Édito : Comment les éditeurs poussent au Piratage malgré eux
Pour ce second éditorial je vais aborder un sujet très à la mode depuis déjà quelques années, et qui ne manque jamais de déchaîner les passions : le piratage. Je ne compte cependant pas en faire ici l'apologie ni la critique, je vais plutôt pointer du doigt une grande quantité d'erreurs, de maladresses, de négligences, et de politiques commerciales malavisées des éditeurs et des studios de développement qui n'ont pas dû manquer de pousser de nombreux joueurs à pirater leurs jeux plutôt qu'à les acquérir légalement. D'après moi les problèmes de l'industrie du jeu vidéo, et des jeux en eux-même sont les suivants :
...un manque de contenu et d'originalité
Dans mon cas les "nouveaux" jeux ont perdu beaucoup du lustre qu'ils possédaient lorsque j'étais enfant où adolescent, peut être est ce dû à la prise d'âge, ou la faute en incombe à la lassitude qui suit l'exploration de centaines de jeux. Cela pourrait être aussi parce que je joue beaucoup plus qu'avant, et qu'à l'époque il me fallait des mois pour terminer certains jeux, alors qu'à présent en un jour ou deux la question est souvent réglée.
Sans vouloir tomber dans les travers négatifs consistant à dire que "les jeux étaient mieux avant" ou que "l'industrie du jeux vidéo est en crise", il reste certain que cette dernière décennie le milieu a significativement grossi et évolué, du moins en terme d’audience et de volume. Le jeux vidéo sont désormais un plus gros marché que celui du cinéma, cependant les jeux vraiment originaux sont devenus bien rares, et les suites s'enchaînent et se ressemblent. Pire encore, comme j'en ai déjà parlé dans un article précédent, la durée de vie moyenne des jeux s'est drastiquement réduite, au point que 10 heures est le temps requis en général pour venir à bout d'un titre, ce qui est très peu. On peut comprendre qu'un certain nombre de joueurs rebutent à mettre la main au porte monnaie pour un titre générique qui ne brille ni par son originalité, ni par son gameplay, ni par sa durée de vie.
En ce sens on pourrait considérer que l’essor du piratage suit l'évolution des modes de consommation et la "casualisation" de beaucoup de jeux. Le contenu proposé par les jeux, et le modèle économique qui les accompagne ne correspond donc peut être plus aux attentes de nombreux joueurs potentiels, qui de fait ne se sentent pas poussés moralement à les acheter. Vu sous cet angle le piratage est donc la réponse de nombreux joueurs souhaitant jouer sans grande conviction à un jeu quelconque durant les quelques heures de contenu qu'il propose, avant de passer au suivant.
Il est plus sûr de sortir des suites basées sur un concept éprouvé que de tenter de miser sur l'originalité ou la qualité d'un nouveau titre.
...la difficulté de l'installation
Ce point n'est plus trop d'actualité à ma connaissance, cependant je tenais à le lister dans un soucis d'exhaustivité relative. J'ai été occasionnellement choqué par le passé par la difficulté ridicule pour installer et lancer certains jeux. C'était en particulier vrai pour certains titres de THQ comme Dawn of War 2 qui demandait une inscription et une connexion supplémentaire à l'horripilant Games for Windows Live, même chose pour GTA IV qui demandait en plus un compte Rockstar et d'autres procédures assez obscures pour finalement pouvoir jouer (à un jeu buggé sur PC, pour couronner le tout).
On se souviendra aussi des très nombreux scandales provoqués par les disques protégés par les DRM qui empêchaient leur lecture sur de nombreux ordinateurs, ce qui empêchait complétement d'honnêtes joueurs d'installer le jeu et de le lancer.
Vous n'êtes peut être pas familier du sujet, mais la majorité des jeux piratés sont devenus très faciles à installer et à "cracker" ces dernières années, dans ces conditions il aurait été parfaitement ridicule que des utilisateurs payant le jeu une petite fortune (60 euros pour GTA IV à l'époque) aient à suer autant, voire davantage que quelqu'un n'ayant rien payé et devant contourner les mesures de sécurité prises par l'éditeur. Heureusement ce problème a été au moins en partie réglé avec l'arrivée des plateformes de distribution de jeu, cela fait au moins un bon point pour les éditeurs.
...la multiplicité des plateformes de distribution de jeu
Je ne souhaite pas devenir l'avocat de Steam, qui fut la première véritable plateforme de distribution de jeux en ligne, mais il faut avouer qu'il est bien pratique et bien pensé, et que de fait son succès est mérité. Cependant ce succès n'a pas manqué de donner l'envie d'une part du gâteau aux éditeurs, et alors qu'une seule plateforme centralisant tous les jeux aurait été parfaite (sur PC), on peut se retrouver avec trois clients ou davantage, avec Origin et Uplay par exemple, qui sont malheureusement de pâles copies de l'original. Devoir chercher où sont ses jeux, et avoir besoin de multiples comptes, autant de connexions et de mises à jour n'est clairement pas quelque chose d'attrayant. D'autant que leur installation et leur utilisation est généralement obligatoire. Je ne remet pas en question l'intérêt d'une bibliothèque de jeu en ligne qui offre des avantages significatifs comme la possibilité de télécharger vos jeux de n'importe où, ou encore le stockage des sauvegardes sur le Cloud, cependant dans certains cas leur efficacité est plus que douteuse, avec par exemple des synchronisation de sauvegarde de plus de deux minutes avant et après chaque partie sur le même ordinateur, et l'indisponibilité complète de mes sauvegardes suite à l'impossibilité de se synchroniser avec leur serveur en ligne (problème rencontré avec Uplay et Shades of Darkness il n'y a pas plus de quelques jours).
...les DRM Online
Voici sans contestation possible un des éléments les plus répulsifs pour les joueurs. Les infâmes DRM Online forçant les joueurs à être connectés en permanence pour pouvoir jouer, même en solo, à un jeu fondamentalement conçu pour le jeu solo. Si il y a quelques années cet élément passait encore relativement inaperçu, les fantastiques échecs (au moins en terme d'image et de popularité) de Diablo III et de Sim City 5 ont massivement poussé l'opinion des joueurs contre cette pratique, et non sans raisons. Outre la nécessité d'avoir une connexion à internet, qui n'est pas forcement quelque chose d'aussi assuré qu'on veut bien le croire (les gens qui déménagent ou subissent les déboires de leur opérateur savent de quoi je parle), à laquelle s'ajoute les problèmes de déconnexion et de latence (parce que tout le monde n'a pas la fibre ni le monopole de sa box). Ces jeux très populaires ont en commun un lancement totalement calamiteux. La faute en incombant clairement à l'éditeur n'ayant pas pu, ou pas voulu préparer des infrastructures adaptées pour absorber la vague titanesque de joueurs qui allaient affluer, et qui était totalement prévisible contrairement à ce qu'ils ont le culot d'avancer comme excuse.
Quand un message d'erreur devient le symbole de votre jeu, c'est qu'il y a un sérieux problème.
Les joueurs se retrouvent donc dans l'incapacité presque totale de jouer les premiers jours voire les premières semaines, avec l'impossibilité de se connecter (erreur 37, mon amie), des files d'attente gargantuesques, du lag et des déconnexions. Ironiquement les éditeurs auxquels la langue de bois n'est pas un concept étranger ont avancé la même excuse pour justifier le mode DRM Online, en prétendant que ce n'est pas pour lutter contre le piratage, mais pour offrir des services et du contenu de la meilleure qualité possible aux joueurs. Le résultat étant évidemment l'exact opposé comme mentionné plus haut. Le geste commercial d'EA qui s'en est suivi, c'est-à-dire offrir un jeu gratuit aux joueurs spoliés par le lancement calamiteux de Sim City laisse cependant espérer que cette fois le message est passé (à défaut d'avoir rendu le jeu disponible hors connexion, quitte à mentir pour couper court aux demandes des joueurs).
...le prix, les bonus et les DLC
Il va de soit que le prix d'un jeux est le premier élément susceptible de pousser un joueur potentiel à se tourner vers le piratage. Une grande partie des joueurs étant jeunes ou très jeunes, ces derniers ne disposent que de moyens limités, et le public adulte n'est pas forcement épargné en temps de crise. Je ne nie pas que les coûts de développement faramineux d'un jeu doivent être amortis, cependant payer 60 euros pour quatre heures de jeu (Crysis 3) cela fait cher, comme j'en ai parlé précédemment. Plus le prix est élevé plus les joueurs sont susceptibles de pirater de fait, ce qui explique aussi en parallèle le succès de nombreuses petites productions au prix réduit comme Faster Than Light dont je parlais l'autre jour, alors qu'ils ne disposent d'aucune protection contre le piratage (ni clé, ni DRM online). Ce qui prouve bien que le problème ne se trouve pas là où on veut nous le faire croire.
Assez ironiquement encore une fois, en voulant trouver une solution au problème du piratage, les éditeurs ont créé une nouvelle raison de pirater en introduisant les maintenant classiques bonus de précommande, éditions collector, et les différents bonus propres à chaque enseigne. En proposant aux joueurs "d'acheter" le jeu avant même de voir ce qu'il vaut, et en proposant des éléments spécifiques séparés du jeu "de base" ils espéraient probablement pousser les joueurs à se tourner vers la version légale.
Forcer les joueurs à choisir ou acheter leur jeu n'était pas forcement très inspiré, ce n'est pas Pokemon avec ses cartouches de couleur !
Cependant quand on y réfléchit un peu, on se rend vite compte à quel point cette logique est terriblement bancale : Prenons un jeu de base à 50 euros en précommande, avec trois grandes enseignes (comme Amazon, la Fnac et Micromania en France) disposant chacune d'un bonus de contenu distinct (parfois des skins, parfois des armes voire une mission spéciale), ajoutez à cela l'édition collector qui dispose en général de contenu exclusif elle aussi, et dont la moyenne de prix est de 90 euros. Un grand fan de la licence doit donc acheter une édition collector (90 euros) auprès d'une enseigne, et une édition "normale" (à 50 euros) auprès de chacun des deux autres revendeurs, soit potentiellement 190 euros pour avoir tous les bonus possibles, ce qui est proprement absurde. Et je ne parle même pas des bonus attribués en cas de possession de certains autres jeux du même éditeur (l'armure Blood Dragon de Mass Effect 2 liée à Dragon Age par exemple), dans ce cas le prix peut exploser exponentiellement. L'alternative est de partir à la chasse aux codes de déblocage de contenu (forums, ebay, amis), ou alors de prendre la version piratée qui comprend régulièrement l'intégralité de ces bonus, gratuitement, en un seul pack.
Pour en finir sur ce point, n'oublions évidemment pas les décriés DLC (DownLoadable Content), dont le prix et la qualité varient très fortement d'un éditeur et d'un jeu à l'autre. Quand vous en avez après quelques mois pour un supplément de quarante ou cinquante euros de DLC afin d'avoir un jeu "complet" en plus du prix du jeu acheté dès sa sortie, il y a de quoi décourager plus d'une personne un minimum attachée au contenu de son portefeuille. Pour couronner le tout, les DLC ont la fâcheuse tendance à ne pas voir leur prix diminuer individuellement (en dehors des promotions et des packs spéciaux), voir des DLC à 10 euros les deux heures de contenu pour un jeu à 10 ou 15 euros, ne semble pas bien logique.
Les blagues fusent déjà sur la manette de la prochaine Xbox
...la date de sortie
Cela va sembler assez ridicule, mais il arrive régulièrement que la version piratée d'un jeu soit disponible avant la version légale, comme ce fût le cas avec FarCry 3 Blood Dragon. Je ne vais pas jeter la pierre aux éditeurs sur ce point, dans la mesure où cela provient probablement d'une fuite interne ou dans le réseau de distribution des détaillants. Ils ont cependant une part de responsabilité dans la mesure où ils fixent une date de sortie officielle à leur jeu pour des raisons promotionnelles. Dans tous les cas, il ne fait aucun doute que de nombreux joueurs pressés n'hésitent pas à se jeter sur la version disponible la première.
Il semble que la direction de EA souhaite redorer son image, espérons que c'est bien le cas, tout le monde y gagnera.
...un sérieux déficit d'image
La liste des raisons participant au mécontentement des joueurs est donc particulièrement étoffée, et il ne fait aucun doute que la combinaison de certains ces éléments ait très sérieusement nuit à l'image de certains éditeurs, comme Electronic Arts qui a eu l'honneur douteux d'être élu pour la seconde année consécutive pire entreprise des États-Unis (Poo award). De la même façon Blizzard qui a été considéré pendant longtemps comme le studio le plus populaire a vu son image se détériorer sérieusement ces dernières année, du moins quand ce n'est pas Activision qui prend le blâme. Que les rancœurs des joueurs soient justifiées ou pas, il semble cependant évident que cela influe très fortement sur la propension des joueurs à acheter ou à pirater un jeu encore une fois. Éprouver une certaine affection et une certaine loyauté vis à vis d'un studio et de ses jeux poussera davantage un joueur à sortir la carte bleue pour acheter leurs jeux, plutôt que d'aller sur The Pirate Bay en ricanant devant le petit coup de canif porté à l'éditeur honni.
...pour conclure
Bien que cela soit surtout les major du disque et Hollywood qui soient aux premiers rangs des supporters des mesures répressives contre le piratage, les éditeurs font partie du lot (avec feu SOPA par exemple soutenu par EA encore une fois) et il semble qu'encore aujourd'hui de nombreuses entreprises peinent à comprendre que des mesures préventives en amont sont nécessaires. En repensant leurs modèles commerciaux, et en se mettant à la place des joueurs afin de savoir ce que ces derniers attendent, et ce qui les pousserait vraiment à acheter leurs jeux. Plutôt que de chercher à rentabiliser leurs jeux comme s'il n'y avait pas de lendemain. On pourrait par exemple citer un mode multijoueur digne de ce nom (contrairement à Mass Effect 3), ou du contenu gratuit régulier entre autres. Parmi les solutions pour attirer les joueurs vers les versions légales ne se trouvent certainement pas l'accès et la promotion des réseaux sociaux qui sont de plus en plus mis en avant, y compris avec la prochaine génération de consoles. Je concluerais ici en disant qu'au final on pourrait synthétiser le problème du piratage par le fait que trop souvent les versions légales ne possèdent pas ou peu d'arguments en leur faveur par rapport aux la version piratées. Je tenais cependant à préciser que le piratage n'est pas forcement aussi nuisible qu'on pourrait le penser, mais c'est un sujet que j'aborderais peut-être une autre fois. Et vous, qu'en pensez-vous ? Qu'est ce qui pousserait à pirater un jeu ou au contraire à l'obtenir légalement ?