Artwork par : Mddueck
Le gouvernement chinois continue sa croisade visant à "protéger" la jeunesse de l'influence néfaste des jeux vidéo et de la culture du divertissement en général. La semaine dernière, on apprenait que les mineurs se verraient désormais imposer une limite d'heures de jeu par semaine, mais cette législation n'était qu'une partie de l'ensemble de lois introduit par Beijing. En parallèle — en sourdine même, la Chine a en effet décidé de bannir les hommes jugés "efféminés" des médias — et ce dans une volonté de contrôler l'influence des acteurs et célébrités chinoises, en leur imposant un code de conduite strict.
Une notice publiée sur le site de la National Radio and Television Administration (NRTA) précise ainsi que la télévision chinoise doit "marquer une orientation esthétique correcte de ses programmes, contrôler strictement la sélection des acteurs et des invités, le style de leur performance, le maquillage, des costumes, etc., et mettre résolument fin aux tapettes et autres esthétiques anormales." (Source : NRTA)
Cette toute nouvelle législation ne se limite ni à la télévision ni à la radio, puisque les autorités chinoises viennent tout juste d'imposer les mêmes restrictions à Tencent et NetEase, deux géants internationaux du jeu vidéo. L'objectif ? Éradiquer purement et simplement les personnages masculins efféminés, afin de reconditionner la jeunesse à des idéaux de genre jugés sains, normaux, et moraux.
Une véritable chasse aux sorcières
En fait, cela fait plusieurs années que le gouvernement chinois mène une guerre sans merci à des comportements qu'il juge répréhensibles. En 2019, la NRTA avait en effet forcé le floutage des boucles d'oreilles, des tatouages et mêmes des queues de cheval de certains chanteurs de pop, invoquant une volonté de "produire une génération qui pourra prendre la responsabilité du rajeunissement national" et de "résister à l'érosion provoquée par la culture indécente." (Source : LePoint) En filigrane, on entendait déjà un désir de lutter contre l'homosexualité, jugée profondément amorale, mais la mesure semblait presque anodine face au déferlement actuel.
Cette fois-ci, Beijing ne s'est pas contenté d'un filtre visant à cacher la réalité, et le marteau du gouvernement chinois s'est abattu sans faire de quartiers. Fin août, la plateforme de streaming iQiyi mettait ainsi fin à "Youth with You", un de ses programmes de télé-réalité organisant une compétition d'idoles, parce qu'il était jugé "malsain" (Reuters), tandis que NetEase, Weibo et Tencent faisaient disparaître les classements de célébrité de leurs plateformes respectives (South China Morning Post).
Au cours des dernières semaines, plusieurs acteurs et actrices célèbres ont par ailleurs subi les foudres de Beijing et sont tombés en disgrâce à cause de scandales sexuels ou financiers (Jing Daily) — ce qui témoigne bien de la croisade active menée par le gouvernement chinois à l'égard de personnalités qui possèdent, d'après eux, une influence inquiétante sur la jeunesse. À titre d'exemple, l'actrice Zhao Wei — par ailleurs ambassadrice de Fendi, Chanel et d'autres marques de luxe — possède plus de 85 millions d'abonnés sur Weibo... Sans que la raison soit claire, l'actrice milliardaire a vu son nom disparaître des plateformes de diffusion chinoises, tandis que plusieurs des films, talkshows ou séries télés auxquels elle a participé étaient retirés du net. (Global Times)
Mais les célébrité de la télévision ou du cinéma ne sont pas les seules cibles de Beijing, bien au contraire. Après la réalité, c'est au tour du monde virtuel d'en prendre pour son grade, et les jeux vidéo sont clairement visés.
Les jeux vidéo en ligne de mire
D'après l'Agence France Presse, rapportée par France24, les autorités chinoises ont convoqué mercredi les représentants de Tencent et NetEase, les deux leaders du gaming au sein marché chinois, afin d'exiger la mise en place de nouvelles régulations, dont la limite de temps de jeu pour les mineurs déjà évoquée dans ces colonnes. De même, les studios de développement auraient reçu des consignes strictes vis-à-vis de leurs designs, futurs ou non, qui devront désormais s'abstenir de quelconques mécaniques ou fonctionnalité pouvant induire une addiction.
Plus encore, et c'est là le cœur du sujet, le monde des jeux vidéo en ligne devra désormais s'abstenir de créer des personnages masculins efféminés. D'après Geng Song, professeur associé à l'Université d'Hong Kong, la classe politique chinoise n'accepterait qu'une seule norme de genre, l'hétérosexualité, considérant ainsi que "les hommes efféminés sont physiquement faibles et émotionnellement fragiles" et marquant une profonde "anxiété" à l'idée que la future génération ne partage pas les mêmes représentations.
Sans qu'on puisse prédire exactement ce qu'il adviendra, on s'interroge sur les conséquences d'une telle législation — d'autant que l'influence de Tencent ou de NetEase est très loin de se limiter à la Chine. Beijing n'a probablement cure "d'éduquer" la jeunesse des autres pays mais, indirectement, on pourrait subir l'influence du gouvernement chinois. En effet, nombreuses sont les franchises chinoises qui sont consommées aux quatre coins du monde par un public international. Plus encore, en tête de gondole des licences possédées par les deux géants du jeu vidéo chinois, on retrouve League of Legends. Et force est de constater que le MOBA de Riot Games, dans certains skins ou champions, ne s'est pas privé de développer des personnages efféminés.
Taric, Aphelios, ou Pajama Ezreal en sont d'ailleurs de bons exemples, quoiqu'on puisse argumenter qu'il sont simplement inspirés par l'univers graphique des mangas et des animés. Et, si vous en doutez, la vidéo ci-dessous aura le mérite d'au moins semer le doute.
De même, Pajama Urgot, quoiqu'il ne soit pas efféminé, risque lui aussi d'incarner l'amoralité que Beijing redoute. Vu d'Europe ou d'Occident, on a du mal à saisir comment Beijing pourrait nous interdire la création de personnages masculins efféminés, ou jugés amoraux, mais on ne peut franchement pas cacher notre crainte.
Doit-on simplement passer outre, en imaginant que la chose n'arrivera jamais jusqu'à nous ? Au contraire, faut-il s'attendre à ce que certains champions ou skins jugés amoraux soient retirés du jeu ? Le seraient-ils uniquement pour la Chine, ou pour tous les territoires ? Comment concilier une telle politique avec des rencontres internationales comme le MSI ou les Worlds ? Autant de questions alarmantes qui restent pour le moment sans réponse, mais qui n'ont pas fini de nous inquiéter.