Il n'y a jamais de mauvais moment pour parler de Matrix. Beaucoup d'articles, podcasts, émissions et autres lui ont été consacrés et, quel que soit le temps qui passe, il restera l'un des meilleurs films de science-fiction de l'histoire. L'univers créé par les sœurs Wachowsky est si détaillé et si personnel que l'on pourrait passer des heures à en parler. Nous n'allons pas nous étaler, mais revenir sur certains de ses aspects puisque vous pouvez désormais regarder l'intégralité de la saga sur HBO Max et certains de ses principaux volets sur Prime Video.
Attention, la suite de l'article contient des spoilers. Nous vous conseillons donc de passer votre chemin si vous n'avez jamais regardé les films.
C'est quoi Matrix ?
Dans Matrix, nous découvrons un monde ravagé et gouverné par les machines, dans lequel les humains ont perdu la guerre contre elles et ne leur servent plus que de source d'énergie, vivant dans la torpeur de couveuses. Les machines ont créé un monde virtuel pour maintenir la conscience des gens en sommeil et les divertir dans des vies monotones. Dans ce scénario, Neo soupçonne que quelque chose ne va pas dans sa réalité et finit par contacter un groupe qui lui propose de connaître la vérité et de participer à la lutte active contre eux. Il sera l'Élu qui libérera l'humanité.
Ce serait l'intrigue de Matrix, mais ce n'est que la première couche qui justifie un torrent de significations et de messages qui n'ont rien à voir avec cette prémisse. Bien sûr, la lutte contre les machines fait partie du film, mais c'est la même chose que dans Evangelion : il s'agit d'une histoire transcendante et réfléchie dans un monde de machines et de science-fiction. En d'autres termes, le sujet n'est qu'un autre scénario pour présenter de vrais dilemmes, pour parler de l'existence ou de la destinée humaine.
Une esthétique particulière
Je pense qu'il est préférable d'y aller petit à petit pour comprendre la complexité de Matrix, donc j'aimerais d'abord commencer par son esthétique. Il est bien connu que ce jeu a été fortement inspiré par des animes comme Evangelion, déjà mentionné, mais aussi par Ghost in the Shell, entre autres. Son cadre est donc totalement cyberpunk, avec les touches underground caractéristiques de la fin des années 1990 et du début des années 2000. D'autres films, tels que Blade, en témoignent également. Je voudrais ici introduire un terme qui a finalement été développé dans le dernier volet de la saga, Matrix Resurrections : la dualité.
D'une part, une vision réaliste est utilisée pour le monde dans lequel les humains vivent. Ainsi, le spectateur peut s'identifier à l'un des moutons du troupeau et commencer à se demander s'il fait partie de la matrice. Ce n'est que lorsqu'ils atteignent la vérité qu'ils se manifestent dans ce monde avec une esthétique révolutionnaire et en utilisant des pouvoirs qu'aucun être humain ne pourrait avoir. L'utilisation d'une esthétique aussi frappante n'est qu'une façon de montrer une représentation fictive de ce qu'une personne aimerait être mais n'est pas, d'un désir de l'imagination. C'est pourquoi il existe une dissonance stylistique évidente entre les personnes vivant dans la Matrice elle-même, ainsi qu'entre les différents environnements. C'est comme si deux mondes vivaient en un seul. L'un est un rêve imposé et l'autre un rêve de l'imagination. En effet, lorsque les protagonistes sont dans la "réalité", sur le plan de Sion, ce que l'on voit en réalité, c'est la misère et la pauvreté, ce qui renvoie à l'idée que la vérité vous rendra libre, certes, mais qu'elle aura un prix. Ce concept est également très bien développé à travers le personnage de Cypher, qui demande à retourner dans la Matrice de son plein gré, se soumettant à l'esclavage pour vivre dans un rêve, ou avec l'allusion à Alice au pays des merveilles au début du film.
Plus tard, au fil des volets suivants, on peut également y voir l'allégorie d'un rêve. L'une des dernières scènes de Matrix Revolutions fait allusion au ciel ensoleillé, un ciel qui est une représentation créée par un programme, mais qui représente l'idéal de liberté. Néo a triomphé, c'est du moins ce que l'on croit à la fin du film, mais en réalité, le ciel du monde réel est totalement couvert et les rayons du soleil ne peuvent pas atteindre la surface. La réalité est qu'une machine est toujours celle qui a créé une belle image pour les humains, entrant dans une boucle sans fin. Et non, je ne parle pas tant de la boucle de répétition des différentes matrices, je parle de quelque chose de plus symbolique. Je parle de la façon dont l'idéal de liberté, de briser le destin, n'atteint jamais une résolution décisive.
L'un des principaux thèmes de la Matrice est la vérité. La Bible dit : "La vérité vous rendra libres" et il semble que ce soit l'un des principaux mantras de l'existence depuis des siècles. Dans ce film, toutes les croyances sont remises en question et le dilemme de nos actions est soulevé : Neo est-il l'Élu parce qu'il l'était, ou parce qu'il a choisi de l'être en sachant qu'il pouvait l'être ? A-t-il pris la pilule rouge par choix ? Si nous regardons de près la conversation avec l'Oracle, elle ne lui dit pas grand-chose. En tant que programme, elle se base sur un ensemble de paramètres qu'elle connaît déjà, et nous ne saurons jamais vraiment si Neo choisit de les suivre ou de les enfreindre. Dans quelle mesure sommes-nous maîtres de notre volonté ? A ce stade, je dois avouer que j'adore la théorie selon laquelle l'agent Smith est le véritable élu de la Matrice, celui qui décide de sortir de son rôle, de se révéler et de s'opposer à tout ce qui lui est imposé.
Smith, le vrai point central ?
Neo a fait partie de la boucle à plusieurs reprises sans jamais réussir à la briser, mais c'est avec l'existence de Smith que les choses commencent à changer, et c'est sa disparition qui oblige les machines à coopérer avec Neo, c'est-à-dire qu'en fin de compte, Neo supprime l'anomalie qui allait rendre les choses différentes. En d'autres termes, à la fin, ce que fait Neo, c'est mettre fin à l'anomalie qui allait rendre les choses différentes. De plus, l'apparition de Smith n'est pas sans importance, puisque c'est la nécessité d'une coopération entre Neo et les Sentinelles qui sauve la ville de Zion, qui lui évite de devoir se reconstruire avec quelques êtres éveillés. Peut-on dire alors que c'est Smith qui est à l'origine de cet événement ?
Je sais que je vais omettre beaucoup de thèmes et de messages dont j'aimerais parler, mais ce texte serait interminable, alors la dernière réflexion que je veux aborder est sur l'existence humaine elle-même. Si vous avez vu Animatrix, que je vous recommande vivement par ailleurs, vous saurez que celui-ci sert à montrer un peu plus les lignes temporelles antérieures au premier film. En fait, il s'appelle "Le dernier vol d'Osiris" pour cette raison, mais il sert aussi à éclairer certains événements très pertinents. Si je disais que le scénario opposant les machines aux humains n'était qu'une toile de fond, dans cette œuvre, il est utilisé pour montrer les raisons qui ont conduit à la guerre entre les deux camps. Ainsi, les machines sont présentées comme une invention humaine qui, à un moment donné de son développement, devient consciente. C'est à ce moment-là que, malmenées par les humains, elles décident de se révéler et de créer leur propre nation, en essayant d'être considérées comme des égales. La réponse des humains est d'effacer le soleil pour laisser ces êtres sans approvisionnement et la suite nous la connaissons déjà.
À l'heure où l'IA semble être l'un des sujets les plus discutés, n'est-ce pas une vision très avant-gardiste ? Des films comme I, Robot ou des jeux comme Detroit : Become Human mettent l'accent sur la même idée, mais ici, elle est développée beaucoup plus loin et utilisée pour la renverser. Le fait que même le déjà-vu ait sa propre interprétation est tout simplement incroyable, amenant une fois de plus le spectateur à s'interroger sur sa propre existence. De plus, un conflit tout à fait remarquable est mis directement sur la table : en voyant l'histoire des machines, nous ressentons de l'empathie et nous pouvons penser qu'il n'aurait pas été si difficile de coopérer, mais l'aurions-nous fait ?
J'ai promis de laisser de côté les interprétations, je vais donc me concentrer brièvement sur la construction du film lui-même. Je pourrais parler de la signification des noms des personnages eux-mêmes, de la numérologie ou des petits détails des costumes qui en disent long, mais je m'en tiendrai là pour aujourd'hui. Si le symbolisme et les messages sont une partie absolument fondamentale, il y a beaucoup d'autres éléments très intéressants. Tout d'abord, on peut parler du fait qu'il s'agit d'un des films les plus référencés du cinéma, mais aussi que celui-ci décide de faire de même. Par exemple, la scène dans laquelle Neo se bat contre Morpheus et lui touche le nez est quelque chose que Keanu Reeves a lui-même improvisé, imitant Bruce Lee.
Il est également bien connu que les réalisateurs ont décidé de dépenser tout leur budget sur la première séquence dans laquelle Trinity se bat dans la Matrice afin de convaincre le studio de leur accorder plus de fonds. Devant le résultat, ils ont décidé d'investir et ils ne se sont pas trompés. Le premier volet de la saga a réussi à récolter plus de 400 millions de dollars, sans compter toutes les reconnaissances qui ont suivi, comme les quatre Oscars. C'est ainsi qu'un projet de plus de 5 ans et de 14 versions du scénario a vu le jour.
Une autre partie fondamentale du film est sans aucun doute l'action, comme dans Evangelion, le combat de robots est le point frénétique dont toute œuvre a besoin. Les acteurs ont passé environ 4 mois à s'entraîner aux arts martiaux et certains, comme Carrie-Anne Moss, ont décidé de jouer leurs propres scènes. Cela a entraîné quelques accidents, mais c'était aussi un avantage, car les spécialistes ont développé des formes de combat basées sur les mouvements des acteurs eux-mêmes. De plus, comme le film s'inspire de Ghost in the Shell, il n'est pas rare de voir de nombreuses références à la culture asiatique. D'ailleurs, Brandom Lee, le fils de Bruce Lee, était initialement pressenti pour le rôle de Neo, mais il est décédé plus tôt, pendant le tournage de The Raven.
À ce stade, je pense que je vais arrêter de parler de la Matrice, mais pas sans l'espoir d'avoir réussi à vous encourager à la regarder à nouveau maintenant que nous pouvons le faire d'une manière aussi accessible grâce à HBO et Prime Video. De la même manière, je vous encourage à chercher vos propres références, réflexions et à profiter d'une saga qui, quel que soit le temps qui passe, continuera à surprendre et à générer de nouvelles sensations.
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