécessaire de vous envoyer au rebut du côté de l'incinérateur. Et mieux vaut faire cela avec le sourire car le bonheur est, avec l'hygiène et la loyauté, l'une des conditions incontournables dans cette société futuriste qu'une IA dirige en maître absolu sous le nom d'Ordinateur. L'Ordinateur ne veut que votre bonheur et pour cela, il est prêt à vous exterminer en un clin d’œil si nécessaire. Dans le Complexe Alpha, isolé sous dôme du monde extérieur, c'est l'Ordinateur qui décide de tout et mieux vaut lui obéir, car il est particulièrement paranoïaque et chaque écart de conduite ou chaque pensée subversive fera grimper votre barre de traîtrise débouchant sur votre élimination si vous atteignez les 100%. Et il en faut peu, vraiment très peu pour être sanctionné. Mais n'ayez crainte, "l'Ordinateur est votre ami".
Pour commencer, il y a des niveaux d'accréditation à respecter, classés par codes couleur. Attention donc aux lignes tracées sur le sol pour ne pas entrer par inadvertance en zone prohibée et écoper ainsi d'un signalement consigné dans votre dossier et faisant grimper votre niveau de traîtrise. Il s'agit donc d'être fidèle à l'Ordinateur et de respecter scrupuleusement les consignes et les ordres qu'il vous donne, dans le cadre des missions qu'il vous confie en tant que leader d'une équipe de 4 Clarificateurs. Votre rôle est de traquer les traîtres qui se tapissent dans le complexe et de les éradiquer. Il faut dire que malgré les pilules censées vous aider à être heureux, bon nombre de citoyens n'apprécient guère la dictature loufoque imposée par l'Ordinateur et que nombre de sociétés secrètes se sont formées et agissent dans l'ombre pour renverser l'Ordinateur. Comme d'autres Clarificateurs, vous pourriez vous aussi être tenté par l'aventure, mais comme on ne sait jamais vraiment qui est qui, mieux vaut se méfier de tout le monde, y compris dans vos propres rangs, car la dénonciation est encouragée par l'Ordinateur et ne pas le faire est considéré comme un acte séditieux. Mais dans le cas contraire, il vous est hautement recommandé de signaler à l'Ordinateur les actes répréhensibles observés au cours de vos missions.
Équipé du core-tech, l'implant cérébral dont est obligatoirement muni chaque nouveau clone, vous êtes en permanence connecté au réseau du complexe Alpha pour pouvoir être à tout instant en contact avec l'Ordinateur qui sait ainsi tout ce que vous faites, voyez, entendez, sentez ou goûtez. Seules vos pensées lui échappent à moins de vous trouver dans une zone noire où le signal ne passe pas. Grâce au core-tech, vous disposez également d'un affichage tête haute en réalité augmentée qui fait ici office d'interface. C'est après avoir dénoncé un superviseur félon que vous êtes promu au niveau d'accréditation rouge et êtes affecté aux héroïques fonctions de Clarificateur, mais le vrai héro reste l'Ordinateur, grâce auquel tout est parfait. Toutes les mutations issues des radiations ont d'ailleurs été éradiquées, mais vous devez tout de même signaler celles que vous remarquez, y compris sur vous-même, même si cela n'arrivera jamais puisqu'elles n'existent plus. Votre première mission vous entraîne dans les sous-sols à la recherche d'un frottebot, un robot-nettoyeur fan de boisson Bouncy Bubble, disparu et équipé d'un émulateur de peur pour accroître son efficacité. Bien vite, vous accédez au rang de leader et enquêtez sur un étrange triple homicide à base de distributeurs automatiques piratés. Et petit à petit, vous obtenez des accréditions de niveau supérieur et pénétrez ainsi les plus hautes strates de la société, tout en adhérant éventuellement à des sociétés secrètes, à condition bien sûr de ne pas vous faire remarquer.
Du bonheur, rien que du bonheur
L'univers décalé du titre, où la soumission demandée par l'Ordinateur est telle que vous devez vous éradiquer vous-même si vous remarquez quoi que ce soit qui cloche chez vous malgré des règles parfois bien absurdes, est vraiment son gros atout. L'ambiance et l'humour noir sont ici bien retranscris et ce petit côté 1984 avec un Big Brother qui surveille continuellement vos faits et gestes rend hommage au jeu de rôle papier originel. D'aucuns critiqueront le passage en jeu vidéo, puisque perdre par la même le sel des trahisons entre joueurs est en revanche discutable. Les autres officiers de votre équipe étant gérés par l'ordinateur, on perd en effet le côté relationnel intéressant du jeu mais les éléments clés demeurent comme le rôle assigné à chaque membre de votre équipe (Fonction Obligatoire Complémentaire) et dont découle le comportement : Garant du Bonheur, Garant de la Loyauté, Chargé de l'Hygiène, Responsable des Communications et des Enregistrements, et Responsable du Matériel.
Au niveau des graphismes, l'orientation cartoon ne se prenant pas au sérieux est plutôt louable, dommage seulement que ceux-ci s'avèrent tout de même bien souvent un peu simplistes, notamment les personnages qui ressortent comme très grossiers dans leur design, surtout que les portraits des différents protagonistes sont un peu trop recyclés. Si les environnements se ressemblent aussi un peu trop, vous croiserez également certains décors plutôt bien inspirés venant un peu casser la monotonie du complexe Alpha. La vue en 3D isométrique permet des déplacements au stick gauche, tout comme la caméra avec le stick droit. Toutefois, si vous déplacez la caméra, n'oubliez pas de refixer ensuite celle-ci sur votre personnage avant de bouger, à défaut de quoi vous le perdrez des yeux, ce qui n'est pas très pratique. Il est aussi possible de jouer à la souris en cliquant là où l'on veut se déplacer. Celle-ci s'avère d'ailleurs bien plus pratique pour ramasser le loot avant que des robots de nettoyage s'en chargent, ou pour sélectionner un autre élément du décor.
Sur le plan technique, nous n'avons pas rencontré de problèmes majeurs si ce n'est les membres de notre équipe qui peuvent se coincer derrière des éléments du décor si on les laisse en arrière et qu'on leur demande ensuite de nous rejoindre. À noter qu'une traduction française est disponible et que cela est plutôt une bonne chose tant il y a d'éléments à lire, que ce soient les lignes de dialogue ou toutes les informations dont regorge l'Alphapédie, l'encyclopédie du complexe Alpha. Vous pouvez aussi accéder à l'Alphabook, le Facebook local que vous avez l'obligation d'utiliser et que l'Ordinateur a créé pour votre plus grand bonheur comme pour pouvoir vous surveiller d'encore plus près, notamment vos pensées qui échappent à la surveillance des omniprésentes caméras. Une stricte clause de non confidentialité est d'ailleurs liée à votre compte pour s'assurer que quiconque puisse accéder à vos données. Enfin, la musique qui vous accompagne dans votre aventure s'avère être de circonstance, avec son petit côté angoissant.
Comme nous l'avons déjà signifié, la hiérarchie sociale très stricte du complexe Alpha s'organise autour d'un code couleur. De là découlent les droits de chacun. Même les objets disposent de ce code couleur, n'autorisant ainsi l'accès qu'à ceux de votre niveau d'accréditation ou ceux d'un niveau inférieur. De même, les armures protègent des rayons lasers de niveau d'accréditation inférieur mais pas de ceux de niveau supérieur. Tout citoyen doit obéir aux ordres des citoyens de niveau d'accréditation supérieur sauf bien sûr s'il s'agit d'actes illégaux ou séditieux, auquel cas il ne faut pas hésiter à dénoncer votre supérieur. Mais attention, la mort n'est pas une fin en soi puisqu'en cas d'extermination, on est alors recloné, dans la limite toutefois de 6 clones, à moins de s'en procurer de nouveaux au marché noir en passant par un dealer infra-rouge que l'on règle à coup de bytecoins.
C'est traîtrise que d'être malheureux
Du côté du gameplay, chaque cycle-jour commence dans votre chambre avant de vous rendre dans la salle de briefing où, sur un écran géant, un énorme œil représentant l'Ordinateur vous observe en pointant deux immenses faisceaux lasers sur vous, au cas où. Là, l'Ordinateur vous explique ce qu'il attend de vous, sachant que vous devez absolument tout réussir car l'échec est considéré lui aussi comme traîtrise. Après avoir sélectionné les membres de votre équipe (3 officiers parmi 3 au départ, puis leur nombre augmentera ensuite jusqu'à 6), il faut récupérer votre matériel via des districodes à utiliser dans les distributeurs automatiques et vous rendre au centre de Recherche et Conception pour obtenir des missions secondaires reposant sur l'expérimentation de divers prototypes loufoques. Il ne vous reste plus ensuite qu'à descendre au sous-sol ou prendre le train pour vous rendre à votre mission. À votre retour, un debriefing aura lieu devant l'Ordinateur où chacun sera encouragé à dénoncer les actes répréhensibles de ses camarades. Enfin, un passage par le centre de R&C pour restituer tout le matériel en votre possession sera nécessaire avant d'aller se coucher (à moins de l'avoir dissimulé auparavant dans votre cache secrète) et conclure ainsi un nouveau cycle-jour.
Chaque Clarificateur dispose de compétences particulières et d'une abilité propre à sa fonction comme motiver les troupes (plus précises et plus rapides) pendant 15 secondes pour le leader. De même, lors de l'implantation de votre core-tech, après chaque nouvelle opération de clonage, vous pouvez affecter 3 points dans 9 compétences réparties dans 3 attributs : Cellules Grises (Bureaucratie, Procédure, Psychologie), Mécanique (Programme, Ingénieur, Artisanat) et Violence (Mêlée, Armes à feu, Condition physique). Mais il est aussi possible de booster temporairement chaque compétence en ingurgitant des aliments, certaines boissons ou des pilules que l'on peut acheter dans les distributeurs automatiques. Cela peut permettre d'effectuer certaines actions sinon bloquées ou d'accéder à certaines lignes de dialogue supplémentaires. De plus, chaque clone récupère l'une des 5 mutations qui n'existent plus : télékinésie, pyrokinésie, réflexion (pour se mettre à l'abri dans une bulle protectrice), régénération (soin) et onde de choc (air d'effet électrique). Bien entendu, la chasse aux mutants étant ouverte, mieux vaut être discret pour utiliser ces facultés particulières. De plus, il faut patienter le temps qu'elles se rechargent avant de pouvoir les réutiliser.
Une fois sur le terrain, il faut mener son enquête et inévitablement affronter mutants et autres traîtres qui ne manqueront pas de résister. On entre alors dans une phase de combat tactique en temps réel disposant d'une pause active pour permettre de donner ses ordres à chacun des membres de l'équipe : positionnement, ciblage, utilisation de faculté ou autre objet comme les grenades. En dehors de cela, il s'agit surtout de se mettre à couvert, le ciblage et les tirs se faisant automatiquement. Chacun peut aussi se lancer des objets au cours du combat, c'est par exemple le cas des munitions si un officier se retrouve à court. Il est également possible de pirater les distributeurs automatiques pour ouvrir certaines portes ou désactiver des tourelles, voire obtenir de nouveaux objets ou plus de crédits, mais si quelqu'un assiste à la scène, il pourra alors vous dénoncer. Vous pouvez aussi concasser les objets inutiles et utiliser les débris obtenus ou ceux récupérés en cours de mission pour fabriquer d'autres objets dans les recycleurs à l'aide des recettes fournies, à condition de disposer des ingrédients nécessaires, bien entendu.
Nous terminerons sur les sociétés secrètes qui, comme dans le jeu de rôle papier, constituent des parodies de partis politiques, de mouvements sociaux, ou de fans d'une série, d'un film, d'un jeu ou de toute autre lubie farfelue. C'est ainsi que l'on rencontrera pour commencer un certain Frodon appartenant à une confrérie avide de renverser le gros œil qui nous gouverne tous grâce à la pierre qu'il affûte et de partir à la découverte du monde extérieur. On peut également citer les gamers avides de victoire et addicts à World of Clarificateurs. Une mission tournant autour de la stupidité des procédures administratives faisant parfois tourner inutilement en rond nous a fait penser aux 12 travaux d'Astérix. Et que dire de cet Ordinateur paranoïaque qui n'est pas sans rappeler un certain HAL 9000 croisé dans 2001 l'Odyssée de l'espace. Les références sont nombreuses et le titre, comme tout bon RPG, propose beaucoup de lignes de dialogue. L'accessibilité voulue par celui-ci exclut en revanche l'existence d'un véritable arbre de compétences permettant de développer des classes bien précises. Et comme les combats s'avèrent finalement assez simplistes et sans grand intérêt, le jeu nous a souvent davantage fait penser à une aventure textuelle. Si cela ne vous dérange pas, la quinzaine d'heures que vous passerez en compagnie de Paranoia devrait vous divertir convenablement, dans le cas contraire vous risquez de vous ennuyer, ce qui est fort regrettable tant son univers est riche.
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