Quelles conséquences à cette absence de statut ?
Il est triste de constater que, si l'eSport n'est pas un sport, il n'a pas non plus de statut propre, et ce malgré l'intérêt du public et les enjeux économiques croissants. Mais finalement, que signifie concrètement cette absence de statut ?
D'une part, la vente de billets pour assister à des compétitions de jeux vidéo ne peut rentrer dans aucune des qualifications ouvrant droit à une réduction de TVA (ni compétitions sportives, ni spectacles vivants). La TVA payée sur la billetterie est donc maximum et il n'est d'ailleurs pas certain que l’État souhaite un changement à ce niveau.
D'autre part, contrairement aux sports classiques, les jeux vidéo ne peuvent se doter d'une fédération type FIFA et la mainmise des éditeurs évoquée plus haut reste à peu près totale, ce qui est susceptible de porter atteinte à l'intérêt général (dans le cas où l'éditeur interdit purement et simplement que les compétitions soient retransmises, par exemple). Il est aussi impossible d'exercer le métier d'agent sportif, dont l'activité consiste à représenter les joueurs dans la négociation et la signature de contrats.
Depuis l'extension de la définition des jeux d'argent et de hasard par la loi Hamon, il est même possible que, dans certains cas, la pratique compétitive du jeu vidéo soit qualifiée de jeu d'argent et de hasard et, de ce fait, interdite. Ainsi, dès lors que le jeu comporte un aspect de hasard, même faible, et que la participation à une compétition est ouverte à tout personne s'acquittant d'un droit d'entrée, celle-ci est tout simplement prohibée. Les paris et money matchs (matchs à l'issue duquel le perdant paye une mise au gagnant), lorsqu'ils sont ouverts à la participation du public, suivent le même régime. Le jeu vidéo n'entrant pas dans le champ des activités pouvant faire l'objet d'un agrément de l'ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux En Ligne), il est tout simplement impossible de rendre ces pratiques légales sans un changement du cadre législatif.
On pourrait enfin citer, au titre des lacunes juridiques actuelles, le flou entourant les cash prizes ainsi que les problèmes de visas rencontrés par les eSportifs.
L'eSport dans les systèmes juridiques étrangers
Aux Etats-Unis, des visas sont accordés aux joueurs étrangers au même titre que s'il s'agissait de véritables athlètes et ce depuis 2013.
En Corée du Sud, il existe depuis 2000 l'équivalent d'une fédération sportive pour le jeu vidéo : la Kespa (Korea e-Sports association). Son champ de compétence s'étend à plusieurs jeux, dont Counter Strike, LoL, Warcraft III: The Frozen Throne, Starcraft: Brood War et Starcraft II. La Kespa organise des tournois, construit des stades, et agit comme intermédiaire entre le gouvernement, les sponsors, les joueurs et les équipes professionnels. Elle a aussi créé des règles en matière de lutte contre la triche, de fair-play et de bonne conduite. Il faut par exemple savoir que si les joueurs tapent « gg » lorsqu'ils concèdent une partie, c'est parce que la Kespa le leur impose sous peine d'avertissement et de disqualification. C'est aussi à un règlement Kespa qu'on doit la règle du « pp ». En effet, tout joueur mettant le jeu en pause sans avoir préalablement tapé « pp » s'expose à une disqualification.
Si ces règles constituent autant de contraintes pour les joueurs, elles permettent aussi une uniformisation : alors qu'en France, chaque tournoi a son propre règlement qui peut parfois prendre de cours les joueurs et leur équipe, en Corée, les acteurs de l'eSport savent à quoi s'attendre lorsqu'ils participent à une compétition répondant aux règles de la Kespa.
Mais les enjeux financiers sont colossaux et l'exposition d'un jeu sur la scène eSport constitue pour l'éditeur la meilleure des publicités. Les éditeurs ne sont donc pas forcément enclins à laisser une fédération indépendante superviser l'eSport à leur place. Ainsi, tour à tour, Riot et Blizzard sont rentrés en conflit avec la Kespa : Blizzard souhaitait en 2010 que la Kespa lui reverse de l'argent sur les tournois de Starcraft II et Riot voulait tout simplement se passer de la fédération afin d'avoir la mainmise sur les tournois de League of Legends organisés en Corée. Blizzard a ainsi pu obtenir de la part de la Kespa le paiement annuel d'une licence. Ces conflits entre la Kespa et les éditeurs nous montrent bien qu'accoucher d'une fédération autonome est difficile, et que les industriels du jeu vidéo ne seront pas tous enchantés par cette perspective.