La notion de jeu est un processus complexe, une interaction entre un plaisir ritualisé et une projection de l'imaginaire en vue de créer de la « matière » ludique, avec des codes spécifiques, au sein même du réel. Le jeu vidéo a donc nécessairement aussi cet aspect virtuel qui le place dans un univers où la fiction est fatalement au cœur de sa matière. Le média répond à des mécanismes qui peuvent être traités littéralement et analysés de manière rationnelle. Le game design, par exemple, entre dans cette formulation que l'on peut analyser de façon « terre à terre » pour comprendre un jeu. Un bon jeu répond-il nécessairement et uniquement à l'élaboration d'un bon game-design ? C'est la question que beaucoup de chercheurs se posent et si la réponse existait, il n'y aurait que des bons jeux sur le marché, surtout si la formule était connue de tous. La question que le joueur peut lui aussi se poser est : est-ce dans l'intérêt de l'industriel de sortir un « bon jeu » finalement ? Le consommateur a l'esprit vif, c'est bien connu.
La neuroscience peut établir des protocoles quant à la véhiculation de certaines sensations, voire même étudier les environnements qui pourront rendre « agréables » ou addictives certaines portions de jeu. Définir un effet, savoir ce qui le provoque, c'est en substance maîtriser sa fonction. Pour John Hopson, pas de doute possible un game-designer est un neuroscientifique qui s'ignore.
Prenons par exemple un FPS comme Call of Duty, le plus gros succès commercial de l'histoire du jeu vidéo. La fréquence ou l'intensité des flashs à l'écran participent à l'immersion du joueur. Cet environnement conditionné répond à une démarche pensée en amont pour intensifier les sensations autour de son gameplay. Comme hypnotisé, le joueur assiste et participe à un jeu dans lequel la violence est un acteur positif du game-design puisqu'elle est associée implicitement au gameplay du titre. Il est inutile de revenir sur le débat de la violence dans les jeux vidéos, ni même de répondre à la provocation de dire que le jeu vidéo rend violent, par contre des chercheurs se demandent si l'exposition régulière à la violence cause une rupture d'empathie et que l'indifférence à autrui s'apprend en assistant, impuissant, à la violence.
Cette question ce sont aussi des neuroscientifiques qui la posent, ou quand neuroscience et éthique distendent les conventions et posent de nouvelles bases pour les discussions futures au sein de notre société. Il est évident que la logique de production de titres de la série Call of Duty chaque année pour Activision revêt un intérêt plus stratégique, Modern Warfare 3 c'est, à titre d'exemple, plus fort qu'Avatar. Comment garantir que le prochain épisode d'une franchise fasse mieux que le précédent, voilà la logique de l'éditeur et c'est dans ce contexte que les neuroscientifiques semblent avoir des réponses que l'on prend de plus en plus en considération.
Le jeu est donc aussi pensé pour créer une addiction chez le joueur. La rétribution devient un plaisir quand une quête se termine. Un succès glané, et c'est une réaction neurologique qui pousse à poursuivre son aventure. Le neuroscientifique peut donc être occasionnellement le dealer de dopamine de votre cerveau, son but c'est de finalement de produire la meilleure came pour que vous y reveniez le plus souvent. Un peu comme Mr White et sa blue meth dans Breaking Bad si vous voulez. C'est cet appel d'air qui a donné une vocation aux sociétés qui se sont lancées non pas dans la recherche de l'or noir, mais dans la conquête de la matière grise, ce nouvel El Dorado pour beaucoup des entreprises spécialisées dans le domaine. Leur but ? « Créer une obsession, puis l'exploiter » . La saturation de l'espace médiatique avec une marque ou un format particulier répond donc à un processus bien défini. Un Call of Duty chaque année pour Activision ou un épisode de Mario pour Nintendo participent à cette addiction conditionnée, une mémorisation obligée de la marque et une inscription dans le paysage culturel des joueurs. Un enracinement qui a donné des idées. D'ailleurs quand l'armée américaine recrute aujourd'hui, elle utilise le jeu vidéo comme outil de propagande. Une situation que l'on aurait pu considérer comme incongrue il y a de cela quelques années.
On pourrait aussi se poser la question du format de certains de nos jeux, de leur facilité ou de leur durée. Tout cela répond pourtant à des études de marché spécifiques et une série de statistiques sur l'attention réelle que les joueurs peuvent porter aux jeux qu'ils jouent. Récemment, Tore Blystad, le réalisateur de Hitman Absolution balançait sèchement que seuls 20% des joueurs finiront son nouveau bébé. Est-ce le marché qui gouverne, est-ce lui qui appelle à ce que les jeux soient de plus en plus court ? C'est ce que les études menées par ces nouveaux scientifiques du jeu vidéo semblent démontrer.
« Addiction », le mot est fort. C'est Erin Robinson, plus connue sous le nom de Live Ivy par les lecteurs de son blog, qui a employé le terme pour définir la relation qu'entretiennent certains utilisateurs avec leurs jeux. Erin Robinson, est « game designeuse » et créatrice de jeux indés, est rousse et est accessoirement neuroscientifique, en plus d'avoir quelques diplômes en psychologie. En août 2011, elle publiait un article sur Gamasutra intitulé « The Top 10 Weird Children of Video Games and Neuroscience »
On pouvait y lire, par exemple, que l'on guérit de la même manière l'addiction à l’héroïne et celle de Starcraft. Aux grands maux les grands remèdes. Fini pour les accros : les poussées de fièvre provoquées par des injections mal timées, les angoisses noires de rush double portail en carafe, ou les réveils inopinés en pleine nuit en criant « Vikings !! » le regard vide lancé au plafond et le lit moite. Des soins existent dans les deux cas, et dans les deux cas les scientifiques se retrouvent pour parler de l'implication de la plasticité neuronale dans les phénomènes de dépendances avérées. Ces données sont essentielles pour comprendre ce qui lie nos envies à notre cerveau. Comprendre le jeu vidéo c'est peut être finalement aussi comprendre comment le cerveau fonctionne, un jeu de miroir que de plus en plus de sociétés spécialisées prennent au sérieux et pour lequel elles mènent des recherches : leur expertise se vend aujourd'hui à prix d'or.