Après huit semaines de compétition en ligne, le Summer Split 2020 du League of Legends European Championship s'est achevé début août, faisant fi de la pandémie qui paralysait alors la plupart des compétitions ou événements du monde de l'esport. Bien sûr, il serait malhonnête de prétendre que rien n'est arrivé, que League of Legends n'a pas été affecté, ou bien que la COVID-19 et les mesures sanitaires qu'elle a provoqué n'ont pas eu d'impact sur les équipes et les joueurs du championnat.
Bien au contraire, la saison passée a vu les vétérans de la ligue dégringoler de leur trône, tandis que les rookies profitaient de ces faiblesses pour affirmer leur suprématie. Malgré une victoire à domicile à l'issue du Spring Split, les G2 Esports sont apparus hésitants, d'aucuns diraient méconnaissables. Profitant des dernières onces de leur gloire passée, les Samouraïs sont parvenus à ajouter un autre titre à leur collection, sans pour autant parvenir à dissimuler leur perte de vitesse. Et c'est devenu d'autant plus visible lors du Summer Split, que les défaites sont venues les placer dans une position particulièrement stressante et inconfortable : pour la première fois depuis plusieurs années, G2 a failli manquer les Playoffs.
"On n'a jamais eu à se battre pour atteindre les Playoffs." explique Marcin "Jankos" Jankowski, jungler de G2 Esports "On en est arrivé à un point où c'était extrêmement stressant, parce qu'on devait juste gagner tous nos matchs durant les deux dernières semaines. Et je suis heureux qu'on y soit parvenu."
Après avoir enchaîné les résultats en demi-teinte, G2 achève en effet les Semaines 7 et 8 avec un score immaculé et se propulse de la 5ème à la 3ème place en abandonnant Excel Esports et Origen dans son sillage.
Mais les champions en titre ne sont pas les seuls à avoir souffert d'une véritable inconsistance durant ce Split, puisque leurs rivaux de toujours, Fnatic, ont eux aussi connu un calvaire. Démarrant le segment sur les chapeaux de roue, et empochant un 3-0 après la Super Week, la suprématie des orange et noir a été progressivement grignotée par Rogue et MAD Lions. Les Fnatic ont par la suite oscillé entre le haut et le milieu du tableau, mais leur qualification n'a jamais vraiment été remise en question.
Pour autant, là où les rookies de l'année ont, semble-t-il, bénéficié du fait de jouer en ligne, au contraire les vétérans du LEC ont visiblement souffert de l'absence des fans. Comme les Samouraïs de G2, les orange et noir semblaient méconnaissables.
"Ca a été la partie la plus difficile de l'été pour moi," raconte Martin "Rekkles" Larsson, ADC emblématique de Fnatic, "Jouer depuis notre gaming house a vraiment desservi notre équipe." Du coup, ces deux derniers week-end de Playoffs, les Fnatic sont sortis de leur manoir pour se rendre dans un lieu proche, juste pour changer d'atmosphère. Ce changement, aussi simple soit-il, semble avoir boosté l'équipe, puisque les orange et noir ont stomp Rogue 3-0, avant de rejoindre G2 Esports en demi-finale, et d'y disputer l'un des plus beaux Bo5 de la décennie.
Contestée jusqu'à l'ultime seconde, cette série aura fait transpirer les fans de chaque équipe pendant de longues minutes tant l'issue semblait imprévisible. Pourtant, aux yeux des joueurs et de leurs coachs, ce match n'a fait que révéler les erreurs et les faiblesses des deux équipes.
"Je pense qu'on a mal joué certains scénarios," explique Fabian "GrabbZ" Lohmann, coach de G2 Esports, "et je crois que Mithy [ndlr: le coach de Fnatic] dirait la même chose pour son équipe : qu'ils n'ont pas joué parfaitement." Et Jankos de renchérir : "Fnatic a évidemment joué une très bonne série contre nous, cela dit je pense aussi qu'ils ont pas mal int. C'est toujours une excuse, hein, mais à mon avis on a plus perdu ce match qu'ils ne l'ont gagné. [...] Je crois qu'on a juste beaucoup choke et, après avoir regardé les games, je pense qu'on a fait beaucoup d'erreurs qui étaient juste cringe à voir."
Fnatic n'avait pas gagné une série contre G2 Esports depuis 874 jours. Cela dit, au-delà du résultat venant délivrer les orange et noir de presque trois années de défaite, Jankos comme Rekkles confessent sans hésitation le fait que leur rivalité désormais bien connue donne à leurs affrontements une saveur particulière.
"Chaque fois qu'on rencontre Fnatic, on veut vraiment gagner," rigole Jankos, "Cette équipe est… spéciale. On veut absolument gagner, et ça fait doublement plus mal quand on perd face à eux."
Dans le fond de la conversation Zoom faisant office de conférence de presse en ligne, Rekkles lâche un "same" (l'équivalent d'un "la même") discret, démontrant encore une fois que la rivalité entre G2 et Fnatic s'enracine dans un véritable esprit de camaraderie. Si sur les réseaux sociaux les deux joueurs se provoquent avec arrogance, la Faille est devenu l'espace secret de leur bromance.
"J'apprécie les Bo5 contre G2 plus que les autres Bo5," confie Rekkles, "L'année dernière, même si on a perdu en demies et en finale du Summer Split, on a quand même joué deux séries incroyables. Même si ça fait mal sur le moment, j'ai toujours considéré qu'en faire partie était quelque chose de fantastique. Du coup, au final, ça ne me dérange pas tellement de perdre."
"C'est toujours plus fun, tout particulièrement quand on arrive à la cinquième game. Parce qu'il y a tellement de stress, tellement d'émotions qui traversent ton esprit, mais que tu veux vraiment te concentrer sur le jeu," poursuit Jankos. "Cette semaine, j'étais heureux et en même temps j'avais envie de vomir. J'étais genre :'Mettez fin à mon calvaire'. En fait, c'est super fun sur le moment. [...] A chaque fois que tu fais un bon play, que tu prends l'avantage, et que tu te sens un peu plus heureux au fond, c'est tellement gratifiant… Je dirais que c'est plutôt cool jusqu'à ce que ton Nexus explose pour la troisième fois. Et là ça fait mal."
En réalité, tout n'est pas manichéen dans cette histoire, et si les vétérans du LEC ont effectivement traversé une mauvaise passe, cela ne justifie pas entièrement leur classement à l'issue du Summer Split. Leurs faiblesses seules ne suffisent pas à expliquer l'impasse dans laquelle ils se sont retrouvés. En effet, alors que G2 et Fnatic démontraient un niveau de jeu anormalement faible, MAD Lions, Rogue et même SK Gaming ont affiché une forme exceptionnelle.
"C'est évident que les équipes du bas et du milieu de tableau sont plus fortes que l'année dernière," confie Grabbz, "Et en même temps je crois que notre équipe, comme Fnatic, était en quête de son identité. [...] En fin de compte, nous n'avons clairement pas été à 100% pendant toute la durée du Split."
Aussi étrange que cela puisse paraître, G2 Esports et Fnatic ont traversé une crise d'identité, incapables de répondre aux nouveaux styles de jeu et à la fougue de MAD Lions et Rogue. Face aux défaites, et toujours dans le contexte d'une pandémie, il leur a fallu remettre intégralement en question leur organisation, ce qui a nécessairement donné naissance à de nouveaux problèmes. Pour autant, le fait d'avoir vaincu ce défi de taille constitue aujourd'hui une fierté.
"Après avoir perdu la finale du Spring face à G2, on ne savait plus quoi faire." raconte Rekkles "On était dans une situation très difficile et j'ai trouvé ça super cool de voir que, même à ce moment là, on était capable de déterminer ce qu'on allait faire après. Et dans ce cas-là, c'était de faire d'Oskar [ndlr: Selfmade] le pivot de l'équipe. Ca m'a rendu fier de voir que, même dans les moments les plus difficiles, on pouvait se rassembler et trouver de bonnes solutions à nos problèmes."
Effectivement, Fnatic semble avoir trouvé son nouveau style, et sa signature porte désormais la marque d'un jungler polonais au playstyle aussi acrobatique qu'agressif. Plus encore, l'équipe ne possède pas vraiment de leader, chacun des joueurs acceptant de prendre temporairement ce rôle lorsque c'est nécessaire. "C'est un choix," explique Mithy, "et je pense que ça marche plutôt bien. Ca permet de donner plus d'espace aux joueurs pour qu'ils puissent exprimer leur créativité."
Et de la créativité, il en faudra — beaucoup. Car, bien au-delà des Playoffs du Summer Split, les Worlds se profilent déjà. Tout habitués qu'ils sont désormais de la scène internationale, Jankos et Rekkles attendent ce moment autant qu'ils le redoutent.
La raison ? En filigrane de leur qualification pour l'événement le plus important de la scène compétitive de League se dissimulent leurs retrouvailles avec leurs homologues asiatiques. Hung "Karsa" Hao-Hsuan, Seo "Kanavi" Jin-hyeok et Kim "Canyon" Geon-bu pour Jankos, Kim "Deft" Hyuk-kyu et Yu "JackeyLove" Wen-Bo pour Rekkles ; en réalité, les deux joueurs européens brûlent de pouvoir à nouveau se mesurer à ces adversaires d'exception qui les ont souvent dominés au cours des éditions précédentes.
"Jouer contre Deft aujourd'hui serait très différent des fois précédentes," déclare Rekkles, "Avant, j'avais toujours l'impression que j'étais en quelque sorte un niveau en dessous de lui. [...] Je pense que cette fois-ci ce sera différent. Pour JackeyLove, c'est un peu pareil. Je voudrais savoir si on est sur un pied d'égalité."
Bien sûr, dans leurs discours subsiste une peur honnête d'affronter des joueurs capables de jouer au pixel près. Plus encore, les défaites des années passées semblent simplement prédire que le schéma s'apprête à se répéter pour la troisième année consécutive. Que ce soit Fnatic en 2018, ou G2 Esports en 2019, le LEC a caressé à deux reprises l'espoir de soulever la Coupe de l'Invocateur. Et à chaque fois, une équipe chinoise est venue éteindre le rêve.
"C'est vrai qu'on a eu une mauvaise expérience avec la Chine l'année dernière, mais on a tout de même battu RNG en 2018," commence Jankos. "On pourrait dire que le style chinois est différent du nôtre, mais je ne pense pas vraiment que ce soit le cas. La Chine en tant que région est particulièrement forte parce que [...] tout le monde communique bien durant les teamfights, et tout le monde joue souvent pixel perfect. Et c'est quelque chose qu'on voit pas souvent en Europe. Les joueurs choke, font des erreurs..."
"L'un des aspects les plus funs quand tu joues contre les équipes chinoises, ou les équipes asiatiques en général, c'est la qualité individuelle des joueurs," confirme Rekkles, " Je pense juste que c'est super intéressant de voir chaque année si vous êtes assez bon au jeu pour affronter ces gars. C'est là qu'ils brillent la plupart du temps, un peu comme Jankos l'a dit : toujours au pixel près dans les teamfights ..."
Les joueurs vétérans semblent attendre les Worlds avec plus d'excitation que de crainte, bien que l'absence du MSI les place dans une situation dangereuse. Faute d'avoir pu se mesurer aux équipes asiatiques à la fin du Spring Split, Fnatic, G2, MAD et Rogue vont devoir avant tout affronter l'inconnu.
Et si Jankos et Rekkles peuvent aisément imaginer ce qui les attend, la chose est bien différente pour Emil "Larssen" Larsson, midlaner de Rogue. Car c'est sa toute première participation aux Worlds. L'année dernière, le joueur suédois participait à l'Ultraliga polonaise avec la formation Académique de Rogue, aujourd'hui il dispute le titre du LEC et demain il s'envolera pour Shanghai afin d'y défendre les couleurs de l'Europe.
"Je n'ai jamais joué aux Worlds, donc je ne suis pas sûr de savoir à quel point les équipes asiatiques sont fortes," explique Larssen, "Bien sûr, j'ai entendu parler du fait que Damwon a stomp G2 en scrims, ainsi que toutes les histoires qui racontent à quel point les équipes asiatiques sont fortes."
Comme ses aînés, le joueur suédois ne rêve finalement que de pouvoir se comparer aux équipes asiatiques, même si cela s'achève par une amère défaite. Tandis qu'il hésite sur la manière de conclure sa tirade, la voix de Jankos émerge du fond de la conversation Zoom.
"Si je peux me permettre… Désolé de t'interrompre mais… Si je peux te donner un conseil : ne réservez pas Damwon pour deux matchs de scrim. Juste, autorisez-vous une pause. Si vous le faites, vous devriez juste scrim pendant deux jours, puis ne pas scrim du tout pendant une semaine pour pouvoir vous en remettre."
Larssen le reconnaît, son esprit n'est pas encore tourné vers les Worlds, et il préfère se préparer mentalement à sa demi-finale contre G2 ce samedi. D'autant plus que le stomp magistral que Fnatic a infligé à Rogue lors du premier round des Playoffs a forcé l'équipe à se remettre en question et à s'adapter.
Quand on sait que Fnatic et G2 ont plébiscité la totalité des titres du LEC depuis sa fondation, le parcours de Schalke 04 — fusse-t-il miraculeux — est en réalité bien moins impressionnant que celui de Rogue. De sa 10ème place au classement à l'issue du Spring 2019, l'équipe européenne a lentement mais sûrement gagné sa place au sommet du LEC, revendiquant finalement une première place après le Summer 2020. Mais pour entrer dans la cours des grands, il leur faut encore décrocher un titre du LEC, et alors seulement on pourra véritablement les comparer aux titans que sont Fnatic ou G2.
Les rookies du Split parviendront-ils enfin à arracher un titre du LEC à Fnatic et G2 ? Ou au contraire, sommes-nous sur le point d'assister à une énième finale opposant les deux ténors de l'Europe ?
Réponse ce week-end avec la seconde demi-finale et la grande finale du Summer Split 2020 !