Life is a game. Et le jeu s'invite dans la vie des joueurs, quels qu'ils soient et quel que soit leur état de santé. Si le média peut revêtir un intérêt certain pour le pédagogue, il reste un outil flexible qui peut aussi briller dans le milieu médical. Le jeu vidéo peut-il guérir ? Peut être pas au sens strict du terme, mais il peut aider à mieux vivre. Ce média que l'on pense si normatif car uniquement associé au caractère gratuit de son côté ludique révèle pourtant nombre de vertus. Qui pourrait penser que le jeu vidéo aide les schizophrènes à moins souffrir de leurs symptômes ? Que des neuroscientifiques se sont rendus compte que les mécanismes de Tetris peuvent aider les amnésiques à retrouver la mémoire ? Que la Wii peut être un objet qui a tout à fait sa place dans un hôpital ? Ou encore que Counter Strike peut aider à augmenter votre capacité d'attention et vos réflexes pour faire vous un maître ninja ?
Ce sont pourtant des faits qui tendent à démontrer que la portée du jeu vidéo est bien plus grande que le simple entertainment de « salon », limitatif au possible car définitivement cantonné à une utilisation « grand-public ». Et si le jeu vidéo permettait aux scientifiques de comprendre quelles zones du cerveau sont utilisées par un aveugle quand il se meut dans l'espace ? Aveugle depuis son enfance et souffrant d'une lésion du nerf optique, Rachel Buchanan joue à un jeu qui lui propose de se déplacer dans un labyrinthe en utilisant ses facultés auditives. Un jeu qui a permis aux chercheurs de comprendre qu'étrangement, quand un aveugle joue à leur ersatz de FPS, leur cortex visuel peut être sollicité. De son côté Rachel est ravie : « La cécité vous isole tellement ! Pouvoir jouer à des jeux, c'est formidable. »
Au Canada ce sont des enfants souffrants de troubles cérébraux comme l'infirmité motrice cérébrale (IMC) ou de troubles causés par l'alcoolisation fœtale qui vont bénéficier des recherches des neuroscientifiques et informaticiens locaux pour améliorer leur condition de vie. Daniel Goldowitz, le directeur scientifique de NeuroDevNet parle de ce projet pour lequel ont été alloués 500000$ sur deux années : « L’idée d’utiliser les jeux vidéo en recherche neuroscientifique nous enthousiasme. Non seulement nous en apprendrons sur le développement du cerveau, mais nous donnerons aussi aux enfants des outils pour améliorer leur apprentissage, leur mémoire, leur attention et leur mieux être. ». Les exemples de l'utilisation du jeu vidéo dans la recherche ou l'accompagnement des malades ne manquent pas. Autre exemple selon une étude menée en 2004 au centre médical de Beth Israel à New York : "les chirurgiens qui jouent à des jeux vidéos plus de trois heures par semaine commettent 37% moins d’erreurs dans la salle d’opération que ceux qui ne jouent pas. lls sont 27 fois plus rapides en cœlioscopie, et sont capables de suturer 33% plus vite". De véritables ninjas, on vous le disait.
Le jeu vidéo est un média en devenir, sa portée, son implication dans la vie de tous les jours, vont bien plus loin que le simple concept de ludification, que beaucoup de jeunes chercheurs semblent intégrer dans leur compréhension de ce phénomène. À la fois partisan d'une vue de l'esprit et produit d'un savoir faire, outil et objet commercial ou d'expression, son intégration dans les processus économiques et industriels des multinationales qui le produisent ou des développeurs qui le conçoivent ont évolué au point qu'aujourd'hui son utilisation dans le quotidien des sociétés occidentales est devenue une norme culturelle. Le jeu est pensé, ses mécanismes décortiqués et son interaction avec ses utilisateurs intéressent de plus en plus.
C'est une recherche essentielle sur l'information, sa migration, et l'ensemble des messages du code qu'il développe que la neuroscience convertit en données pour comprendre comment fonctionne notre cerveau. Des données que les scientifiques peuvent désormais vendre aux plus offrants. Et si le jeu vidéo jouait un rôle plus grand que celui que l'on pense dans la recherche sur les implants cérébraux ou dans le champ des sciences comportementales dans un futur proche ? C'est toute une approche philosophique, juridique et éthique qu'il faudra moduler à la réalité du moment pour encadrer l'avancée de ces découvertes. Jean-Michel Besnier professeur de philosophie à l'Université Paris IV et à l’École Polytechnique prévient dans une audition publique organisée sur ce thème par les députés du Var et de la Vienne en 2008 : « Le flou qui entoure les neurosciences fait partie du problème éthique posé précisément par le développement des sciences du cerveau. Il n’y a guère de problème éthique en mathématiques. Avec les neurosciences, nous avons affaire à un flou qui est aussi de votre responsabilité ». Si le jeu vidéo est appelé à devenir une science exacte, c'est l'inspiration de ses créateurs qui continuera d'alimenter l'élégance des lignes de codes qui seront proposées aux joueurs. Jouer mieux pour mieux se connaître, c'est le défi de certains neuroscientifiques. Le philosophe, lui, se demandera : À quel jeu joue-t-on, finalement ? « Celui où tu gagnes à la fin » répondront une majorité de joueurs.