Nous n'aimons pas définir un jeu en le comparant à d'autres titres, mais c'est souvent le moyen le plus rapide et le plus efficace pour offrir une solide idée de ce que donne son gameplay. C'est particulièrement vrai dans le cas de Ghost of Tsushima, avec nos comparaisons répétées à Assassin's Creed et Sekiro: Shadows die twice, mais comme nous allons le voir, il possède aussi un sa propre identité, et surtout une atmosphère incroyable. Commençons par une petite leçon d'Histoire.
- Genre : Action, Infiltration, Monde ouvert
- Date de sortie : 17 juillet 2020
- Plateforme : PS4
- Développeur : Sucker Punch Productions
- Éditeur : Sony
- Prix : 69,99€
- Testé sur : PS4 Pro
Khan, la horde attaque
Après avoir conquis la Russie en hiver, ainsi que la Chine, et avec des frontières qui atteignent l'Europe et le Moyen-orient, l'Empire Mongol est particulièrement intimidant, puisqu'il est le plus grand empire à avoir jamais existé à cette époque. Les méthodes utilisées lors des conquêtes de Gengis Khan et de ses successeurs sont absolument brutales, ceux qui refusent de se soumettre immédiatement sont massacrés sans aucune pitié. Lorsque la Horde d'or décide de faire du Japon sa prochaine destination en 1274, la petite île de Tsushima, stratégiquement positionnée entre la péninsule Coréenne et les îles japonaises principales, est un point de passage quasi-obligatoire, et une tête de pont parfaite pour l'invasion.
Lorsque les 80 samouraïs de l'île font face au débarquement de milliers de soldats mongols appuyés par l'artillerie à poudre noire de leur flotte, le résultat est celui auquel on pouvait s'attendre. Jin Sakai, un des rares survivants du massacre se voit confronter à un choix cornélien entre le bushido, le code d'honneur rigide des samouraïs, qui ne lui laisse aucune chance de victoire face à un adversaire supérieur dans presque tous les domaines, ou alors souiller son honneur, et utiliser toutes les méthodes à sa disposition pour vaincre son ennemi, quitte à devenir comme lui. Cette dichotomie va déchirer le protagoniste durant toute l'histoire, puisque même s'il fait tout cela pour sauver son oncle et mentor, c'est une trahison aux yeux de ce dernier. La relation ambivalente entre Jin et son oncle, qui l'a traité comme son propre fils depuis la mort de son père, ajoute d'ailleurs une dimension supplémentaire à l'histoire, riche en émotions et en nostalgie. Notre participation est d'ailleurs assez limitée, ce n'est absolument pas un jeu comme The Witcher, et il nous est souvent donné le choix entre 2 réponses ou 2 questions lors des dialogues, mais cela ne change qu’exceptionnellement le résultat d'une quête ou de l'histoire.
Le tonton sabreur
Les débats moraux et arguments utilisés peuvent sembler archaïques aux yeux du public moderne, mais ils sont probablement bien plus fidèles aux mœurs de l'époque, mais on échappe aux discours anachroniques sur la liberté et la démocratie que tant de films hollywoodiens et certains jeux adorent introduire. Si les films et récits de samouraïs vous sont familiers, ces éléments doivent vous être familiers aussi, et vous devez avoir une idée de la tournure que va prendre l'histoire. Ghost of Tsushima multiplie les références aux films du genre, et tout particulièrement à ceux d'Akira Kurosawa, au point de proposer un mode de jeu en noir et blanc, porteur de son nom.
Le ton de l'histoire est généralement assez sombre voire pessimiste. La cruauté des envahisseurs mongols n'est pas surprenante et elle est bien documentée, mais elle manque peut-être un peu de nuance. Il n'y en a pas un seul pour racheter l'autre, et tous les Mongols rencontrés sont des tueurs et des tortionnaires dénués de pitié. Leur chef, et le principal antagoniste, Khotun Khan apparaît rapidement comme un hypocrite rusé et manipulateur, tout aussi brutal. Ce n'est néanmoins pas pour glorifier les Japonais, les samouraïs sont au mieux de naïfs esclaves qui glorifient un code de conduite autodestructeur, et le reste de la populace a plus que sa part de bandits, de meurtriers, de traîtres et d'esclavagistes, prêts à collaborer avec l'ennemi, ou à profiter du malheur d’autrui. Jin Sakai et ses compagnons sont d'ailleurs loin de passer pour des parangons de vertu, et ils ont tous leurs moments de faiblesse, ainsi que leur part d'ombre. C'est ironiquement une bouffée d'air frais par rapport à ce qu'on peut souvent voir, et cela donne quelques scènes mémorables chargées en émotions, mais cela ne sera probablement pas pour tout le monde.
Où est Akihabara ?
Une fois l'introduction et le tutoriel du jeu passés, qui sont très bien conçus tant mécaniquement que narrativement, soit dit en passant, nous sommes lâchés dans les vastes étendues de l'île de Tsushima, libres de faire ce que nous voulons, mais avec pour ligne directrice de sauver notre oncle, fait prisonnier par les Mongols. Divisée en 3 vastes régions, liées à leur acte respectif, l'île de Tsushima est d'une taille tout à fait satisfaisante, même si la dernière zone est un peu vide et moins réussie visuellement.
Mais au départ, la beauté et le côté enchanteur des lieux sautent rapidement aux yeux, sans la considérer comme étant fantaisiste ou irréaliste, elle s'en rapproche en atteignant les limites de ce qu'on peut rencontrer dans le monde réel. Ce réalisme très relatif contribue d'ailleurs à les empreindre de tant de charme, même s'il ne fait strictement aucun doute que la réelle île de Tsushima ne combine pas une multitude de climats, ni une collection intégrale des paysages les plus photogéniques du Japon. On s'attendrait presque à croiser le mont Fuji.
Pouvoir galoper dans des champs fleuris, livrer un duel sous un déluge de feuilles d'érables ou avancer en silence en pleine tempête de neige n'est qu'une petite partie de l'expérience proposée. Et une fois encore, la brutalité absolue de l'invasion mongole ajoute une terrible dualité à l'île. Tomber sur des cadavres de femmes et d'enfants calcinés après avoir s'être extasié de la beauté d'une forêt de bambous est une expérience commune. Le studio Sucker Punch semble d'ailleurs avoir souhaité faire de l'île un élément plus important que jamais. Bien que vous ayez à votre disposition une carte avec des points d'intérêt, comme dans presque tous les RPG Open World du marché, même les contours de l'île sont noyés par le brouillard de guerre. Il n'y a pas non plus de technique miraculeuse comme l'escalade d'un bâtiment pour révéler magiquement tous les points d'intérêt d'une zone.
À la place, les montagnes permettent d'observer l'île sur des kilomètres à la ronde et de se repérer, et au milieu des monts et sanctuaires, des colonnes de fumée de mauvais aloi permettent de savoir où des tragédies attendent votre intervention. Il n'y a d'ailleurs pas de marqueurs précis ni de GPS pour vous guider directement vers un lieu. À la place, c'est le vent qui vous guidera. C'est certainement un peu plus poétique encore une fois, même si le résultat est quasiment le même. La populace se chargera aussi de vous pointer en direction des camps mongols et d'autres lieux d'intérêt. Pour finir, la faune locale est étrangement collaborative, puisque les orioles ainsi que les renards vous guideront jusqu'à des sanctuaires et des artefacts oubliés si jamais vous décidez de les suivre. Tous ces éléments naturels qui remplacent l'interface et les marqueurs habituels ne manquent pas d'attrait, en plus d'avoir un certain sens dans le contexte, même si on pourrait avoir l'impression de jouer Princesse Mononoké et pas Jin Sakai par moment. Mais si la direction artistique de l'île est on ne peut plus réussie, certaines textures sont un peu pauvres, comme les flancs de falaises durant les phases d'escalade.
Globalement l'open world est bien rempli, et entre les camps mongols, les très nombreux points d'intérêts, les patrouilles et les embuscades sur les routes qui permettent de se battre régulièrement, on n'a jamais l'occasion de s'ennuyer, d'autant que les temps de chargement sont aussi rares que courts. Nous regrettons tout de même une certaine variété dans les points d'intérêt, même si des efforts appréciables ont été faits pour offrir de la variété. L'entraînement sur les morceaux de bambous demande de réaliser un QTE, les bains chauds permettent d'en apprendre plus sur les pensées de Jin et sur son passé, et la possibilité de rédiger ses propres haïkus pour débloquer des cosmétiques est bien vue. Cependant, cela ne fait que retarder l'inévitable, et on en est sérieusement lassé dans la seconde moitié du jeu. Les développeurs s'en sont peut-être rendu compte, car le dernier acte du jeu est assez désolé, tant visuellement qu'au niveau des éléments à découvrir, ce qui nous pousse à foncer vers la fin de l'histoire. Cela mis à part, les déplacements à cheval sont très fluides et agréables, il ne se bloque sur rien, mais sans pour autant nous envoyer voler dans le vide à la première occasion.
Sekiro's Creed
Comme pour l'open world, Ghost of Tsushima s'est lourdement inspiré de différents jeux récents pour son gameplay, les 2 derniers Assassin's Creed en particulier. On peut grossièrement le diviser en deux. En tant que samouraï, Jin Sakai est un combattant honorable dont la place est sur le champ de bataille, il affronte ses ennemis au katana et à l'arc, qui sont les deux seules véritables armes du jeu (même s'il existe 2 arcs différents). Les combats sont intenses, avec leur lot de subtilités, sans être trop complexes pour autant. Différents styles de combat sont débloqués en observant et en tuant des chefs mongols, ce qui permet de s'adapter aux différents types d'ennemis, alors que le style de base se prête aux duels et aux affrontements des ennemis dotés d'épées, le suivant permet de briser la garde des utilisateurs de bouclier, vient ensuite celui qui contre les lances, etc. Cela peut sembler simpliste, puisqu'il n'y a pas vraiment à y réfléchir à 2 fois, il vaut toujours mieux adopter le style qui contre l'ennemi du moment. Mais quand vous affrontez une dizaine d'ennemis en même temps, avec toutes sortes d'armes, passer d'un style à l'autre à la volée demande un peu plus d'efforts. Chaque style possède ses propres attaques brise-garde et ses propres attaques chargées en prime. Une attaque d'estoc, ou une volée de coups, voire un coup de pied retourné pour propulser un ennemi au loin. Les combinaisons et possibilités sont nombreuses.
Dailleurs, les ennemis ne plaisantent pas, et Ghost of Tsushima a visiblement voulu illustrer la dangerosité des armes, tant celles de Jin Sakai que celles des Mongols. Au début du jeu, notre pauvre héros peut se faire tuer en 2 ou 3 coups seulement, mais il en va de même pour les ennemis. Il faudra être au taquet pour parer les attaques et contre-attaquer, ou esquiver les attaques imparables, le tout sous un déluge de flèches. Les premières heures de jeu sont très difficiles, puisque le moindre combo ennemi vous enverra à la case "chargement". Sucker Punch a néanmoins été fort généreux en la matière, puisque les points de sauvegarde automatique sont très nombreux, et que les duels perdus sont simplement relancés avec toute votre vie. Cela permet de compenser l'absence de fioles d'estus et de régénération de la vie entre les combats, il faudra faire usage de la jauge de détermination pour se soigner, cette dernière ne se régénérant qu'au combat.
Jin Sakai peut tenter de se comporter comme un véritable samouraï et uniquement affronter les Mongols de face, par exemple en déclenchant une confrontation, une sorte de mini duel qui demande de réagir à temps lorsque l'ennemi initie son attaque, ce qui permet de le tuer instantanément et de faire le plein de détermination. Mais c'est à double tranchant, puisque si l'ennemi vous feinte, vous finissez à un point de vie et au sol, sans compter que dans les 2 cas l'alerte est sonnée. Si on y ajoute le fait que les Mongols adorent avoir des otages, et encore plus les exécuter (ce qui équivaut à un game over), on peut dire que le chemin de l'honneur est épineux du moins au départ. La caméra n'aide pas du tout d'ailleurs, parfois trop basse, souvent trop proche, elle a aussi la fâcheuse tendance de se coller derrière un obstacle qui va complètement occulter l'action. Il faudrait que le décor et les objets deviennent transparents lorsqu'ils sont positionnés entre la caméra et Jin ou ses adversaires, mais cette fonctionnalité manque cruellement à l'appel.
C'est pour cela qu'on se retrouve rapidement à faire usage de la capacité d'assassiner les ennemis qui ne vous ont pas repéré, que cela soit d'un coup de couteau dans le dos, ou avec une attaque plongeante depuis un toit. De ce point de vue, le jeu est presque entièrement similaire à Assassin's Creed, avec de l'escalade, du parkour, des hautes herbes, des distractions et une vue spéciale pour repérer la position des ennemis hors de vue. La chose n'est néanmoins pas poussée très loin, il est impossible de cacher les corps ou de se contenter d'épargner les ennemis. Nous parlons après tout d'une force d'invasion qui massacre impitoyablement les civils, le pacifisme n'est pas de mise. Certaines capacités additionnelles particulièrement vicieuses ne sont pas des inspirations spontanées pour Jin Sakai, elles sont débloquées avec des récits spéciaux, qui sont excellents au demeurant. Les fléchettes empoisonnées qui peuvent tuer les ennemis ou les rendre fous sont d'une efficacité remarquable.
Au fur et à mesure qu'il s'engage dans cette voie similaire à celle des ninjas, ou des vulgaires assassins, Jin commence à être surnommé "le fantôme", et ses méthodes finissent par instiller la peur dans le cœur des Mongols. Tout son attirail de fantôme s'avère d'autant plus redoutable au combat, la possibilité d'envoyer une volée de kunaïs ou une bombe collante permet de prendre le dessus facilement lors des grosses mêlées. Si on y ajoute la possibilité de sniper les ennemis à grande distance avec des flèches lourdes, des flèches explosives, et des bombes fumigènes pour des séries d'assassinats surprises. Si on y ajoute des puissantes pièces d'équipement, des bonus passifs via les talismans, de nombreuses techniques à améliorer avec l'amélioration de votre légende, et les améliorations de tout l'équipement, une fois passées les premières heures de jeu, la courbe de difficulté plonge rapidement. Alors que vaincre 3 ennemis de base était difficile au départ, alerter toute une garnison et gagner un 20 vs. 1 est tout à fait faisable par la suite, en jouant correctement.
Kamikaze
C'est plutôt dommage vu le thème de l'histoire, mais il est souvent plus simple et plus rapide de juste sonner l'alerte et de se payer une grosse boucherie à la loyale. Comme Ghost of Tsushima évite le faux pas des Assassin's Creed récents avec les niveaux (qui n'existent pas ici), on ne se retrouve jamais face à des ennemis rendus surpuissants d'une manière artificielle, ce qui est une bonne chose. En revanche, nous avons regretté l'absence d'un système de renforts ennemis, voire de quelque chose d'équivalent au système de Némésis/Chasseurs de primes (en mieux équilibré) afin d'épicer les choses. Aller d'un camp mongol à l'autre pour zigouiller ouvertement tout le monde en toute impunité finit par devenir lassant. Vous avez tellement d'outils à votre disposition, que la mort ne vient plus que sur une grossière erreur de votre part à ce point. Mais les combats restent difficiles techniquement, et parer toutes les attaques est difficile. Mais l'orientation est très différente de celle de Sekiro par exemple, alors qu'au premier abord les combats ont beaucoup en commun, après tout. Alors que dans Sekiro vous êtes forcé de bien maîtriser les assassinats et les combats, et que l'usage des outils vient en complément dans la majorité des cas, ici vous pouvez souvent vous contenter d'abuser de vos outils et de quelques techniques passe-partout au combat pour l'emporter.
Visiblement, les développeurs ont dû s'en rendre compte, car les duels entrent très rapidement en jeu. Très lourdement inspirés du cinéma une fois encore, ces combats ont droit à une introduction et à une ambiance bien particulière à chaque fois. Les adversaires qui se jaugent à distance, leur arme qu'ils se préparent à dégainer, leur détermination qui se renforce. Ils font office de combats de boss, mais vous n'avez pas le droit d'utiliser vos outils et techniques de fantôme durant ces derniers, probablement pour préserver leur difficulté. Et ils sont fondamentalement difficiles, c'est l'occasion pour le système de combat de briller. On peut alors admirer les parades, les personnages qui se croisent et qui se contournent, on a véritablement l'impression de voir un film de samouraïs. Il faut réagir au quart de tour pour contrer, varier les attaques et leur angle d'approche, briser la garde de l'ennemi, et esquiver les attaques les plus mortelles avant de contre-attaquer.
Si visuellement, et même parfois émotionnellement, ils sont fantastiques, en terme de gameplay ils souffrent de limitations importantes. Être privé de presque tout son arsenal est une chose, mais la vie fortement réduite des participants font aussi qu'ils prennent rapidement fin. Au départ, c'est avec un coup de grâce porté au pauvre Jin au sol, mais on parvient assez rapidement à remporter la victoire, même si c'est sur un coup de chance. Comme les boss n'ont pas beaucoup de vie et qu'il est assez facile de trouver une stratégie basique ou deux pour les toucher, et que le système de sauvegarde permet d'enchaîner quasiment sans délai les tentatives, on a rarement l'impression d'avoir maîtrisé le combat comme dans Sekiro après avoir vaincu Dame Papillon ou Genichiro par exemple, et c'est bien dommage. Un autre défaut majeur des duels est le manque de variété, il y a les chefs mongols d'un côté qui sont tous les mêmes, et de l'autre les rônins et autres épéistes qui ne diffèrent qu'avec 2 ou 3 attaques imparables différentes, mais souvent gérées de la même manière. Pas d'assassins, de cavaliers ni d'adversaires qui vous forceront à élaborer une stratégie précise ni même à apprendre le rythme de leurs attaques pour tout parer proprement. La force brute avec le bon équipement et les bonnes techniques ouvre d'ailleurs souvent la voie à une résolution agressive et expéditive à partir de la moitié du jeu.
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