De petit oiseau à grand champion
L'histoire de Saul Leonardo "MenaRD" Mena II (Segundo) avec les jeux de combat commence de manière on ne peut plus classique. Son grand frère LuiMan20 s'intéressait à ce genre de jeux, et c'est donc tout naturellement que l'adolescent l'a suivi sur cette voie. Découvrant alors la licence Street Fighter, une histoire d'amour compliquée commence entre elle et lui. MenaRD doit d'abord faire face à des difficultés matérielles, car il existe peu d'endroits où s'entraîner en République Dominicaine, et la seule salle proche de chez lui est assez vétuste. Il n'est pas rare non plus que les sessions de jeu soient interrompues par une coupure d'électricité. Ces difficultés font que peu de tournois sont organisés sur l'île, ce qui n'aide pas non plus les joueurs locaux à progresser. Mais si il est difficile pour eux de progresser sur leur terre natale, tenter l'aventure internationale est encore plus compliqué vu qu'il faut un VISA difficile à obtenir pour rejoindre le continent et les USA (ici les USA sont choisis à titre d'exemple, car c'est le pays le plus proche le plus actif niveau jeux de combat, mais l'exemple marcherait aussi pour tout autre pays où un joueur de jeux de combat souhaiterait aller).
Mais le jeune Mena n'est pas impressionné par les difficultés. Il tente sa chance sur la scène international dès 2016, et se fait repérer par la structure américaine Rise Nation dont il sera le premier joueur de jeux de combat. Ce recrutement fait suite à la première victoire du joueur à un événement local, lui rapportant suffisamment de points de circuit pour commencer à apparaître sur les classements internationaux. La première partie de la saison 2017 est surtout une occasion pour lui d'engranger plus d'expérience, et il faudra attendre le tournoi The Fight, organisé en Colombie pour que le Dominicain décroche son premier podium de la saison en terminant second. Son autre performance notable avant la Capcom Cup a lieu durant le Socal Regionals où il termine quatrième.
Mena joue Birdie, un personnage venu du tout premier Street Fighter (dans lequel il n'était pas jouable). Ce combattant ressemble un peu à un choppeur, avec quelques coups invincibles contre les projectiles et d'autres armored (dont l'animation n'est pas interrompue si le joueur encaisse un coup pendant celle-ci) lui permettant en apparence de se rapprocher de l'adversaire. La spécificité du personnage vient en partie de sa chaîne, qu'il utilise pour attraper l'adversaire à moyenne distance. Se retrouver acculé contre un Birdie est une situation terrifiante, car le personnage dispose de nombreuses options difficilement punissables par un adversaire bloqué dans le coin. Joueur comme personnage gagnent ensemble la réputation d'être imprévisibles, et même s'il n'a toujours pas gagné de tournoi majeur, le prodige de son île parvient à obtenir son billet pour la Capcom Cup 2017.
Seul face aux légendes
Cette Capcom Cup 2017 marquera un tournant dans la carrière du joueur, et il n'est pas impossible qu'elle soit considérée à l'avenir comme une date charnière des jeux de combat, marquant la reconnaissance officielle du niveau de jeu d'une partie du globe. Cela contribue à braquer davantage les projecteurs sur les régions Amérique Centrale et Amérique du Sud, souvent considérées en dessous des mastodontes que sont les USA et surtout le Japon. Le Dominicain fait son entrée dans la compétition contre Xian, un joueur expérimenté, vainqueur de l'EVO 2013 sur Street Fighter IV. Le nouveau venu remporte le premier set 2 à 1, mais Xian gagne le suivant 2-0. Ce scénario se répète jusqu'à ce que le match aille au bout des cinq manches, et que Mena puisse avancer dans la compétition, en ayant gagné un round de moins que son adversaire. Cependant il n'en a pas encore terminé avec le spectre de Street Fighter IV, et c'est le dernier vainqueur de la Capcom Cup sur ce jeu qui se dresse devant lui : Kazunoko. Cette fois le joueur de Birdie est bien rentré dans la compétition, et Kazunoko ne peut que sauver l'honneur en gagnant une manche. Seulement, le prochain adversaire sera encore plus dangereux qu'un ancien vainqueur de l'EVO ou de la Capcom Cup, car il s'agit de la Bête.
Affronter Daigo n'est pas juste affronter une légende, c'est aussi faire face à toute une communauté. La popularité du joueur ne vient pas que de ses résultats, mais aussi de son attitude. Les haters de Daigo dans la FGC sont relativement rares, et ce n'est pas pour rien qu'il est l'un des seuls joueurs tout jeux confondus à ne pas porter de pseudonyme — son véritable nom inspirant bien plus que ne pourrait le faire un surnom. Saul Leonardo ne tremble pas, et expédie la plus grande légende de Street Fighter en Loser Bracket au terme des cinq manches. Si le match contre Xian pouvait laisser penser que la réussite accompagnait le jeune joueur, le match contre Daigo change le terme "réussite" en "talent". Après avoir convaincu ses concitoyens, puis ses pairs, Mena convainc également les spectateurs du monde entier. En demi-finale, il est confronté à Itabashi Zangief dont l'expérience sur les jeux de combat 3D lui a permis de se hisser au meilleur niveau sur la licence de Capcom. Seulement la détermination du Japonais n'est pas suffisante pour l'empêcher d'être balayé par l'ouragan dominicain, qui accède à la finale.
Après avoir vaincu le dieu des jeux de combat, il faut se confronter au démon. Si Daigo est la plus grande légende des jeux de combats, Tokido pourrait être simplement le meilleur joueur de tout les temps. Vainqueur de l'EVO 2017, il semble alors inarrêtable. Tokido ce n'est pas que du beau jeu, mais aussi un sang froid et un calme olympien lui permettant de toujours trouver des solutions même dans les pires situations. Il envoie le jeune espoir de son île en Loser Bracket, vengeant Xian car tout comme Mena dans son premier match du tournoi, Tokido remporte le match en ayant gagné moins de rounds que son adversaire.
S'adapter, c'est vaincre
Arrivant en finale loser, Mena doit faire face à un adversaire sur une dynamique victorieuse : Nemo. Le joueur d'Urien est lui aussi en train d'écrire une belle histoire, car après avoir validé son ticket dans le tournoi de la dernière chance face à Infiltration, le Japonais a été envoyé par Daigo en Loser Bracket dès le second tour du tournoi. Il le remonte, battant successivement Dogura, DidimoKOF, Bonchan, Problem-X, Itabashi Zangief et Moke. L'histoire semble belle avec cette remontée des enfers, pouvant mener à la victoire potentielle d'un joueur considéré comme professionnel mais qui travaille également en tant qu'ingénieur. Ce n'est pourtant pas cette histoire qui s'écrira ce 10 décembre 2017, car Mena, aussi punk que Birdie, n'a rien à faire d'une histoire de travail. Nemo ne parvient pas à prendre un seul set, et le Dominicain part retenter sa chance contre Tokido.
Les mêmes techniques ne marchent pas deux fois sur un combattant les ayant déjà vues, et le premier match l'illustre bien : Tokido domine le jeune joueur de la tête et des épaules. Pendant la seconde reprise, Mena semble tout proche de recoller Tokido au score, il est même sur le point de lancer l'enchaînement fatal, mais le champion japonais parvient à glisser un contre dans un trou de souris, contrecarrant l'offensive de son adversaire. À ce moment Tokido mène 2-0 et personne ne semble croire au retour de Mena, pas après les violences subies dans les premiers rounds. Le Dominicain réfléchit un peu sur l'écran de sélection, rechoisit Birdie, mais semble plus apathique, presque déjà vaincu...
Mais très vite tout le monde déchante. Le Mena que l'on pensait résigné, dont le jeu n'était plus aussi flamboyant, était simplement en train de s'adapter à son adversaire et de faire preuve d'une patience à toute épreuve. Tokido a été téléchargé, et son Akuma mord la poussière dans le troisième set, relançant la partie. Akuma ne peut échapper à la chaîne de Birdie, et le joueur dominicain remporte les deux manches suivantes, ce qui lui permet de reset le bracket. Pour la troisième fois du tournoi, Mena et Tokido doivent s'affronter pour le titre suprême, mais cette fois ni l'un ni l'autre n'ont de filet, et la coupe ira au vainqueur, sans contestation possible. Mais le démon ne meurt jamais, et Tokido remporte le premier set de ce nouveau match. Ce n'est qu'un baroud d'honneur puisque Mena remporte les trois autres manches, s'offrant ainsi le titre suprême pour sa première victoire en tournoi majeur.
Rendre les coups... et l'argent
Il est maintenant temps de s'attarder rapidement sur le pseudonyme du joueur. Celui-ci est composé de son nom (Mena) et des lettres RD signifiant República Dominicana. Ces lettres ne sont pas juste là pour montrer l'amour du joueur pour son pays, mais pour rappeler son engagement premier qui est d'aider sa scène locale à se développer. Alors âgé de 18 ans, il crée sa propre structure, les Santo Domingo Tigers. Le tigre est choisi pour les représenter, car ce mot sert également à désigner une personne cool en République Dominicaine. Il améliore également ce qu'il appelle le Dojo, à savoir une salle où les joueurs du pays peuvent se regrouper et progresser ensemble. À terme son objectif est de permettre aux talents locaux de grandir puis de s'exporter. Cette volonté de rendre à la scène locale ce qu'elle lui a permis de vivre ce 10 décembre 2017 est clairement assumée, et si sur son maillot seul son nom est écrit, sur le chèque symbolique remis au vainqueur, c'est bien Mena RD qui est marqué.
Ceux qui pensaient que le plus dur était fait se sont trompés. Il faudra du temps à MenaRD pour que la République Dominicaine accueille des événements majeurs, et il en faudra sûrement encore plus pour que la communauté reconnaisse internationalement cette terre comme une terre des jeux de combat, au même titre que le Japon ou les USA. Des incompréhensions culturelles peuvent également se dresser entre les joueurs, comme ce qu'il s'est passé le premier avril 2018. MenaRD participe à un tournoi, avec Caba un de ses compatriotes. Seulement Caba et d'autres spectateurs conservent leur attitude latine, et encouragent bruyamment leurs favoris, ce qui gêne certains joueurs, notamment un dénommé Go1. Ce dernier fera un tweet en japonais, et très vite une traduction hasardeuse enflammera la communauté. Dans celle-ci, il est dit que Go1 demande le ban de Caba, ce qu'une partie de la communauté estimera légitime. En effet, il est important pour le bon déroulement d'un tournoi, que chacun puisse être dans des conditions presqu'optimales, et qu'entendre des gens hurler près de vos oreilles dans une langue que vous ne comprenez pas n'est pas forcément le meilleur moyen de se concentrer.
Seulement, le tweet de Go1 a été mal traduit, et le joueur ne demande pas un ban, mais faisait remarquer avec un certain humour, que la prochaine fois il s'arrangerait pour jouer loin de Caba afin de ne pas être dérangé. Cet incident pourrait juste être banal, mais affecte grandement MenaRD. Lui sait ce qu'il en a coûté pour faire venir Caba et d'autres Dominicains jusqu'à ce tournoi, des sacrifices que cela représente pour eux, mais aussi de tout ce que cela symbolise pour ses compatriotes. Voir ces derniers jugés, au point que certains demandent leur bannissement pur et dur plutôt que de venir leur expliquer en quoi leur attitude dérange, mine le champion, allant jusqu'à le faire envisager de quitter la scène, tellement l'impression que lui et ses compatriotes ne sont pas les bienvenus pèse sur ses épaules. Dans ce qui aurait pu n'être qu'une broutille, l'âme de MenaRD est totalement mise à nue. Symboliquement parlant, il pourrait alors être décrit comme cet enfant qui a découvert quelque chose de génial, qui veut le partager avec ses copains et qui ne comprend pas pourquoi les grands ne veulent pas qu'ils viennent eux aussi s'amuser.
Malgré ses doutes, il continue de faire son chemin. Ses résultats ne sont pas aussi convaincants qu'en 2017, mais il reste l'une des valeurs sûres de la scène, et sa qualification en 2020 n'est pas dûe au hasard. Mais sa plus grande victoire de 2020 ne sera peut être pas la Capcom Cup en elle même, mais bien son organisation à Punta Cana, chez lui. En accueillant cet événement seulement 3 ans après la victoire de son représentant, la République Dominicaine s'impose comme terre d'accueil potentielle pour les jeux de combat. Cette édition de la Capcom Cup, initialement prévue en France, pourrait être le tremplin faisant de Punta Cana un véritable futur grand lieu des jeux de combats, et non plus un lieu par défaut, à cause de la pandémie. Quand vous regarderez la Capcom Cup du 19 au 21 février, n'oubliez pas que les enjeux ne sont pas que sur scène, et que la prochaine grande victoire de MenaRD pourrait avoir lieu dans l'ombre plutôt que sous les projecteurs.