Apparue en 2001 sur Internet sous le format MP3 et surtout gratuitement — ce qui, ne nous mentons pas, a fortement contribué à sa notoriété bien méritée — la saga Le Donjon de Naheulbeuk a longtemps été une référence pour les amateurs de jeu de rôle, d'heroic fantasy ou encore de François Pérusse et de ses célébrissimes Deux minutes du peuple. Un premier volet de 15 épisodes, qui a été suivi par de nombreuses nouveautés depuis, un peu moins populaires mais tout aussi bien écrites. Dans le désordre, on peut nommer La Couette de l'Oubli, Le Conseil de Suak ou encore Chaos sous la montagne par exemple. Une licence créée quasi intégralement par John "Pen of Chaos" Lang qui a, excusez du peu, géré l'écriture, l'enregistrement, le mixage ou encore la distribution de tout ça.
Disponible d'abord sur les plateformes diffusant du MP3, Le Donjon de Naheulbeuk a logiquement été décliné en bandes dessinées puis en romans. Et dès ce 17 septembre 2020, la saga passe au niveau encore supérieur : le jeu vidéo.
- Genre : RPG tactique
- Date de sortie : 17 septembre 2020
- Plateforme : PC (Steam et Epic Games Store), et PS4, Xbox One, Switch plus tard
- Développeur : Artefacts Studio
- Éditeur : Dear Villagers
- Prix : 34,99 €
- Testé sur : PC
Avant toute chose, il est à peu près évident qu'il s'agit d'adresser un message aux lecteurs de ce test : dans l'œuvre éponyme Le Donjon de Naheulbeuk, et à fortiori dans le jeu vidéo, la place au politiquement correct est faible, voire très faible (qui a dit "inexistante" ?). Des insultes, souvent balancées par le Barbare ou le Nain, des insinuations parfois scabreuses, des réflexions souvent lourdingues de la part d'un peu tous les membres du groupe : c'est aussi (et surtout) ça, le charme que Pen of chaos a réussi à donner à son œuvre originelle et qu'on retrouve assez bien retranscrit dans ce RPG tactique.
Et parce que l'ambiance, le scénario et les personnages sont primordiaux pour la réussite d'un produit de cette licence, ce sera le premier sujet abordé dans ce test.
Les voix, le pétard un peu mouillé
Première déception, et pas des moindres, et ce dès les tous premiers moments de l'aventure : les voix ne sont pas celles auxquelles nous étions habitués dans la version MP3. Et pour cause, John Lang était pratiquement seul à l'époque pour tout doubler. Ici, pour l'adaptation jeu vidéo, il s'est entouré de quelques comparses, dont Franck Pitiot et Jacques Chambon (respectivement Perceval et Merlin dans la série Kaamelott) et encore quelques autres. Quelques "guests" font même leur apparition (même si je dois avouer que je n'ai pas spécialement reconnu leur voix au cours de l'aventure, car il y a un grand nombre de PNJ qu'on ne croise que succinctement) : Benzaie, BobLennon ou encore Artheon ont ainsi prêté leurs voix pour l'occasion.
Alors, bonne ou mauvaise idée d'avoir changé un peu les voix ? Si l'on est un fan de la première heure et que par conséquent les souvenirs les plus ancrés restent la voix nasillarde de l'Elfe et la voix du Ranger que l'on entend quasi tout le temps finalement, la déception risque d'être conséquente. Elle l'a été pour nous dans les premières minutes, voire les premières heures de jeu, et au fur et à mesure du temps passé, la différence s'est amenuisée naturellement et le cerveau s'est habitué. Et puisque les vannes sont celles que l'on attend tous (le célèbre moment "Chaussette !" du Nain en tête), à l'écrit comme à l'oral, la magie est restée la même. Ne nous mentons pas, si l'on joue à un jeu de la licence Naheulbeuk, c'est avant tout pour l'effet madeleine de Proust. Il est certes un RPG tactique intéressant, mais la principale attraction reste la narration.
Tous les gens, jeunes et moins jeunes, qui ont eu le plaisir de passer des heures à écouter ou réécouter la saga Naheulbeuk en format MP3 s'accorderont sûrement à dire que ce qui a fait sa réussite, c'est en grande partie la guerre perpétuelle entre le Nain et l'Elfe. Un dialogue à bâtons rompus, au sein duquel chacun donne inlassablement la réplique à l'autre, lui faisant remarquer à chaque occasion qu'il ne peut pas le supporter. Le retrouve-t-on dans la version jeu vidéo ? Oui, et avec un plaisir non dissimulé. L'Elfe, naïve et candide, est parfaite dans son rôle, et donne à merveille la réplique au Nain qui ne déviera jamais de sa ligne de conduite de toute l'aventure. Il est malgré tout important de noter que, comme un symbole, il est possible de faire taire l'Elfe, le Nain, ou les deux à la fois, simplement à l'aide d'une option faite pour cela.
L'ambiance, une franche réussite
Sans trop en dire ici sur le scénario principal, on peut d'ores et déjà annoncer qu'il suit grossièrement la trame de la partie la plus connue de la saga, celle qui se déroule directement à l'intérieur du Donjon de Naheulbeuk. Ce donjon "dont personne n'est jamais ressorti, mais surtout parce que personne n'y est entré" renferme énormément de choses : celles que les aficionados connaissent, comme l'épisode de la vendeuse de vêtements dans sa boutique, les couleurs gobelines expliquées par l'assistant du Maître du donjon, ou encore la façon très particulière d'appréhender le dernier combat (difficile de ne pas spoiler finalement...). Mais si l'on a encore de bons souvenirs de Pen of Chaos et de son œuvre, on remarquera des choix scénaristiques qu'il ne fallait pas avoir peur de faire. Au service de l'histoire et du mystère de l'Amulette du Désordre, puisque c'est finalement le nom du jeu, la troupe d'aventuriers va aller se frotter à de nouveaux vilains et surtout dans des endroits totalement absents de l'œuvre de base. Des libertés prises par le studio de développement, sûrement validées par le créateur de la saga (puisqu'il a eu son mot à dire à priori), et qui au final s'intègrent plutôt bien dans cette histoire dont on veut connaître le fin mot.
Et si la nouveauté n'est pas votre tasse de thé, alors vous avez la possibilité d'aller vous ressourcer, musicalement parlant, à la Taverne du donjon. Et là, magie, le thème joué en quasi-permanence est celui de "A l'aventure, compagnons" qui est sans doute le plus célèbre. Une Taverne qui sera aussi "the place to be" pour vous reposer à peu de frais, trouver des nouveaux donneurs de quêtes secondaires, faire avancer le scénario principal, ou encore revendre vos montagnes de loots récupérés en combat. Le thème principal vous ennuie ? Ne vous en faites pas, il se pourrait bien qu'une série bien spécifique d'événements vous conduise à assister à un concert de métal (une autre des passions de John Lang).
Pour en finir avec l'ambiance générale, la narration écrite que l'on peut lire tout au long de l'aventure prend de l'importance aux rares moments sérieux de l'histoire (malgré les quelques fautes d'orthographe qui font un peu désordre), et arrive pourtant à laisser place aux vannes "nulles, attendues et pourtant désopilantes" de la troupe de traîne-patins que l'on dirige. A noter que vous pouvez choisir que la voix de la narration soit féminine ou masculine, et que le premier "Le Barbare gagne un niveau" vous fera forcément esquisser un sourire (et si vous n'avez pas la référence, foncez écouter ces épisodes !).
Dernière chose : si vous êtes versé dans la culture Seigneur des anneaux ou Kaamelott, vous trouverez aussi votre compte. De nombreux easter eggs, noms de PNJ très douteux (Midranthir en particulier) ou répliques cultes "C'est systématiquement débile, mais toujours inattendu", devraient vous ravir.
Un gameplay loin d'être simpliste
Parce que ce jeu n'est pas seulement une accumulation de punchlines du Nain et de monologues du Voleur que personne n'écoute, il est nécessaire de se pencher sur son gameplay. On peut considérer qu'il y a deux écoles de pensée, et donc deux types de cibles potentielles qui vont se procurer le jeu : soit vous êtes fan de la saga Naheulbeuk à la base et vous allez profiter du jeu pour ce qu'il est, c'est à dire un bon RPG tactique au tour par tour, soit vous êtes à l'inverse fan de RPG tactiques de manière générale, et vous ne devriez pas non plus être déçus. Car oui, les principaux ingrédients sont là et au final, on aboutit à quelque chose de plutôt propre.
Si vous êtes totalement novice et inexpérimenté auprès de ce type de jeu, le tutoriel vous aidera largement à comprendre les premières subtilités, car il y en a de nombreuses. Le placement, forcément au cœur d'un RPG tactique, est par exemple encore plus mis en valeur par les synergies potentielles entre vos héros (le Nain, par exemple, gagnera des dégâts, de par son énervement on imagine, dès lors qu'il sera dans une case adjacente à l'Elfe). Ces détails de placement qui vous feront gagner de précieux bonus de Précision, Force, Courage ou toute autre statistique, ne seront plus des détails lorsque vous vous lancerez dans le mode Difficile. Ils feront potentiellement la différence entre une victoire à l'arraché grâce à un coup critique, et une défaite cuisante. Pour élaborer ces synergies, rendez-vous dans l'arbre de talents de chaque héros : vous y trouverez énormément de directions différentes à explorer au niveau des builds, avec des affinités très différentes et qui fonctionneront plus ou moins bien selon les combats. Et pas de panique : si vous avez raté votre choix de talents, le tavernier vous vendra un item qui vous permettra de réinitialiser tout ça. A noter aussi que lors d'un passage de niveau, le jeu vous surligne les statistiques prioritaires à augmenter pour le héros sélectionné, et vous donne même les formules de calcul afin de visualiser leur importance. Si vous débutez, n'hésitez pas à jeter un bon coup d'œil à tout cela, même si le jeu donne des conseils plutôt avisés et pratiques.
Une fois les talents sélectionnés, place à la baston ! Et il ne s'agit pas de foncer tête baissée : votre placement de départ optimisé, en fonction (ou pas, selon votre niveau de menfoutisme) de l'ordre des actions à venir listées en haut de l'écran, courir droit devant sera rarement un bon plan. Car l'IA est loin d'être idiote, la plupart du temps du moins. Si elle repère un héros mal en point, elle va tenter de le mettre hors combat. Si vos héros sont trop regroupés, elle n'hésitera pas à utiliser ses bombes artisanales ou ses sorts de zone. A vous d'anticiper les potentielles actions ennemies et de faire un tour d'horizon de chaque membre de l'escouade adverse avant le début des hostilités pour vous placer au mieux d'entrée. Pierre angulaire d'un RPG tactique, la notion de position par rapport à votre ennemi va changer énormément de choses sur les résultats de vos attaques : le fait d'avoir des héros proches pour vous soutenir et d'être dans le dos ou sur le flanc de votre cible augmentera drastiquement les chances de toucher puis de blesser grièvement l'adversaire. Ce conseil est encore plus valable vers le début du jeu, un moment où vos statistiques ne seront pas très élevées et auront besoin d'un placement optimisé pour briller dans le jet de dé.
"Comment ça un jet de dé ? De la RNG ? Diantre, que trépasse si je faiblis, nous ne sommes pas dans Hearthstone que je sache !". Et oui, mais un RPG tactique, qui plus est dans le lore du Donjon de Naheulbeuk, s'apparente vraiment à un bon vieux jeu de rôle "papier", avec votre maître de jeu qui lance le D20 pour chaque action que vous tentez d'entreprendre et qui vous annonce des "Echec critique, déso" toutes les 20 secondes. Pour revenir sur le paragraphe précédent, votre placement par rapport à votre cible influera sur des modificateurs qui sont pris en compte pour déterminer si vous touchez ou non votre cible. Les résultats varient énormément, du coup critique à l'échec critique qui fait se retourner votre attaque contre vous. La possibilité de friendly fire est aussi à prendre en compte, surtout quand on connaît les capacités naturelles de l'Elfe pour le tir à l'arc... Par contre, si le Dieu de la Loose est vraiment avec vous, aucun souci. Pour contrebalancer les éventuels malchanceux chroniques, une jauge dédiée à Randomia va se remplir un peu plus à chaque ratage de votre part. Selon son niveau de remplissage, celle-ci vous permettra de réaliser des actions assez dingues, osons le terme, et qui pourraient très bien changer le cours d'un combat.
Pour quasiment en finir avec les combats, sachez que tout ce qui est au sol et qui n'est pas de la pierre ou du bois n'est pas à négliger : caisses en bois qui servent de couverture à distance, tonneaux explosifs, tonneaux d'acide ou encore pièges à déclencher... Vous n'y ferez vraiment attention qu'une fois que vous vous serez fait avoir, sans doute. Mais on vous aura prévenus ! Et cette fois-ci, pour vraiment clôturer la partie sur les combats, sachez que certains bugs existaient sur la version que nous avons testée. Certaines animations (passage d'un ennemi en Furtif étant la plus notable) pouvaient prendre jusqu'à dix secondes pour se finaliser, contre une seconde pour toutes les autres animations du jeu ou presque.
Une fois sortis de ces salles remplies de monstres sanguinaires (et de poulets, parfois), l'aventure ne s'arrête pas, loin de là. Il existe de très nombreux livres à collecter et à ramener vers des bibliothèques parfois impossibles à retrouver au premier coup d'œil. C'est fastidieux, mais le buff définitif de groupe que l'on récupère à chaque fois adoucit un peu le sel généré lors des courses effrénées dans les étages. Des courses qui vont se multiplier aussi tout au long de la quête principale et des nombreuses quêtes secondaires que vous aurez à accomplir. Souvent, cela consistera à aller chercher un item pour un PNJ qui vous récompensera alors par de l'or, de l'XP ou par le déblocage d'une nouvelle pièce. Concrètement, les allers-retours ne sont pas passionnants ni forcément très pratiques, mais ils sont au service de l'histoire malgré tout. Dernière subtilité à noter : certaines énigmes sont disséminées dans les étages (des statues à tourner, des leviers à bouger dans le bon ordre et autres joyeusetés) et permettent de remporter des surplus d'XP, bien utiles pour affronter les combats suivants. Ne vous en détournez pas à la première faute réalisée.
Une patte graphique attendue, mais qui fonctionne
L'aspect graphique est un point sur lequel il n'est pas spécialement nécessaire de s'arrêter longtemps tant le style est attendu : depuis maintenant quelques années, le Donjon de Naheulbeuk possède ses adaptations en bandes dessinées et l'adaptation en jeu vidéo est plutôt réussie. Pas de fioritures et un aspect cartoon assumé, ce qui devrait ravir les amateurs. Amener davantage de sérieux et de finesse aux traits des personnages présents dans l'aventure aurait un effet sans doute dévastateur sur une communauté qui attend de retrouver ses héros sous les traits qu'elle connaît depuis maintenant une dizaine d'années. Il est agréable de noter que le moindre changement de pièce d'équipement "visible" changera l'aspect extérieur de votre héros jusque sur le champ de bataille. On aurait tendance à penser que ce n'est pas important, mais ce jeu reste un RPG, et l'important dans un RPG... c'est de ne pas finir niveau maximum en ayant l'air d'un pouilleux niveau 1. Vous allez donc récupérer de beaux boucliers, des bâtons toujours plus majestueux pour la Magicienne, et de magnifiques ustensiles de cuisine qui serviront de casque à l'Ogre.
La caméra n'a pas été mentionnée dans la partie gameplay mais elle joue une part prépondérante au cours de toute l'aventure, pendant et en dehors des combats. De base, les touches A et E de votre clavier vous permettront de tourner autour de votre héros, décelant ainsi un chemin un peu caché ou permettant de visualiser exactement les cases à parcourir pour atteindre l'adversaire. Il sera très important de la "maîtriser" pour vous faciliter la vie en toutes circonstances.
On prend les mêmes et on recommence ?
De nos jours, l'argument de "rejouabilité" en est un vrai auprès des joueurs. Certains jeux ont des modes campagne qui durent tout juste 5 heures mais ont un mode multijoueur poussé, d'autres sont uniquement solo mais possèdent plusieurs personnages de départ, ou encore plusieurs fins que l'on désire explorer. Dans Le Donjon de Naheulbeuk : l'Amulette du Désordre, on est loin du multijoueur, clairement... Et on a aussi du mal à imaginer des fins différentes selon les choix que vous ferez (on a dit qu'on ne spoilait pas). Car oui, il y a des choix à faire à certains moments de l'aventure. Certains semblent évidents, d'autres un peu moins, et rien ne dit que le scénario se déroule exactement de la même façon selon l'option choisie. Finalement, le choix qui semble avoir le plus de poids sur la suite des opérations, c'est celui de votre 8ème héros (voir la vidéo ci-dessous) : la Prêtresse, le Ménestrel ou la Paladine. De notre côté, nous avons choisi la Prêtresse et avons donc eu des interactions spécifiques avec des PNJ qui n'auraient sans doute pas été là sans elle, ou encore réalisé des quêtes secondaires liées à son histoire. Est-ce pourtant une réelle raison de relancer le jeu depuis le début ? C'est une possibilité à ne pas écarter, car prendre la Paladine à la place de la Prêtresse signifierait des sources de soins plus limitées, et donc de spécialiser davantage l'Elfe ou la Sorcière dans sa branche Soins, ce qui changerait du coup drastiquement le gameplay de votre bande d'aventuriers finalement...
Enfin, si vous décidez d'avance que vous referez le jeu plusieurs fois, sachez que l'histoire — accompagnée d'une bonne partie des quêtes secondaires — met une bonne vingtaine d'heures (en alternant mode Difficile et Normal) à se clôturer, en supposant que vous cherchez un minimum et que vous ne jouez pas avec un guide sur votre deuxième écran. La raison qui pourrait vous pousser à relancer le jeu du début, ce serait éventuellement la volonté de voir à quoi ressemblent les autres modes de difficulté, et éventuellement avec un autre 8ème héros. Dès que vous en changez, vos ennemis gagnent des PV et des dégâts. De votre côté, tous vos héros perdent des stats. Il faut donc réussir à ne pas faire durer des combats qui sont menés contre des ennemis plus résistants, et ce avec moins de stats de base... L'optimisation de vos items, de vos builds et de votre placement va vraiment être primordiale.
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