Tout a commencé lorsque Nick Pearce, alors conseiller juridique et stratégique dans une grosse entreprise technologique, a consacré son temps libre à développer un mod pour The Elders Scroll V : Skyrim intitulé The Forgotten City. Centré autour d’un meurtre mystérieux commis dans une ancienne cité souterraine, celui-ci nécessitait de voyager dans le temps pour découvrir la vérité. Face au succès de ce mod, qui a été téléchargé plus de 3 millions de fois et a remporté le National Writer’s Guild Award en 2016, Nick Pearce a alors décidé de réorienter sa carrière dans le jeu vidéo en créant Modern Storyteller. Entouré d’Alex Goss et John Eyre, il a alors œuvré pendant 4 ans pour créer The Forgotten City, une aventure narrative remplie de mystères faisant la part belle à l’exploration et à la réflexion. Dans cette adaptation, les combats sont en effet très secondaires et c’est davantage l’art de la conversation qu’il faut savoir manier que l’épée ou l’arc. Le studio australien de Melbourne a présenté son projet lors de l’E3 2018, et 3 ans plus tard, après un report lié aux conditions sanitaires, le titre, édité par Dear Villagers et soutenu par le gouvernement de l’État de Victoria ainsi que par Film Victoria Australia, sort enfin. Nous avons donc fait un saut dans le passé et pris le destin de la cité entre nos mains.
- Genre : aventure narrative
- Date de sortie : 28 juillet 2021
- Plateforme : PC, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series, Switch (un peu plus tard)
- Développeur : Modern Storyteller
- Éditeur : Dear Villagers
- Prix : 24,99€ sur PC, 29,99€ sur consoles ou 39,99€ en version physique, disponible sur Amazon
- Testé sur : PC
Des citoyens couverts d’or
Alors qu’une jeune fille vient de vous sauver des eaux du Tibre, en Italie, vous ignorez comment vous vous êtes retrouvé là, perdu au milieu de rien. Si votre sauveuse hésite, pour une curieuse raison, à vous donner son nom, elle a en revanche un service à vous demander. Elle voudrait que vous alliez à la recherche d’un certain Al, lui aussi échoué peu de temps avant vous et parti explorer des ruines romaines toutes proches. Elle lui a promis de l’attendre ici pour le ramener à la civilisation avec sa barque, mais celui-ci n’est toujours pas revenu. En vous rendant sur les lieux, vous découvrez une étrange note indiquant que si vous pénétrez ici, vous pourrez connaître une vie vertueuse éternelle ou périr en étant couvert d’or. Après avoir franchi la porte, une trappe se dérobe sous vos pieds et vous glissez le long d'un boyau jusqu’à une cité romaine antique oubliée sous terre.
En explorant la zone pour suivre les traces de Al, vous tombez sur le cadavre doré d’un vieil homme pendu avec à ses pieds une tablette gravée signée Al. Il dit avoir perdu espoir après avoir passé sa vie entière à tourner en rond ici-bas. Comment cela est-il possible ? En poursuivant votre route, vous trouvez un portail temporel qui vous entraîne alors 2000 ans dans le passé. Là, en sortant du sanctuaire de Proserpine, la déesse du printemps et du renouveau, vous êtes accueilli par Galerius, un fermier romain qui, curieusement, vous comprend et que vous-mêmes, vous entendez parler anglais alors qu’il dit s’exprimer en latin. Dès lors, ce dernier vous encourage à rencontrer le magistrat Sentius qui dirige cette petite citée qui compte 22 âmes.
Toute la ville regorge de statues en or figées, souvent dans une position effrayée ou en fuite. De manière assez angoissante, celles-ci dirigent leur regard dans votre direction lorsque vous leur tournez le dos. De plus, vous entendez sans cesse des murmures qui semblent s’adresser à vous. Se pourrait-il que ce soit les statues ? Vous apprendrez rapidement qu’une loi particulière existe ici : la règle d’or. Si le moindre individu commet un pêché, tout le monde est puni par une puissance divine qui vous recouvre d’or. Grâce à cela, aucun délit, aucun méfait n’ont été commis au cours des 7 derniers mois, après que tous aient atterri en ce lieu suite au terrible incendie de Rome. Pourtant, 3 personnes ont disparu, dont la fille cadette du magistrat, alors qu’il n’y a aucune issue possible pour quitter la place. Sentius souhaite que vous enquêtiez et prétend également que quelqu’un s’apprête à transgresser la règle d’or. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a dû créer ce portail, afin que vous puissiez empêcher cet événement de se produire. C'est donc désormais à vous de jouer.
Votre souhait le plus cher reste toutefois de rentrer chez vous, mais comment faire ? Le portail par lequel vous êtes arrivé vous ramène en effet systématiquement au point de départ, chacun vous découvrant à nouveau comme la première fois. Vous êtes piégé ici et, à moins de parvenir à créer un paradoxe temporel en empêchant que la règle d’or ne s’applique et que votre venue soit sollicitée, vous êtes condamné à recommencer encore et encore. Vous devez donc changer le cours du temps pour pouvoir revenir à votre époque. Mais vous soucierez-vous seulement de votre cas ou chercherez-vous aussi à sauver les habitants de la ville ? Et si oui, combien parviendrez-vous à en libérer ?
« La collectivité souffrira pour les péchés de l’individu. »
L’univers de The Forgotten City, tout comme le principe sur lequel le jeu s’appuie, est clairement efficace. L’histoire qui nous est offerte, riche en rebondissements et en anecdotes de l’époque romaine, mais aussi de la Grèce Antique, et même au-delà, est vraiment intéressante. Elle permet une analyse de la vie à l’époque et toutes les interrogations relatives au bien-fondé ou non de telle ou telle pratique sur le plan moral, que ce soit il y a 2000 ans ou de nos jours, valent le coup d’être soulevées. Après tout, ne pas pêcher, d’accord, mais qu’est-ce qui constitue un péché ? Nous ne sommes clairement pas tous du même avis à ce sujet. Il est donc primordial de savoir qui est à l’origine de la règle d’or pour espérer savoir exactement ce qui est autorisé ou non, mais ça tout le monde l’ignore. Cela entraîne pas mal de réflexions philosophiques comme théologiques qui pourraient bien à plusieurs reprises vous faire vous poser quelques questions.
Il n’en demeure pas moins que pour apprécier pleinement le titre, il faudra ne pas être trop réfractaire à l’anglais. Celui-ci n’est en effet disponible que dans cette langue, mais des sous-titres français sont proposés. Nous reprocherons toutefois à ces derniers de défiler à plusieurs reprises un peu trop vite ainsi que de concerner quelques fois des conversations lointaines que nous ne devrions normalement pas entendre. En revanche, rien à redire sur la traduction, cette dernière est impeccable. Le doublage en VO est également de très bonne facture dans l’ensemble avec même une synchronisation labiale plutôt réussie. Pour rester sur le plan sonore, il y a tout de même quelques bruitages à revoir, comme des applaudissements démesurés face au nombre de personnes concernées et qui plus est continuent à s’entendre lorsque celles-ci cessent de taper dans leurs mains. Quant à la bande-son, le soft nous berce avec une musique reposante de qualité et de circonstance.
Graphiquement, le titre peut également se targuer d’un bon travail sur les visages et regorge de plans sympathiques. Par contre, il ne bénéficie pas d’une grande profondeur, même si cela se justifie par le côté enclavé du lieu. De même, certaines textures (sol, roches, draperies…) restent vraiment grossières, du moins dans cette première version du jeu que nous avons eu entre les mains. Petit côté amusant : il est possible d’appliquer des filtres pour faire ressortir le jeu en noir et blanc, en sépia, en saturé, en pixelisé ou encore sous forme de dessin animé et j’en passe. Un mode photo est aussi de la partie. Côté animation, le travail a également été soigné, même si l’on regrette la présence de quelques murs invisibles et autres bugs comme des personnages ne se retournant pas pour nous parler, ou des enchaînements de plans un peu hachés. Nos interlocuteurs pouvaient également sautiller pendant les dialogues ou en gravissant les escaliers, et des portes claquer indéfiniment si la conversation était lancée avec un PNJ dans leur ouverture. De plus, les temps de chargement peuvent être un petit peu long. Mais rien de rédhibitoire.
Même si l’on a tendance à chercher une carte que l’on ne découvrira jamais au début de l’aventure, on finit par trouver ses repères, la cité n’est finalement pas si grande, même si elle s’étend sur plusieurs niveaux, dont des sous-sols, et qu’il faut aussi compter sur la présence de passages secrets et autres lieux cachés. En revanche, il n’est pas toujours si simple de trouver un personnage donné. Ceux-ci suivent un trajet régulier et font des pauses dans des coins précis, mais encore faut-il le savoir et qu'ils ne s'égarent pas. Nous avons ainsi été amenés quelques fois à tourner en rond avant de débusquer l’individu recherché. Mais cela devrait être amélioré pour la sortie du jeu. En tout cas, le fait que l’on conserve les acquis d’une boucle temporelle à l’autre avec la possibilité de charger Galerius de résoudre pour nous les problèmes que l’on a déjà solutionné, est une bonne idée évitant la répétitivité qu’aurait pu induire le fait de recommencer à chaque fois au point de départ. De plus, le fait que tout un chacun nous ait totalement oublié donne l’occasion de pratiquer un certain humour dans les conversations que l’on a avec les citoyens qui nous prennent pour une sorte d’oracle capable de lire l’avenir. De la même manière, il est généralement possible de couper court aux dialogues déjà effectués et, lorsqu’il faut en repasser par-là, de faire défiler rapidement les propos.
Une épée de Damoclès au-dessus de la tête
The Forgotten City est avant tout un titre narratif et l’histoire est clairement au cœur du gameplay. Au départ, vous pouvez choisir votre nom, qui sera ensuite utilisé à plusieurs reprises y compris dans les dialogues, ainsi que votre sexe et votre couleur de peau, mais aussi votre fonction. En effet, qui êtes-vous ? Un archéologue à la recherche de ruines antiques qui bénéficiera de connaissances plus pointues sur l’époque romaine ? Un soldat en mission secrète en possession d’une arme à feu et de 10 balles ? Un criminel en fuite cherchant à échapper à la justice et donc plus rapide à la course ? Ou alors un classique amnésique ayant subi un trauma crânien et par là-même plus tolérant à la douleur ? À vous de choisir et de profiter de l’avantage propre à chaque option. Le scénario s’adaptera ensuite à cette décision, notamment à la fin du jeu.
Même s’il trouve son origine dans le mod d’un RPG d’action, le soft ne propose ici que des combats optionnels, la violence ne menant pas très loin. C’est donc surtout par les dialogues que vous démêlerez les ficelles et en exploitant au mieux la boucle temporelle qui vous permet d’essayer plusieurs approches et de retenter votre chance en cas de conversation bloquée par vos choix de répliques. Précisons que si vous butez sur une quête, vous pouvez recourir au guide d’objectif qui vous indique le chemin à suivre sous forme de papillons montrant la voie. Cela ne sera cependant pas toujours possible et vous devrez alors vous débrouiller seul. Vous retrouverez en revanche ces papillons sur certains objets interactifs, même si vous ne pourrez pas forcément tout de suite exploiter cette interactivité, faute de détenir l’objet adéquat pour cela. Dans tous les cas, vous êtes libre d’agir comme bon vous semble et d’aller là où vous le souhaitez. De même, à vous de décider quel objectif vous souhaitez poursuivre, même si certains ne pourront être atteints qu’une fois d’autres réalisés. Quelques missions ont toutefois eu malheureusement du mal à se valider et il nous a fallu nous y reprendre à plusieurs reprises, mais gageons que cela sera résolu. Il y a aussi plusieurs façons de parvenir à ses fins, ce qui est bienvenu et laisse donc chacun faire comme il l’entend.
Vous allez apprendre à connaître chaque citoyen et certains ne cherchent que leur propre intérêt en abusant de leur pouvoir. Une élection devancée vise d’ailleurs à départager Sentius, le magistrat actuel qui prône l’ordre et le respect de la règle d’or, et Malleolus, l’arriviste en passe de prendre sa place et qui veut abroger cette dernière, prétendant que c’est une pure invention de son adversaire. Si aucun débordement n’a en effet eu lieu au cours des 7 mois passés ensemble par la communauté, à quel prix cela a-t-il pu être réalisé ? Est-ce merveilleux au point d’accepter d’être emprisonné ici et soumis à cette règle stricte pouvant entraîner la perte de tous en un instant ? Est-ce vraiment si utopique que de se soumettre à cette vie vertueuse ou est-ce là un terrible châtiment divin ? Le destin de ces pauvres âmes piégées ne semble, en tout cas, pas si enviable que cela.
Nous vous disions qu’il s’agit avant tout de manier l’art de la rhétorique et qu’il vous faut assumer les conséquences de vos choix, c’est vrai, mais le titre propose également quelques phases d’action pendant lesquelles vous pouvez vous défendre à coups de pieds, mais aussi à l’aide d’un arc bien pratique une fois que vous aurez mis la main dessus. Bien entendu, si vous avez opté pour un passé de soldat, vous aurez aussi à votre disposition un pistolet, mais celui-ci se limite à 10 balles, contrairement à l’arc pour lequel vous pouvez trouver des flèches. Mais attention, dérober quoi que ce soit dans un coffre appartenant à quelqu’un d’autre enfreint la règle d’or. Dès lors, une voix caverneuse vous lit la sentence et tout devient noir et blanc, mis à part les yeux bleus des statues dont certaines se mettent à tirer des flèches pour transformer chaque habitant en statue dorée. Il ne vous reste alors plus qu’à courir jusqu’au portail avant d’être statufié à votre tour et de relancer ainsi la boucle temporelle. En fonction des décisions que vous prendrez, 4 fins différentes vous attendent. Vous pouvez alors recommencer au dernier point de sauvegarde pour tenter autre chose, jusqu’à atteindre la fin finale surprenante et toujours aussi bien menée dans la réflexion philosophique.
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