Du ‹‹ Miracle Run ›› à la ruine. L'histoire de l'effondrement des Gen.G aux Worlds 2018 League of Legends a de cela d'extraordianire qu'elle s'affranchit de tout contexte, déjouant au final ce besoin de storytelling inavouable du grand public. Au sortir d'un gauntlet superbe, appelés sans inquiétude à intégrer le dernier carré du tournoi, l'élimination du champion du monde en titre dès les phases de poules ne représente pas seulement la pire performance de la Corée aux Worlds depuis Samsung Ozone en 2013. Cet échec n'est pas non plus que la série de défaites honteusement concédées face à des équipes westerns dépréciées en Asie, pour ne pas dire sous-estimées.
La chute de Gen.G dans cette compétition est davantage cet évènement accablant pour le pays hôte qui a vécu ce moment comme une démission soudaine de ses représentants. Le total misérable d'une victoire pour cinq défaites dans ce Groupe B évoque d'ailleurs bien plus qu'un simple affront fait aux supporters de Busan, car derrière Gen.G gravitait nombre de certitudes. D'abord celle d'une équipe pas comme les autres avec son jeu bien à elle qui s'est employée à défier la meta tout le long de la saison, et aussi celle de ses joueurs, des vétérans assermentés en mission à la moindre perspective des championnats du monde. Et puis s'est invité l'inconnu pour les tenants du titre : l'écart qui se resserre de façon inédite avec l'Ouest et la Chine, ces nouveaux prodiges venus d'ailleurs pour surclasser la région mère, ces parties qui ne durent plus et ne pardonnent plus. De Samsung Galaxy à aujourd'hui, ces joueurs se sont construits en marge dans un style particulier, du perfectionnisme noble à un certain rigorisme. Chacun est juge. Cette identité lourde à porter, Crown, Ambition ou Ruler n'ont pu l'emmener jusqu'au bout cette année. La rupture des Coréens était a bien des égards prévisible ou attendue, mais pas aujourd'hui, et pas comme ça.
Il y a à peine quelques semaines, Gen.G triomphait dans les finales régionales en venant à bout de l'ovni Griffin au seul bénéfice de son expérience des grands rendez-vous. Sortis dès l'entame des Playoffs du Summer Split, l'approche des Worlds conditionnait alors pour la troisième année consécutive l'escalade d'un gauntlet compliqué pour les champions du monde. Cette mobilisation de circonstance forçait une fois de plus l'admiration des fans et des observateurs de tous horizons.
Au terme d'une saison en dents de scie, marquée par l'épreuve du patch 8.11 qui a lourdement pénalisé un effectif serein dans sa zone de confort, Gen.G s'est reconstruit tard dans le dernier volet de la compétition en Corée cette année. La qualité de sa botlane a été la première garantie des deux succès de rangs obtenus face à SKT T1 et face aux Griffin. Au cœur de deux BO5 très disputés, Ruler et CoreJJ ont entériné leur statut de meilleur duolane de Corée en s'impliquant de façon constante et en apportant cette caution essentielle au teamfight Gen.G, avec certainement le meilleur Tahm Kench du monde. CuVee est le second acteur du ‹‹ Miracle Run ›› depuis sa toplane. Véritable thermomètre de son équipe, le toplaner Coréen s'est illustré avant les Worlds dans des match-up difficiles pour un carry et promettait de maintenir un tel niveau d'assurance en lane pour cette compétition. Quant à la macro Gen.G, relique sacrée de l'époque Samsung Galaxy, elle n'a pas souffert du retour discret de Crown sur la midlane et a su s'adapter aux différents profils qui se partagent la jungle chez Gen.G.
La bonne forme retrouvée de l'équipe a immédiatement gagné en crédit lorsqu'elle l'emporta sur les favoris pour ce Seed 3 aux Worlds. L'enseignement de la recontre face aux Griffin a mis en lumière combien l'expérience et la résilience d'un groupe est déterminante à ce seul instant précis, celui qui décide de tout. La grande force de Gen.G, qui était déjà celle des SSG l'année passée, est définitivement cette faculté à configurer des reflexes de sécurité. Si cette stratégie instinctive a porté ses fruits sur les trois derniers tournois qualificatifs, c'est bien qu'elle ne respecte pas l'exigence d'un pur format saisonnier dont les enjeux sont presque illisibles à court terme. Être ‹‹ clutch ›› ne s'improvise pas et si Gen.G a réussi à intégrer les Worlds cette année, c'est que la formation avait, malgré elle, intégré depuis longtemps la probabilité du gauntlet comme principal objectif dans sa préparation. Tout le reste a certainement pâtit de l'essouflement de cette impulsion et d'une baisse de concentration, avant comme après.
Focalisés sur ce tournoi qualificatif comme l'occasion de racheter une saison insipide, Gen.G a réussi son coup. Immédiatement, l'opinion se saisit de cette occasion pour dresser un parallèle avec les Worlds 2017. De roi du gauntlet à champion du monde, il n'y a qu'un pas à faire. Après tout, les joueurs sont encore là, ils ont du talent et leur tactique est éprouvée. Que peut-il bien leur arriver ?
Dans sa bulle, Gen.G n'a pas mis le doigt sur ses lacunes et ne s'est pas impliqué dans sa préparation. Le Seed 3 Coréen n'a jamais pris la mesure d'un tournoi très mécanique, aussi spontané que versatile. Le Groupe B, présenté comme le ‹‹ groupe de la mort ›› devait être le tombeau des LCS, de Cloud9 et de Vitality, deux équipes qui ont sous performé en saison régulière et qui ont manqué de beaucoup de régularité. Dans les faits, les deux défaites infligées par Vitality retranscrivent parfaitement la différence d'état d'esprit entre Gen.G et le reste du groupe mais aussi l'écart entre les prestations individuelles de chacun.
L'un avait tout à perdre et l'autre tout a gagner dans ces championnats du monde. Confrontés à des joueurs qu'ils ne connaissaient pas, Gen.G a avoué son immense difficulté à calculer le plan de jeu leurs adversaires puis à établir un élément de réponse cohérent. Bousculés au plus profond de leur identité, à savoir leur zone de confort vitale que représente leur début de partie et leur laning paisible, les Gen.G ont été pris à la gorge dans ces groupes, asphyxiés dans des oppositions de style qu'empêchaient le déploiement de leur savoir-faire. Pas d'opportunité pour dérouler une macro propre ni pour une bataille rangée passée quarante minutes, Gen.G a souffert d'une naïveté saisissante en lane en s'exposant à toute une batterie de sanctions : solokills, ganks sur des trous de vision ou encore peu de présence autour des objectifs neutres.
La responsabilité de ce naufrage repose sur deux composantes distinctes. La première est la responsabilité des joueurs, qui par leur manque de solidarité ont contribué à prendre les mauvaises décisions. Individuellement, les regards se portent naturellement sur Crown, absolument pas au niveau de la compétition et dont la présence sur la midlane a largement pénalisé l'équipe dans ce groupe. Son champion-pool est daté, son Malzahar n'a jamais inquiété Jiizuké et sa Syndra a fait rire le monde entier. Le Gen.G du 13-5 sur le Summer Split n'est pas celui de Crown, réapparu à un mois des Worlds, consignant Fly et sa très bonne saison au rang de simple remplaçant. Sur la botlane, Ruler s'est obstiné à évoluer sur Kai'Sa, un champion qu'il n'a jamais perfectionné. Enfin, la rotation au poste de jungler n'a rien arrangé non plus en sacrifiant beaucoup de repères pour Gen.G en début de partie ou en exigeant de s'adapter vainement au playstyle agressif de Haru.
La seconde cause de ce désastre est à aller chercher du côté du staff, dont la responsabilité sur ces Championnats du Monde est extrêmement lourde. Gen.G a signé quelques unes des pires drafts de ce tournoi en méprisant le red side et son aptitude a counterpick mais également en négligeant beaucoup de priorité sur la carte aussi bien midlane que botlane. Les ratés du coaching staff vont plus loin encore dans la préparation de la compétition, que tout indique comme catastrophique. Le peu d'automatismes face à l'Ouest jette un discrédit considérable sur le travail d'analyse et d'anticipation effectué en amont par Gen.G pour ces Worlds. Aucune réponse efficace n'a été apportée face à l'agression de Vitality et ce défaut d'engagement est à considérer au mieux comme le meilleur moyen de sous-estimer ses adversaires, au pire comme une faute professionnelle. Si Syndra est meta pour les Championnats du Monde et que mon adversaire est le meilleur joueur d'Ekko sur la scène européenne, ou le meilleur joueur de Leblanc en NA, alors la blind-pick blue side est une grosse preuve d'incompétence. Difficile pourtant pour coach Edgar d'évaluer ce sur quoi Crown pouvait être utile pour son équipe, entre sa Lulu bien fade et son Irelia litigieuse.
Ceux que l'on surnomme dorénavant les ‹‹ Génération Giveup ›› en Corée ont, au bout du compte, passé la compétition à lutter à armes inégales. La line-up Gen.G est désormais la dernière à rejoindre la liste des vétérans du circuit Coréen qui n'ont pas réussi à assurer leur renouvellement à ce jour. Après l'échec de SKT T1 et de King-Zone DragonX à domicile, Gen.G a malheureusement explosé devant les yeux du monde entier dans un exercice qui ne lui convenait pas : celui de se mesurer à un nouveau monde moins contraint par la méthode que par la liberté de ses choix. Les conséquences seront terribles pour les champions du monde en titre qui devraient selon toute évidence tirer les leçons de ce fiasco. La première étant la vétusté et l'usure de ses cadres qui ne collent plus à l'ère du temps. La seconde et la plus complexe sera de faire son propre inventaire, ce travail sur soi indispensable pour retrouver une identité propre et une vraie force de caractère. Le début de la fin sonne pour Crown ou Ambition qui semblent aujourd'hui à bout de souffle et ne trouvent plus leur place au milieu du haut niveau. En ce qui concerne l'avenir de la marque, les multiples rachats de la structure Samsung depuis l'année dernière ont evidemment mis à l'épreuve l'endurance de l'équipe championne du monde mais des joueurs comme Haru, CoreJJ ou Ruler méritent de pouvoir continuer à progresser dans un milieu stable. Que l'hiver qui vient puisse leur offrir l'occasion de se réinventer.
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