Vous n'avez certainement pas pu passer à côté de ce scandale qui secoue à nouveau le pays fer de lance de l'eSport : la Corée. Paris truqués, manipulations : ce qui avait déjà filtré en 2010 sur d'autres jeux se confirme donc sur League of Legends, mis en lumière par la triste tentative de suicide d'un joueur professionnel coréen, Cheon « Promise » Min-Ki.
Certains lecteurs ont vivement critiqué l'absence d'article à ce sujet la semaine passée sur millenium.org, mais il me semblait important de leur rappeler que ce genre d'article ne rentre pas dans la ligne rédactionnelle du site, le traitement d'un sujet de ce type demandant du recul, des recherches, ainsi qu'une prise de position, c'est ce que je tiens à aborder aujourd'hui, ici.
Tirer la sonnette d'alarme
C'est donc jeudi matin dernier que le petit monde de League of Legends et de Reddit apprenait la tentative de suicide de Cheon « Promise » Min-Ki, également connu sous l'autre pseudonyme de Fimir, ayant sauté du douzième étage d'un building. Sa chute a été amortie par le toit d'une remise qui lui aura sauvé la vie. Son état est néanmoins grave, mais ses jours semblent ne pas être en danger, cependant il souffrira de graves séquelles.
Reddit et la communauté LoL dans son ensemble ont été très émus par ce geste, multipliant les dons et les crowdfunding afin de financer les frais d'hospitalisation de celui qui fut carry AD de l'équipe ahq eSports Club de Corée (équipe ayant plusieurs fois changé de sponsor jusqu'à s'appeler Jin Air Green Wings Stealths). S'il en est arrivé là, espérant sans doute en finir avec sa vie, il ne voulait pas partir sans avoir dénoncé ceux qui l'ont poussé à commettre cet acte, et c'est ce qu'il a fait en publiant un long post sur Inven.
Un eBrûlot contre les paris truqués en Corée
Les accusations du jeune joueur sont éloquentes et sont dirigées vers une personne en particulier, personnifiant à lui seule toute la corruption dont la Corée du Sud est victime depuis des années dans le domaine sportif : No Dae Chul. L'ancien coach des ahq eSports Club Korea aurait en effet manipulé deux de ses anciens joueurs (Promise et ActScene) afin de truquer les résultats de certains matchs sur lesquels il pariait sur des plateformes en ligne illégales. Promise avoue être rentré dans son jeu, tout comme son coéquipier dans un premier temps, alors que les autres auraient refusé de se plier à ces instructions. Puis, les joueurs ayant refusé de suivre ses ordres, le manager aurait alors vendu du matériel de la gaming house pour rembourser ses dettes, ce qui aurait entre autres entraîné le départ de toute la team.
Promise accuse clairement son ancien manager d'être le seul responsable de son suicide. Manipulation financière, pression sur les joueurs, paris truqués, la fédération qui semble fermer les yeux sur le problème : telles sont les conditions auxquelles sont livrés certains joueurs professionnels.
Un fléau intégral en Corée
Croire que ce problème est isolé et ne touche seulement que l'eSport relève tout simplement de la non prise en compte des réalités et revient à se voiler la face. TOUTE la sphère sportive est touchée par la corruption, et ce depuis des années, par exemple dans le baseball qui est l'un des sports nationaux de la Corée du Sud. Dans le pays du matin calme, il faut savoir que seule une plateforme de paris (Sports Toto) est autorisée dans le pays et que les transactions y sont limitées à certaines sommes.
On peut considérer que cela ressemble au Japon, où les jeux d'argent sont interdits (même si des alternatives ont été trouvées notamment les pachinko) et où les paris illégaux sont légion. En seulement 7 ans, en Corée, le nombre de sites de paris illégaux aurait été multiplié par au moins 30, passant de 30 à plus de 1000. Les mafias s'en donnent donc à cœur joie dans les trafics et dans les trucages de résultats sportifs (des plus populaires aux moins médiatisés) et les salles de jeu clandestines sont plutôt courantes.
Promise, par son geste, est devenu le symbole du mal-être de l'eSport coréen, le premier qui publiquement a réagi à ces pressions venues d'en haut, auxquelles les jeunes gens rentrant dans la vie active, sans expérience professionnelle, peuvent difficilement résister. Interdire ou trop limiter quelque chose développe très souvent le marché noir en rapport avec cette privation, et dans le cas du jeu et des paris, ce sont souvent les sportifs qui en sont les premières victimes.
Promise, avec son acte de désespoir a peut-être tiré la sonnette d'alarme dans un pays qui se doit de réagir. Le pays pourrait alors prendre exemple sur son homologue japonais que je citais tout à l'heure qui étudie la possibilité de rendre les casinos légaux sur leur territoire nippon, en autorisant notamment de nouvelles plateformes de paris. Politiquement du moins, le sujet reste sensible et la culture asiatique peine à envisager ces possibilités, le jeu (paris, casinos) n'étant pas spécialement un produit culturel, mais plutôt considéré comme un moyen de débauche qu'il faut contrôler. Ces nouveaux scandales feront peut-être évoluer les mentalités ?