Vainqueur de l'EVO sur Street Fighter IV en 2014, Luffy a longtemps été le fer de lance de la FGC française. Si on ne peut plus le considérer comme tel aujourd'hui, ce n'est pas à cause d'une perte de niveau, mais bien parce que d'autres champions ont émergé sur différents titres, et que ne citer que Luffy ne serait pas leur rendre honneur. Néanmoins, le joueur de R.Mika reste une source d'inspiration pour énormément de joueurs, et a grandement contribué à augmenter le niveau français sur les jeux de combat. Il revient avec nous sur sa prolifique carrière, et ses ambitions à la fois pour l'EVO mais aussi pour l'avenir.
Plus qu'un champion, un leader
Luffy sourit en évoquant ses début, se considérant comme une figure "vieillissante de l'esport, à côté d'autres légendes comme Daigo et Tokido". Lorsqu'il a commencé la compétition, les sponsors et joueurs professionnels n'existaient pas vraiment dans l'esport. Seuls quelques élus avaient le droit à des sponsors, et encore plus rares étaient les joueurs qui vivaient de leur passion. Il se souvient de ses premiers sponsors, Bushido Impact puis Meltdown, qui le défrayaient pour aller en tournoi, mais ne lui versaient pas de salaire (cette pratique était vraiment marginale à l'époque). C'est en 2016 qu'il passe enfin professionnel avec des revenus versés par Red Bull. Selon lui, "cette décision était terrifiante, car c'était une plongée dans l'inconnu. Quitter son poste de responsable achats même provisoirement grâce au congé création d'entreprise, risquait de porter un gros coup à son CV professionnel. Néanmoins, il ne s'imagine plus faire autre chose qu'un métier lié à l'esport".
Concernant ses dernières performances, Luffy estime être constant. Il reconnaît avoir eu des difficultés à garder sa motivation intacte pendant la pandémie, expliquant que pour lui "les performances offline ont beaucoup plus de valeur, alors que celles online en ont peu. Cela était principalement dû à un mauvais netcode à l'époque, mais même aujourd'hui, il lui est difficile d'y accorder la même valeur". Les résultats sont quand même là, avec un top 3/4 au Red Bull Kumite Londres, battu par Mister Crimson lors de la manche décisive suite à une petite erreur de Luffy.
L'expérience de la Street Fighter League lui a laissé un très bon souvenir. Pouvoir choisir les match up, s'adapter aux adversaires est l'une des choses les plus grisantes des jeux de combat. Il s'estime "satisfait de ses résultats individuels, avec un bon taux de victoires malgré que sa main R. Mika ait été bannie lors de la première semaine." Si on lui demande quel match l'a marqué, il évoque sans hésiter sa confrontation avec ProblemX. C'était un combat entre deux choppeurs, sans reversal (coup défensif qui a la priorité sur les autres attaques/ sur un certain type d'attaque). Il y avait énormément de mindgames dans ce match, notamment au niveau du conditionnement où Luffy essaie de faire à son adversaire qu'il veut poke, alors qu'il cherche à all-in. Cet affrontement lui a permis d'offrir la qualification en playoffs à son équipe.
En rigolant, il dit que ses performances internationales sont meilleures que celles nationales. Cela s'explique par le fait que les joueurs français connaissent très bien son style de jeu, et qu'en plus deux des meilleurs tricolores jouent des zoners, ce qui est un désavantage pour Luffy au niveau des archétypes (Crimson et Dhalsim, Akainu et Guile). Être en difficulté sur le sol national ne le dérange pas tant que ça. Certes cela titille son ego, mais il se dit ravi de voir que la scène française a autant progressé. "À l'époque, il était le seul Français de niveau mondial, mais aujourd'hui avec des joueurs comme Mister Crimson, Killzyou, Akainu, Valmaster et d'autres, le niveau général a énormément augmenté. Plutôt que de chercher à savoir qui est le meilleur, il préfère faire progresser la scène nationale, à la fois pour la rendre plus intéressante, mais aussi parce qu'il est plus motivant d'affronter des joueurs forts que d'essayer de garder son avance".
Le deuxième EVO sur le maillot ?
Pour l'EVO de cette année, Luffy déclare qu'il sera l'un des plus simples à gagner. "La Street Fighter League va commencer en même temps au Japon, donc très peu de top players nippon seront présents. Peu importe qui gagnera cet EVO, ce ne sera pas un trophée de meilleur joueur du monde, à cause de ça." Au niveau de ses chances, le joueur de Team GO reste prudent. Il s'estime prêt pour ce tournoi, mais ses adversaires le sont aussi, et malgré l'absence des Japonais, le niveau sera très élevé avec plusieurs joueurs qui pourraient gagner l'EVO même avec les top players du Soleil Levant. Il faudra avoir de la chance pour le remporter, à la fois au niveau du bracket, mais aussi pendant les matchs. Luffy ne vise rien d'autre que le top 1, parce que c'est son métier, mais sa situation n'est pas forcément la plus favorable. Il compte également faire taire les américains lors du show match EU vs NA qui sera organisé vendredi.
Cela est en partie dû à sa main R. Mika, qui est relativement basse dans la tier list (pas uniquement dans celle de Luffy NDLR). La dernière mécanique ajoutée par Capcom, le V-Shift lui a fait beaucoup de mal, la faisant encore tomber plus bas. Elle a beaucoup de mauvais match up contre des personnages forts, et neutral game est assez compliqué, alors que Luffy estime que c'est son point fort en tant que joueur. Il explique de beaucoup de personnages ont des coups positifs on block (c'est à dire qu'ils conservent l'avantage même si l'adversaire a bien lu leur action en mettant la garde), et que d'autres ont des coups négatifs mais que R.Mika n'a pas les outils pour les punir. En parlant de Rose, il estime qu'elle est plutôt forte, mais loin du top tier.Il précise que la tier list change en fonction du support, et que c'est casse-pied de devoir s'adapter à deux jeux très différents à haut niveau.
C'est d'ailleurs l'un des reproches qu'il fait à Capcom concernant certains modifications du gameplay. Avoir un personnage qui chute continuellement dans la tier list peut ruiner des carrières, et avoir de grosses conséquences pour un joueur professionnel, dont la carrière peut s'arrêter si il ne parvient pas à s'adapter. Le but n'est pas forcément que tous les personnages soient aussi forts les uns que les autres, ce qui est de toute façon impossible, mais d'éviter qu'un personnage plutôt fort au début du jeu, devienne de plus en plus faible au fil des patchs. Il n'est pas possible de rattraper 4 ans d'expérience en quelques mois en changeant de main. Avant cela avait moins de conséquences si un jeu n'était pas équilibré, car il n'y avait pas de carrière dessus, mais aujourd'hui les conséquences peuvent être très dures.
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Ambitions et attentes
Le champion tricolore reste assez critique sur le nouveau format du Capcom Pro Tour. Le Online compte de plus en plus pour les qualifications, et il ne trouve pas cela logique. Pour lui, le but du CPT est de désigner le meilleur joueur de la planète, et le fait de verrouiller des régions ne va pas dans ce sens. Déjà parce que les joueurs connaissent les principales menaces et peuvent se préparer plus facilement. En plus, il n'est pas dit que des joueurs non qualifiés dans certaines régions pourraient très bien battre régulièrement les top players d'autres régions. Si il reconnait que ce système a des points positifs à la fois pour la hype générée de voir chaque région représentée, mais également pour donner leur chance aux joueurs non sponsorisés, il craint que la communauté se base davantage sur les résultats des énormes tournois comme l'EVO et le Combo Breaker pour désigner le meilleur joueur du monde, plutôt que sur la Capcom Cup.
Cela n'empêchera pas Luffy de tout donner pour se qualifier pendant cette dernière cette année sur Street V, ce qui sera son objectif principal post EVO. Il participera dont aux événements du Pro Tour, notamment l'UFA à Paris en octobre. Selon lui, c'est la période de l'année la plus stressante, car elle signifie qu'il va falloir renégocier avec des sponsors, devenus plus frileux suite à l'arrêt des compétitions pendant la pandémie.
Néanmoins Luffy n'a pas mis tous ses œufs dans le même panier. Il a ouvert un bar à Paris, l'OakenShield Tavern. Le bar n'est pas spécialement estampillé esport, préférant une atmosphère chill, plutôt qu'un thème gaming. Néanmoins, champion de Street Fighter oblige, une borne d'arcade est disponible, ainsi qu'une Switch pour celles et ceux qui préfèrent Smash. Des tournois y sont parfois organisés, mais plus dans une ambiance fun que tryhard, afin de ne pas déranger les clients plus intéressés par les nombreux jeux de société disponibles sur place. Luffy donne également des conférences autour de son métier, afin de sensibiliser les plus jeunes. Comme il le dit lui même, c'est un métier avec beaucoup d'appelés mais peu d'élus. Les plus jeunes ne doivent pas céder aux paillettes, et ne se focus que sur des voies d'influenceurs ou de joueurs pro au détriment de leurs études, car en cas d'échec, ils peuvent se retrouver en grande difficulté financière.
Concernant Street Fighter 6, le tricolore confie avoir beaucoup d'attentes pour le jeu. Street V est loin d'être son opus préféré, et il hâte de revivre la hype des débuts du jeu. Il espère que ce nouveau titre redonnera à certains anciens l'envie de revenir, après la déception vécue à la sortie du V. Le nouveau système de drive l'intéresse grandement, car il permettra plus de libertés dans les actions, sans imposer certains mindgames. La mécanique de Super permettra de comeback, donc les matchs seront toujours spectaculaires. Néanmoins, il précise que ce ne sont que des impressions, et qu'il faudra attendre d'avoir le jeu final en main pour porter un jugement définitif. Quoiqu'il en soit, le Français s'adaptera au jeu car c'est à la fois son métier, et sa passion.