Hier, nous avons publié les noms des gagnants de notre concours Guild Wars 2, organisé en partenariat avec ArenaNet. Le concours littéraire a eu un grand succès et de très nombreux textes nous on été envoyés. Il a été difficile de départager les meilleurs d'entre eux et il aurait été dommage de ne pas publier ceux qui n'ont pas remporté de lot.
Nous allons donc publier une histoire régulièrement jusqu'à la sortie du jeu. Une fois le jeu disponible nous continuerons de publier vos histoires, ou vos dessins. Si vous souhaitez voir vos créations publiées sur notre site, n'hésitez pas à les envoyer à eskrau@millenium.org
Nous débutons donc aujourd'hui avec le texte arrivé juste derrière le vainqueur et écrit par Jean-Cristophe M. Le thème abordé est celui de la création des Sylvaris, raconté par un Asura.
Prologue
Dans des contrées éloignées de toute civilisation, à une époque de prospérité, Enro vivait une vie tranquille et consommait une retraite bien méritée. C’était le seul adjectif que l’on pouvait employer pour décrire sa vie actuelle : tranquille. Son occupation principale consistait à s’asseoir au coin du feu et fumer sa pipe en lisant un livre quand il n'était pas occupé à en écrire un. Tout allait pour le mieux.
Enro était un vieil, très vieil Asura qui avait vécu bien plus que son quota d'aventures. L'âge l'avait rendu petit, même pour un Asura. Les marques de son crâne étaient à peine visibles sur sa peau pâle et parcheminée. Il n'était pas quelqu'un d’extravagant et ses vêtements en témoignaient de par leur simplicité. À son odeur naturelle se mêlait le doux parfum du vieux tabac. En temps normal il aurait dû consacrer sa vie à la recherche, passant d'un projet à un autre, et par la même occasion d'une coterie à une autre. Toutefois la guerre avait changé bien des choses.
Il vivait dans une forêt reculée dans laquelle il avait bâti un chalet, un vrai petit coin de paradis, pour pouvoir s'y établir avec sa femme et y éduquer ses enfants. Cet endroit était tout ce qu’ils avaient toujours souhaité, du même acabit que ceux que l'on rencontre dans les contes. Les couleurs de la nature y rivalisaient de beauté et de diversité tout en formant un ensemble cohérent. Ces couleurs ajoutées aux bruits et aux senteurs de la nature suffisaient à subjuguer les sens. Enro se surprenait souvent à s'abandonner des heures durant à la seule contemplation de cet environnement féérique.
« Il se fait tard, tu devrais dire aux enfants de rentrer, lui dit l’amour de sa vie, Cassia, la femme avec laquelle il avait la chance de vivre.
- Ils sont grands tu sais, ils rentreront quand ils voudront. »
Gogemeera, Khenjii et Azheero rentrèrent effectivement peu après. À son plus grand damne il n'avait jamais eu de fille, néanmoins il s'estimait déjà heureux d'avoir trois grands garçons qui respiraient la santé et la joie de vivre. Gogemeera était l'aîné et Azheero le benjamin. Tous les trois avaient les yeux rouges de leur mère et de magnifiques marques blanches comme les siennes.
Après avoir dressé le couvert, ils se mirent à table. Enro avait toujours insisté pour que les repas se prennent tous ensemble. Ce soir toutefois il trouvait ses fils bien silencieux. Une fois le repas fini et la table débarrassée, il retourna s'installer au coin du feu. Ses fils ne quittèrent pas la pièce comme à leur habitude.
« Dis papa tu ne nous as jamais raconté ce que tu faisais avant de rencontrer maman, demanda Azheero en regardant fébrilement ses deux aînés.
- Je vous l'ai dit, c'était la guerre contre les Dragons Ancestraux. Il n'y a pas grand-chose à dire de plus.
- Mais...
- Arrête Azheero, l'interrompit Gogemeera. On t'avait prévenu qu'il ne te répondrait pas. »
Ils quittèrent tous les trois la pièce, retournant vaquer à leurs occupations. Azheero partit en dernier, visiblement déçu.
« Tu n'as toujours pas l'intention de le leur raconter n'est-ce pas ? Lui demanda sa chère et tendre.
- On en a déjà discuté. C'est une histoire d'un autre temps, qui n'est pas destinée à leurs oreilles. »
Cassia vint lui déposer un tendre baiser sur le front avant de quitter la pièce à son tour. Le temps pouvait faire son office, il n'était jamais parvenu à étouffer les flammes de l'amour qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre.
Enro affectionnait ces moments de solitude, uniquement consacrés à l'appréciation du moment présent. Il se perdait dans la contemplation du feu ronflant dans la cheminée, admirant la vivacité des flammes, insaisissables, et leur couleur. Il avait toujours trouvé magique la façon dont un feu vous donne une impression de sécurité, de réconfort, se demandant si ce sentiment provenait du crépitement des braises ou de la douceur de la chaleur qu'elles dégageaient. Avec le temps il en était parvenu à la conclusion qu'il s'agissait d'une savante combinaison des deux.
Ce soir néanmoins, Enro n'arrivait pas à laisser aller ses pensées, les paroles de son benjamin étaient solidement ancrées dans son esprit. Cette histoire ne leur était définitivement pas destinée. L'utilité des enseignements que ses fils auraient pu en tirer avait disparu avec la fin de la guerre. C'était une sombre époque qu'ils n'avaient pas besoin de connaître. Il n’était pourtant guère différent d’eux au début de cette ère, jeune et fringant Asura tout juste diplômé de l’Université de la Synergétique…
Chapitre I
La découverte
60 ans plus tôt…
Enro avait le profil type du jeune Asura tout juste diplômé. Il avait soif de connaissance et ne prêtait attention qu’à ce qui pouvait faire de lui un « génie », but ultime de tout son peuple. Il avait choisi l’Université de la Synergétique ou, pour être plus exact, c’est eux qui l’avaient choisi. Contrairement aux membres des autres Universités il ne s’intéressait que peu à l’ingénierie, la mécanique ou toutes ces sciences qu’il ne pouvait s’empêcher de qualifier de superficielles. Son domaine était bien plus fondamental, il s’appliquait à comprendre tous les rouages de la magie, en l’occurrence les flux d’énergie. Les recherches liées à ce champ d’études comportent une grande partie philosophique, les Asuras de l’Université de la Synergétique sont encore plus méprisants envers les autres races, et même envers les Asuras, puisqu’ils comprennent comment les autres fonctionnent. Toutefois ce n’était pas le cas d’Enro qui ne consacrait sa réflexion qu’à son travail, toute autre activité cérébrale était une perte de temps.
Pour prendre part à un projet de recherche il faut appartenir à une coterie ou en créer une, seul on n’arrive à rien. Or jusqu’à présent Enro n’avait pas trouvé de projet suffisamment ambitieux pour lui permettre d’atteindre son objectif, et il n’avait pas d’idée assez novatrice pour créer une coterie et permettre à son nom d’accéder à la postérité.
C’est ainsi qu’en quête d’inspiration il avait quitté Rata Sum. Enro était un Asura intelligent, il avait compris depuis longtemps que le plus grand problème de son peuple était d’être trop fermé au monde. Lorsqu’une civilisation n’a pas de contact avec son environnement elle finit inéluctablement par stagner. Cela tient du fait que lorsque des personnes ayant la même éducation, la même culture et la même façon de penser travaillent entre elles, il ne peut en naître aucune innovation.
C’est avec cet état d’esprit qu’il était parti découvrir le monde. Il ne cherchait pas quelque chose de particulier, car si la clé de la réussite était dans son esprit il l’aurait déjà trouvée. Il se contenterait d’aller visiter tous les lieux qu’il jugerait remarquables, à commencer par tous les grands centres démographiques. Il savait que, même s’il ne trouvait rien là-bas, il entendrait sûrement parler de choses intéressantes.
La ville qui était la plus proche s’était avérée, sans grande surprise, être Rata Sum. En parlant de son projet autour de lui il avait entendu parler d’un arbre, d’une taille inimaginable et pourtant c’était sa caractéristique la moins remarquable, qui avait poussé non loin à l’Est. C’était le point de départ de son voyage.
*
Enro était fort agréablement surpris par l’environnement dans lequel il évoluait. Tous les Asuras avec lesquels il avait parlé lui avaient décrit le monde extérieur comme un endroit dénué d’intérêt, ils lui avaient dit que tous les êtres étaient incultes et stupides à tel point que s’en était affligeant.
En ce qui concerne les personnes, il ne pouvait pas en juger n’ayant encore rencontré personne durant son périple. Par contre, pour ce qui était de l’environnement, rien de ce qu’on aurait pu lui dire n’aurait rendu justice à ce qui l’entourait. Tout ce qu’il voyait était un ravissement pour les yeux, les bruits semblaient avoir été conçus par un compositeur et il pouvait sentir des parfums dont il n’aurait jamais soupçonné qu’ils puissent exister à l’état naturel. Essayer de qualifier ce mélange lui avait fait prendre conscience à quel point, son vocabulaire était limite.
Bien que Rata Sum se trouvait aussi dans la Jungle de Maguuma, les travaux de terrassement des Golems avaient rendu les environs bien moins sauvages et par conséquent bien moins luxuriants. Cette zone de la Côte Ternie, bien plus proche du Détroit de Malchore, était restée authentique, la nature y avait conservé tous ses droits.
Enro n’avait de cesse d’étudier chacune des plantes qu’il croisait, des plus petites brindilles aux plus gros arbres qu’il ait jamais vus. Il n’arrivait pas à croire que cet environnement puisse être naturel, une race supérieure avait dû construire tout cela sinon comment des couleurs et des éléments aussi disparates auraient pu se marier aussi bien ? Chaque panorama contenait des fleurs dont les pétales représentaient toute la palette de couleur et le sol était couvert d’une herbe d’un vert si intense que s’en était vivifiant. Le ciel était masqué par une barrière végétale gorgée d’animaux et de leurs habitats, son absence passait inaperçue.
À force d’aller d’une curiosité à une autre, Enro craignit d’avoir perdu son chemin. C’est ainsi qu’il arriva dans une clairière de laquelle il espérait pouvoir apercevoir le ciel et se repérer par rapport au soleil. Soudain, toutes ces considérations passèrent au second plan. Au milieu de cette clairière trônait le plus colossal arbre qu’il lui ait été donné de voir, et même d’imaginer. Ses dimensions étaient tellement exagérées qu’Enro n’arrivait pas à estimer la distance qui le séparait de lui. En s’approchant, il s’aperçut que ce qu’il avait initialement pris pour une clairière avait une surface démesurée et qu’aussi gros que lui paraisse l’arbre il en était pourtant très loin. Sa base à elle seule était plus grande que Rata Sum !
Enro se ressaisît, pas de temps à perdre, l’étude de cet arbre n’allait pas se faire toute seule et il y avait assez de travail pour dix vies. Que n’aurait-il pas donné pour avoir une coterie pour l’épauler.
Chapitre II
La Vie
Enro n’avait pas l’intention de s’éterniser trop longtemps. Il était membre de l’Université de la Synergétique, pas de la Botanique. L’euphorie qu’il avait ressentie à la découverte de l’Arbre – il avait décidé de mettre une majuscule au mot dans ses notes afin de distinguer clairement cette espèce des autres – était passée et il réalisait maintenant que bien qu’il soit hors normes, il n’était d’aucune utilité au peuple Asura. Aussi s’intéressait-il uniquement au pourquoi de la présence de cet arbre dans ce lieu et à la magie qui y était forcément liée. Toutefois la taille de l’Arbre n’en restait pas moins colossale et il lui fallait une piste pour commencer ses recherches.
Il avait tout d’abord pensé qu’il trouverait une trace de cette magie à la base de l’Arbre. Selon toute vraisemblance sa recherche devait commencer par là, à la source de ce phénomène. Il avait cependant pris le temps de faire un petit peu d’escalade en dépassant le sommet de la barrière végétale. Celle-ci était si dense que son champ de vision s’en trouvait diminué, à tel point qu’il n’avait pu voir l’Arbre avant son arrivée dans la clairière. Néanmoins il ne vit aucun autre Arbre similaire. À moins qu’il n’en existe un de la même sorte dans une contrée lointaine, cet Arbre devait être unique. Ainsi Enro se posait une question très troublante qui le poussait à envisager sérieusement ce à quoi il avait pensé en parcourant la jungle environnante : cette plante pouvait ne pas être naturelle. Si cet Arbre avait poussé naturellement, pourquoi n’y en avait-il qu’un seul ? Et si ce n’était pas le cas, alors où étaient les êtres surdéveloppées qui avaient accompli une telle prouesse ? L’Arbre n’était pas là lorsque les Asuras avaient atteint la surface et élu domicile à l’Ouest, donc cette civilisation leur était forcément contemporaine. Or aucune de celles qu’il connaissait n’aurait pu créer cet arbre.
Depuis cinq jours qu’il avait débuté ses recherches, il n’avait fait qu’accumuler les questions sans réponses. Si l’Arbre était une énigme, ce qu’il contenait en était une bien plus grande encore. Après sa petite escalade, il était allé fouiller les niveaux inférieurs et ce qu’il avait trouvé n’était rien moins que stupéfiant. La comparaison qu’il avait faite entre la base de l’Arbre et Rata Sum s’était avérée plus pertinente qu’il ne l’avait initialement prévu.
La base de l’Arbre s’étendait sur trois niveaux reliés par des pentes en colimaçon. Bien qu’il n’ait exploré que les deux niveaux inférieurs, il avait constaté qu’aux trois étages il y avait des structures que l’on aurait pu apparenter à des maisons, si ce n’était le fait qu’elles n’avaient pas été bâties en un assemblage de planches de bois : le bois avait poussé naturellement de manière à façonner ces bâtisses. De plus, les pentes n’étaient pas le seul moyen de naviguer entre les niveaux, il y avait aussi des sortes d’élévateurs qui consistaient en une simple plante qui se refermait sur la personne qui montait dessus et l’emmenait à un autre étage.
Tout ceci ne pouvait être naturel, et pourtant il n’y avait aucune trace qui aurait pu indiquer la présence d’une quelconque civilisation évoluée. Mis à part les pseudo-maisons et les élévateurs, tout le reste n’était que végétation, et vu les matériaux de ces structures on aurait pu se contenter de dire que tout était végétation.
Enro remontait doucement dans les étages, fouillant chaque recoin à la recherche d’un indice. Cela faisait déjà dix jours qu’il était là, et pourtant rien dans les deux niveaux inférieurs ne contenait l’ombre d’une réponse. Il lui fallut trois jours supplémentaires pour fouiller entièrement le niveau supérieur, et deux de plus pour accepter le fait qu’il n’avait rien trouvé. Le soir venu il se résigna finalement à reprendre son chemin. Cette déroute le rendait malade et, bien que la journée avait été éprouvante, il peina à trouver le sommeil cette nuit-là. Comment la source de cette création avait bien pu disparaître sans laisser de trace ? Si de la magie était à l’origine de tout ça, qu’elle soit naturelle ou qu’elle ait été mise en œuvre, il n’en avait pas détecté le moindre indice. De plus, nombre de ses compatriotes avaient connaissance de l’existence de cet Arbre donc il n’était pas le premier à l’explorer, toutefois personne n’avait rien trouvé.
Cet Arbre était là, tel quel, avec son agencement si mystérieux et c’était tout. Il ne pouvait se résoudre à accepter une explication aussi simpliste. Néanmoins s’il y en avait une autre elle lui échappait totalement. Il gardait cependant à l’esprit que, même s’il perçait ce mystère, cela serait d’un bien piètre intérêt pour son peuple et c’est pour cette raison qu’il décida, à regret, de reprendre son périple vers l’Arche du Lion, sa prochaine destination.
Le moyen de transport le plus direct pour s’y rendre était par bateau. Il sortit de sa couche et prit sa carte. Il devait trouver le port de pêcheur le plus proche, il y aurait certainement un marchand qui accepterait de le prendre à bord. Ce faisant il aperçut une étrange lueur dans un bosquet, poussé par sa curiosité il alla jeter un coup d’œil. Cette lumière provenait d’une plante qui, maintenant qu’il l’observait, devait être de la même espèce que les plantes élévatrices. Il ne se rappelait pas avoir étudié celle-ci, sûrement parce qu’hormis la lueur qu’elle émettait elle était totalement camouflée par le bosquet. En pleine journée il avait parfaitement pu passer à côté sans la voir.
Ce n’était sûrement qu’une plante comme les autres qui l’emmènerait à un niveau qu’il avait déjà visité, mais après tout il n’avait rien à perdre. Il se plaça au milieu du végétal qui se referma sur lui. Et c’est à ce moment-là qu’il fut surpris. Étant au niveau supérieur, il s’était attendu à ce que la plante descende, et bien qu’il ne puisse pas voir quelle direction elle prenait, il sentait bien qu’elle montait encore plus haut. Quel que soit le lieu vers lequel elle l’emmenait, il n’y était jamais allé.
Au bout d’un temps qui lui paru être une éternité, la plante finit par s’arrêter et se déplier. En observant les lieux, Enro se rendit compte qu’il se trouvait à la base de la frondaison, ce qui, vu la taille de l’Arbre, signifiait qu’il se situait à des centaines de mètres du sol. Rien que d’y penser, il était pris de vertige. Cet étage était bien plus petit que les autres, mais ce n’était pas là la seule différence. Il était aussi beaucoup plus sobre, bien moins haut en couleur. Il y régnait un silence religieux. Même le parfum des fleurs était moins marqué. Ce lieu était spirituel.
Un élément du décor ressortait néanmoins : il s’agissait d’un morceau de pierre enchevêtré dans une liane. En s’approchant, Enro pu apercevoir des inscriptions qui s’avérèrent être du krytien. Ce langage avait été propagé dans toute la Tyrie par les moines chercheurs du Prieuré de Durmand au début de ce siècle, cela avait grandement aidé la communication entre les différentes races. La tablette avait été érodée par le temps et de la mousse avait poussé dessus. Néanmoins les écritures avaient curieusement été épargnées et restaient aisément lisibles. Enro pouvait lire ce qui semblait être sept commandements :
« I. Vis pleinement et ne gâche rien.
II. Ne crains pas la difficulté. Les sols les plus durs font les racines les plus solides.
III. Seule la paix de l'âme est véritablement éternelle.
IV. Chaque chose a le droit de grandir. La floraison est la compagne du chiendent.
V. Ne laisse jamais l'injustice donner naissance au mal ou au chagrin.
VI. Agis avec sagesse, mais agis.
VII. Du plus petit brin d'herbe à la plus grande montagne, partout où la vie grandit tu dois grandir aussi. »
Outre le fait que la personne qui avait écrit ces sept très bons conseils était pacifiste, Enro ne pouvait pas conclure grand-chose de plus. C’était un comble, il avait passé ces quinze derniers jours à la recherche de la moindre trace de magie, de civilisation ou de quoi que ce soit d’autre, et quand finalement il en trouvait une, ça n’avait aucun sens. Enro était perdu dans ses pensées lorsque soudain…
« Bonjour petit Asura, bienvenu dans la Chambre d’Omphalos. »
Enro sursauta et se retourna précipitamment à la recherche de la personne qui avait proféré ces paroles. C’est ainsi qu’il se retrouva face à un… être. Ce qui le choqua tout d’abord était que cet être était translucide et ensuite, à bien y regarder, ce n’était pas la seule chose surprenante. Il n’avait pas pu identifier cet être au premier coup d’œil et il comprenait maintenant pourquoi : cette personne n’était pas organique. Tout son corps était un enchevêtrement de fibres végétales qui imitaient à la perfection la silhouette humaine que ce soit par la taille ou la morphologie.
« Qu’êtes-vous ? Enfin… qui êtes-vous je veux dire, furent les premières paroles qui réussirent à franchir ses lèvres.
- Ne soyez pas embarrassé, je conçois que mon apparence soit déroutante pour vous. Je suis l’Arbre Clair.
- Vous êtes… l’Arbre ? Comment est-ce possible… L’Arbre était un être doué de conscience, Enro n’en revenait pas.
- Je n’en sais que peu sur moi-même aussi je ne peux pas répondre à toutes les questions que vous vous posez. Je peux néanmoins vous dire que je n’ai pas été créé mais trouvé.
- Qu’entendez-vous par « trouvé » ? Où ? Par qui ?
- J’ai accès aux souvenirs de ceux qui viennent me voir. J’ai lu l’esprit de celui qui m’a planté, il a trouvé une graine dans une grotte et est venu ici, où se situait son village, dans l’espoir de me montrer à sa fille. Malheureusement, le Blanc Manteau et ses faux dieux l’avaient devancé et avait tout détruit en guise de représailles. En effet l’homme qui m’a trouvé était un membre de la Lame Brillante, il s’appelait Ronan. Il m’a planté ici, à côté des tombes de sa famille.
- Vous lisez dans les souvenirs… les miens aussi ? S’inquiéta Enro.
- Oui, Enro de Rata Sum, membre de l’Université de la Synergétique.
- Pourquoi me racontez-vous tout ça maintenant ? Je suis ici depuis quinze jours, pourquoi avoir attendu tout ce temps ?
- Vous n’êtes pas le premier de votre race à venir, mais les autres ont tout de suite essayé de percer mon écorce afin d’analyser ma sève, ils ont déraciné des plantes pour les emmener en guise d’échantillon. Vous, vous vous êtes contenté de tout observer et plutôt que de tout détruire vous avez essayé de comprendre. Depuis que vous êtes arrivé, j’ai le sentiment que vous serez à même d’accepter ce que je suis et ceux qui vont se réveiller mais je devais m’en assurer.
- « Ceux qui vont se réveiller »… ? Peu importe. Si vous avez poussé tout seul alors qu’est-ce que c’est que cette tablette ?
- Devant la destruction de son village, Ronan fut dégoûté de la guerre et fit de cet en droit un refuge pour ceux en quête de paix. Il fut rejoint par de nombreuses personnes, notamment par un centaure du nom de Ventari. Ce dernier était exaspéré de l’éternelle guerre qui opposait son peuple aux humains et errait en quête d’un lieu tel que celui-ci. À la mort de Ronan, ce fut Ventari qui prit le relais. Et quand Ventari sentit sa mort venir, il rédigea ces sept préceptes qui étaient pour lui l’essence même de la vie communautaire. Nous serons son héritage vivant. »
Décidément tout cela devenait de plus en plus étrange. Enro ne savait que penser. Autant l’Arbre Clair était d’une sincérité désarmante en répondant à des questions qu’il ne lui avait même pas posé, autant certaines de ses paroles étaient voilées de mystère. Qu’est-ce que signifiait « ceux qui vont se réveiller » et « nous serons son héritage vivant ». Enro se demandait si l’Arbre Clair lui répondrait s’il posait la question lorsqu’il entendit remuer au-dessus de sa tête.
« La naissance commence », dit l’Arbre Clair en regardant en l’air.
En cherchant l’origine de ce bruit, Enro vit ce qu’il pensa être des cocons doucement descendre jusqu’à s’arrêter à quelques centimètres du sol. Quelque chose remuait dans les cocons, c’est ce qui était à l’origine du bruit qu’il avait entendu. Au début ce qu’il y avait dedans bougeait très légèrement ; mais maintenant ils voulaient clairement en sortir. Enro compta douze cocons en tout et pour tout, néanmoins il pouvait en voir d’autres qui étaient restés dans les branchages de l’Arbre. Il ne savait pas s’il devait rester où il était ou prendre ses jambes à son cou, après tout il n’avait aucune idée de ce qui allait sortir des cocons. Quelque chose dans son attitude avait dû trahir ses pensées puisque l’Arbre Clair lui dit se calmer, qu’il ne risquait rien. Mais de toute façon il aurait été un peu tard pour fuir, le premier cocon commençait à s’ouvrir.
L’être qu’il vit sortir était en tout point semblable à la projection de l’Arbre Clair, avec sa composition si particulière, mis à part le fait qu’eux n’étaient pas translucides. Néanmoins ce n’est pas ce qui retint l’attention d’Enro. L’être était d’âge mûr : soit ils étaient entrés dans ces cocons afin d’y effectuer une sorte d’hibernation, soit ils naissaient adultes. L’Arbre Clair avait parlé de « naissance », ce qui faisait pencher Enro pour la deuxième explication. Pendant que l’être achevait de sortir de son cocon, les autres commençaient à s’ouvrir.
« Bonjour Mère, dit l’être une fois sorti de son cocon.
- Bonjour Dagonet.
- Suis-je la première de mes frères et sœurs à m’éveiller du Rêve ? S’enquit-elle. De toute évidence il s’agissait d’un être féminin.
- Oui, néanmoins ils te suivent de peu.
- Et ce petit être… serait-ce un Asura ? Comme ceux du Rêve ?
- Oui je suis un Asura, s’empressa de répondre Enro alors que la projection de l’Arbre Clair s’apprêtait à ouvrir la bouche. Je me prénomme Enro. Qu’est-ce donc que le fameux Rêve dont vous parlez ?
- Mes enfants sont connectés au Rêve durant leur incubation. Cela me permet de leur transmettre mes connaissances en me servant de souvenirs et d’émotions. Ainsi ils naissent adultes physiquement et mentalement. »
Enro n’en revenait pas de ce qu’il entendait. Non seulement l’Arbre était vivant, mais il pouvait aussi créer la vie. De plus, Enro aurait donné très cher pour pouvoir comprendre comment fonctionnait le Rêve. Si au début il n’avait pas vu quels enseignements cet Arbre pouvait apporter à son peuple maintenant il ne savait même plus par quoi commencer.
Progressivement, les « frères et sœurs » de Dagonet se réveillaient. Et à chaque fois le même miracle se répétait sous ses yeux. Ils naissaient avec une maîtrise parfaite de leur langage, et ils se saluaient les uns les autres par leur nom comme s’ils se connaissaient. Tous avaient une morphologie humaine avec les mêmes composites végétaux si caractéristiques. Enro constata toutefois qu’il pouvait distinguer les hommes des femmes. Bien qu’ils fussent vêtus dans leur plus simple appareil il ne pouvait discerner la présence d’organes reproducteurs. L’Arbre Clair était leur Mère à tous.
Enro n’avait que trop conscience qu’il venait d’assister à la naissance d’une nouvelle race.
Chapitre III
Le fruit pourri
Des années étaient passées depuis l’évènement qu’Enro avait décidé d’appeler la Naissance. Il les avait passées à essayer d’en apprendre plus sur eux et surtout sur ce fameux Rêve. S’il arrivait à comprendre son fonctionnement, cela révolutionnerait le monde. Imaginez donc, les enfants Asuras pourraient accéder dès leur naissance à une connaissance sélectionnée au préalable par les plus grands esprits. Ce serait l’assurance de n’avoir que des générations de génies.
Ces êtres s’appelaient eux-mêmes les Sylvaris. Ce que ça signifiait Enro n’en savait rien et il n’en avait cure. Il s’était davantage concentré sur leur philosophie. Pendant le rêve, les préceptes de la Tablette de Ventari leur avaient été inculqués et aucun d’entre eux ne les avaient jamais remis en question. De plus, ce qui étonnait Enro au plus haut point était le fait que, bien qu’ils aient tous été connectés au Rêve de la même façon, ils n’avaient pas expérimenté les mêmes choses, et ils étaient tous les douze des êtres uniques.
Très vite les Sylvaris s’étaient organisés. Quatre d’entre eux étaient devenus des Sommités avec chacun un rôle prédéfini. Aife était une fine diplomate et agissait par conséquent comme une intermédiaire dans les conflits qu’ils soient internes ou externes. Malomedies aurait pu naître Asura, il avait un sens scientifique hors du commun. Niamh était à l’aise au maniement de toute sorte d’armes et avait un tempérament de guerrière, c’était elle qui protégeait le territoire Sylvari. Kahedins avait une générosité et une tolérance à toute épreuve ce qui la désignait pour s’occuper des futures générations de Sylvaris. Caithe et Faolain quant à elles avaient été les premières à s’éloigner de l’arbre, elles étaient les plus indépendantes. Quelques années après la Naissance elles avaient entrepris ensemble un voyage en Tyrie. Dagonet était la Sylvari dont Enro se sentait le plus proche, elle aurait fait une parfaite recrue pour l’Université de la Synergétique. Ils avaient beaucoup collaboré dans leur étude du Rêve et, grâce à Dagonet, Enro avait pu savoir exactement ce que chacun avait vécu dans le Rêve. Aucun des autres ne se serait confié à lui. Trahearne était le Sylvari dont il se méfiait le plus, il avait un goût prononcé pour les sciences occultes qui indisposait Enro.
Malheureusement l’un des Premiers-Nés – c’était le nom qu’ils se donnaient – était mort. Il s’appelait Riannoc et était mort mystérieusement. Personne ne connaissait les circonstances de sa mort et pourtant Enro n’avait pu s’empêcher de constater qu’elle les avait tous considérablement atteint. Bien qu’ils ne partageaient plus le Rêve, ils étaient encore liés entre eux et à l’Arbre Clair. Dagonet avait avoué à Enro qu’elle ressentait les émotions des Sylvaris proches d’elle, bien qu’elle ne puisse pas en connaître la cause.
Enro avait fait de grands pas dans sa compréhension du Rêve, et les plans de fabrication d’une machine commençaient à consteller ses pages de notes. Il savait que, même s’il lui restait bien des choses à comprendre ce serait un projet qu’il mènerait à son terme.
Un jour cependant eut lieu le plus important évènement de ces dernières années. Les Premiers-Nés avaient attendu la seconde génération pendant très longtemps, à tel point que certains avaient commencé à se demander s’il elle viendrait un jour. Toutefois, aujourd’hui leur patience avait porté ses fruits, c’était vraiment le cas de le dire. Enro ne s’était pas accordé le droit d’y assister, cette génération devait être accueillie par ses aînés, et de toute façon il ne pensait pas qu’on l’aurait laissé faire s’il avait essayé. Il faisait de son mieux pour être le plus discret possible. Les Sylvaris étaient une race jeune et elle devait faire ses propres expériences, le vécu de sa race aurait pu les influencer et il ne le souhaitait pas.
Cette génération-ci n’avait pas vu le jour dans la Chambre d’Omphalos, elle avait vu le jour au niveau supérieur : le Bosquet, la fameuse base qu’il avait mis tant de temps à explorer. De plus ils étaient des centaines à voir le jour, la Naissance n’était d’ailleurs toujours pas finie, elle durait depuis des heures. Mais ce n’était pas ce qui préoccupait le plus Enro, cette Naissance aurait dû être l’occasion d’une liesse générale et pourtant il trouvait les Premiers-Nés étrangement réservés. Il allait justement interroger Dagonet à ce propos.
« Bonjour Dagonet.
- Bonjour Enro, quel bon vent t’amène ? demanda-t-elle en relevant le nez de ses écrits.
- Eh bien, hésita Enro. Je ne sais pas si je fais bien de te poser la question mais… je n’ai pas pu m’empêcher de constater un certain malaise. Y aurait-il un problème avec la Seconde Génération ?
- Je ne devrais sans doute pas t’en parler, dit Dagonet en se levant et en se rapprochant de la fenêtre. Toutefois tu connais mieux le Rêve que n’importe quel Sylvari à part moi. Après un long silence, elle reprit. Cette génération ne partage pas le même lien que nous avons avec l’Arbre Clair. De plus ils sont presque étrangers aux préceptes de Ventari. Le premier d’entre eux surtout, Cadeyrn. Il s’est enorgueilli d’être né en premier parce qu’il était spécial, que l’Arbre Clair avait dû vouloir le voir en premier. Quand nous lui avons dit que nous l’avions devancé, il a été… mal à l’aise. Je ne trouve pas d’autre mot pour décrire sa réaction.
- Tu as fait ta première expérience avec la jalousie, lui dit Enro en souriant. Il a réagit de cette manière parce qu’il voulait être le premier, et il est jaloux de vous parce qu’il ne l’a pas été et vous si. Il fallait bien que le premier Sylvari imparfait voit le jour non ?
- Peut-être… Dagonet n’avait pas l’air convaincue. Néanmoins je ne peux pas m’empêcher de penser que ce n’est pas très compatible avec les préceptes de Ventari, et le fait que ces derniers leurs soit si étrangers ne me rassure pas. Sur ce il faut que j’étudie les visions qu’ils ont eu dans le Rêve. »
Enro prit congé de son hôte. Il avait souri à Dagonet pour éviter de l’inquiéter davantage, néanmoins elle avait raison sur deux points : le premier était que ce n’était pas une bonne nouvelle, et le deuxième était qu’il connaissait mieux le rêve qu’aucun Sylvari. Mais là où elle se trompait, c’était qu’il en savait encore plus qu’elle.
Au fil de ses recherches sur le Rêve il avait compris comment l’Arbre Clair s’en servait. Le lien entre lui et les Sylvaris n’était pas absolu, seuls atteignaient l’Arbre les souvenirs et les émotions très vifs ou particulièrement importants. Par exemple, le souvenir de s’être levé un jour n’atteignait pas l’Arbre, par contre une première bataille le faisait certainement. Pour maintenir le Rêve et la philosophie des Sylvaris, il fallait qu’une majorité des informations perçues par l’Arbre soient des données positives ou au moins neutres. La colère, la peur, ou même la jalousie auraient tôt fait de transformer le Rêve en Cauchemar. C’était justement le défaut qu’il avait cherché à éradiquer dans ses recherches. Des centaines de Sylvaris étaient nés, il espérait que la majorité serait comme les Premiers-Nés. Il faudrait surveiller ça de près.
*
Quelques années passèrent sans que ne survienne aucune raison de s’inquiéter. Ces années permirent aux Premiers-Nés d’inculquer les valeurs de Ventari à la nouvelle génération. La Seconde Génération avait été découpée en quatre Cycles selon le moment de leur Naissance. Chacun des quatre Cycles était dirigé par une Sommité.
Le Cycle de l’Aube était constitué des Sylvaris nés entre minuit et six heures du matin, ces Sylvaris semblaient avoir une plus grande disposition que les autres pour la diplomatie. Par conséquent la Sommité responsable de ce Cycle était Aife, qui avait une grande expérience du monde extérieur et dont les compétences diplomatiques et politiques n’étaient plus à prouver.
Le Cycle du Jour était quant à lui composé des Sylvaris nés entre six heures et midi. Ces sylvaris avaient des prédispositions pour les activités physiques et leur tempérament allait de paire. Ils préféraient l’action à la parlotte. Dès lors, qui de mieux placé y aurait-il eu pour les diriger que Niamh ?
Les Sylvaris du Cycle du Crépuscule étaient ceux nés entre midi et dix-huit heures. C’étaient des intellectuels. Enro les appréciait tout particulièrement, car ils étaient toujours en quête d’un bon débat philosophique. Kahedins étant en charge des nouveau-nés, elle les aidait à comprendre leurs visions du Rêve. Cela lui avait permis d’acquérir une grande compréhension de sa race et c’était donc elle qui servait de guide à ce Cycle.
Les membres du dernier Cycle, celui de la Nuit, étaient ceux qu’Enro connaissait le moins. Ils étaient beaucoup plus solitaires que les autres et ne recherchaient pas la compagnie, on pourrait même dire qu’ils la fuyaient. La Sommité Malomedies était responsable de ce Cycle.
Cadeyrn faisait partie du Cycle du Jour et passait le plus clair de son temps avec Niamh à chasser et protéger son peuple. C’était une très bonne chose, Cadeyrn se défoulait et Niamh le canalisait. Les tribus Krait locales commençaient à se rapprocher dangereusement du Bosquet et cela inquiétait Niamh, par conséquent Enro ne les avait pas beaucoup vu ces derniers temps. Il ne voyait plus beaucoup Malomedies non plus, il avait pris l’habitude d’aller se promener loin dans l’Ouest.
Les Sylvaris qui étaient partis visiter le monde avaient fait passer le mot qu’une nouvelle race avait fait son apparition en Tyrie. On commençait à voir apparaître des humains qui venaient en visite, au plus grand plaisir d’Aife et des membres du Cycle du Jour qui s’en donnaient à cœur joie en diplomatie. Ils avaient aussi vu passer un Norn, qui était vite parti. Le manque de boisson alcoolisée avait dû avoir raison de sa curiosité. Quelques Charrs étaient également venus pointer le bout de leurs mufles et museaux mais n’avaient que peu adhéré à la philosophie Sylvaris. Aucun Asura, mis à part Enro bien sûr, n’était venu. Enro n’en était que peu surpris, les histoires des autres races n’intéressaient pas son peuple. De plus, à sa connaissance aucun Sylvari n’était allé à Rata Sum.
On peut donc dire que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Aussi ce qu’il vit en allant voir Dagonet eu l’effet d’une douche froide. Malomedies était étendu par terre, mais des cicatrices étaient clairement visibles sur tout son corps et, en y regardant de plus près, Enro vit qu’un certain nombre d’éléments végétaux dans sa coiffure étaient brisés, que l’une de ses jambes était desséchée et le plus horrifiant restait encore les milliers de trous qui parsemaient son torse.
Kahedins était à ses côtés ainsi qu’un soigneur et un grand groupe de Sylvaris. En s’approchant Enro entendit Niamh demander s’il allait mourir comme Riannoc.
« La Mère dit qu’il vivra, murmura Kahedins.
- Nous devons tous les tuer ! S’emporta Cadeyrn.
- Les Asura nous ont offert la paix. Ils n’avaient pas réalisé qu’il était… Ils pensaient qu’il n’était qu’une autre de ces étranges plantes des profondeurs de Maguuma, qui imite la conscience, leur dit Aife. Quand ils ont réalisé qu’il était réellement conscient, ils nous l’ont ramené.
- Ce n’est pas assez ! Comment Malomedies trouvera-il la paix s’il n’est pas vengé ?
- La vengeance? La vengeance n’est pas notre voie. N’as-tu pas étudié les Tablettes de Ventari? Alors que le Second-Né baissait la tête sans perdre de sa belligérance, Kahedins lui fit la leçon. Il est écrit : « Seule la paix de l'âme est véritablement éternelle. ». Tu devrais méditer là-dessus, Cadeyrn, et réfléchir à son sens. »
Peu importe ce que Kahedins disait, Cadeyrn n’approuvait pas. Il cherchait visiblement le soutien de Trahearne, mais ce dernier leva la tête en direction de la frondaison de l’Arbre Clair.
« Oui Mère, répondit-il dans un chuchotement que lui seul pouvait entendre. Chagriné, le nécromancien desserra ses poings. L’Arbre Pâle dit que nous devons nous concentrer sur notre véritable ennemi : les Dragons. Tous les alliés seront nécessaires. Serrant les dents, Trahearne termina. Nous faisons la paix avec les Asuras.
- Comme la Mère le souhaite… finit par dire Cadeyrn. »
Cadeyrn se retourna pour partir et aperçut Enro. En passant à côté de lui il dit : « Ta race nous le paiera, tôt ou tard. » Personne n’était assez près pour entendre et de toute façon il n’était pas sûr que quiconque serait intervenu.
Chapitre IV
La désillusion
Si auparavant Enro s’était fait discret, maintenant il tâchait de se faire transparent. Heureusement Malomedies avait survécu, si ça n’avait pas été le cas il aurait quitté le Bosquet immédiatement. Néanmoins Malomedies garderait des séquelles de sa rencontre avec son peuple pour le restant de ses jours. Enro maudissait les Asuras qui avaient bien pu faire ça et pourtant il ne pouvait cesser de se demander s’il aurait agi différemment. La doctrine de son peuple les poussait à innover constamment, à tout analyser, cependant des fois cela pouvait se faire en dépit du bon sens et des risques. Combien d’Asura étaient morts dans des expériences ratées ? Ausculter, analyser, inventer, créer, produire d’abord réfléchir ensuite aurait pu être la devise de bon nombre de ses compatriotes.
Enro s’inquiétait pour le Rêve, cette expérience n’avait rien apporté de bon. Il n’avait pas besoin d’être connecté au Rêve pour le savoir. Si pour l’instant les Premiers-Nés et l’Arbre Clair continuaient de contrôler les évènements il se demandait combien de temps cela allait bien pouvoir durer. La vision d’horreur du corps mutilé, brisé, de Malomedies avait dû atteindre l’Arbre Clair à chaque fois qu’un Sylvari avait posé le regard dessus. Combien de temps avant qu’un accident similaire ne se reproduise ? Maintenir l’équilibre était une priorité, une nécessité, mais plus le temps passait plus Enro se disait qu’un évènement viendrait forcément perturber cet équilibre, si ce n’était pas déjà fait.
*
Quelques années de plus s’écoulèrent, la troisième génération de Sylvaris avait vu le jour. Elle était constituée de milliers de Sylvaris. Enro ne doutait pas une seule seconde qu’ils étaient plus nombreux que son propre peuple, ils devaient avoir une démographie à peu près similaire à celle des humains. Pour l’instant l’équilibre semblait se maintenir.
Les plans de sa machine étaient presque terminés, seuls manquaient encore quelques petites finitions. Enro était justement sur le chemin de la maison de Dagonet pour l’entretenir de certains détails techniques lorsqu’il aperçut Caithe qui entrait chez cette dernière. En approchant de la maison, il se dit que faire son entrée n’était peut-être pas une bonne idée. En effet Caithe n’était sûrement pas encore au courant de ce qui était arrivé à Malomedies, elle devait être rentrée depuis peu sinon il l’aurait su. Ne sachant pas comment elle allait réagir, il allait faire demi-tour lorsqu’il entendit quelque chose qui retint toute son attention.
« Et qu’a fait Cadeyrn ensuite ? demande Dagonet.
- Il est parti, répondit Caithe. Il a clamé haut et fort : « Nous ne sommes ni des centaures, ni des humains. Détruisons la tablette, et nous verrons ce que signifie vraiment être Sylvari. » Pour lui Ronan et Ventari ont perverti le Rêve et nous ont détournés de notre véritable nature.
- C’est stupide, répondit Dagonet après avoir marqué un temps d’hésitation. Il reviendra vite à la raison quand il verra qu’il est le seul à vouloir emprunter cette voie.
- Caithe mis plusieurs secondes à répondre. Détrompe-toi… Plusieurs dizaines des nôtres l’on suivit.
- Comment ? Qui sont les imbéciles qui ont bien pu croire ces sornettes ?
- La plupart sont des Troisièmes-Nés, seulement une poignée de Seconds-Nés l’ont suivit. La majorité est du Cycle du Jour et un nombre non négligeable appartient au Cycle de la Nuit…
- Dagonet garde le silence un moment. Allons voir Aife, elle ira leur parler. Elle saura quoi leur dire.
- Ce n’est pas tout, sanglota Caithe. Au son de sa voix Enro ne s’attendait pas à ce qu’elle puisse articuler quoi que ce soit.
- Qu’est-ce qu’il y a ? Prends ton temps.
- Faolain est partie avec lui aussi, lâcha finalement Caithe en hoquetant.
- … Je vois, nous devrions… »
S’en était trop. Cela ne concernait pas Enro qui partit en courant. C’était finalement arrivé ! L’équilibre venait de s’effondrer sous les applaudissements à peine contenus des plus stupides. Si les Asuras avaient porté le premier coup, ces Sylvaris venaient de s’asseoir nonchalamment sur le Rêve. Rien ne serait plus jamais comme avant.
Epilogue
Enro était resté au Bosquet le temps de finir son invention. Suffisamment longtemps pour assister à la fondation de la Cour des Cauchemars par Cadeyrn. Son désir de détruire la Tablette de Ventari avait dégénéré, et il ne souhaitait plus qu’embrasser les Ténèbres, acceptant, attisant même, la part la plus sombre de son âme. Cadeyrn et sa clique perpétraient des atrocités autant à l’encontre de ses frères et sœurs que des autres races dans le but avoué que s’ils arrivaient à suffisamment inonder le Rêve de visions d’horreur, la balance pencherait de leur côté. Ils espéraient que l’Arbre Clair prendrait leur parti, perverti par leurs souvenirs et leurs émotions saturant le Rêve, et qu’ainsi les Sylvaris choisiraient de s’émanciper des préceptes de Ventari et détruiraient la Tablette.
Enro avait décidé de partir le jour où il avait vu revenir un Sylvari du Cycle du Crépuscule au Bosquet. Il avait été torturé, brisé dans son corps aussi bien que dans son âme. Enro connaissait ce Sylvari pour avoir régulièrement pris plaisir à débattre avec lui. Les paroles de Dagonet lorsqu’il lui avait annoncé son départ résonnerait dans son esprit pour l’éternité :
« Un vrai Sylvari devrait avoir deux cœurs : le premier aussi doux et souple que de la cire chaude, le second aussi dur et impénétrable que du diamant. Le premier, il devrait le montrer à ses compagnons, le second, à ses ennemis. Malheureux est celui pour qui les deux ne forment qu’un. »
Pendant longtemps Enro, bien qu’il ne soit pas Sylvari, avait craint de ne plus jamais pouvoir dissocier ces deux parties de son cœur. Cette expérience l’avait rendu amère. Il avait assisté à la naissance de la race la plus pure, la plus parfaite qu’il lui avait été donné de rencontrer. Et c’étaient les siens, son propre peuple, qui par inadvertance, avaient posé la base de ce qui allait permettre à un seul Sylvari de tout détruire.
Enro ne retourna jamais à Rata Sum, pas plus qu’il ne chercha la compagnie des siens. Il voyageait encore de par le monde bien après la chute du dernier Dragon. Ce n’est que le jour où il rencontra Cassia qu’il pu enfin retrouver la paix. Il avait conservé avec lui les plans de sa machine, bien que sans jamais entreprendre de la créer. Il ne les brula que le jour où leur premier enfant, Gogemeera, naquit. Ce n’était pas un moyen d’éducation viable, les enfants devaient faire leurs propres expériences, leurs propres choix, leurs propres erreurs, apprendre par eux-mêmes. Leur inculquer des connaissances, des principes, des valeurs qui ne leur étaient rien ce n’était pas sain.
*
Enro éteignit sa pipe, la posa sur son livre fermé, et alla se coucher. Non cette histoire ne leur était définitivement pas destinée.
Jean-Cristophe M