Imaginez, un instant, que vous venez de découvrir League of Legends et que vous n'avez jamais regardé de partie compétitive. Imaginez que la Faille vous est totalement inconnue. Que les positions, les rôles, ou même les stratégies les plus basiques vous échappent complètement. Dans cette situation, comment pourriez-vous savoir que les ADCs sont traditionnellement joués au bot ?
En réalité, c'est au contact des anciens que les nouveaux joueurs découvrent et commencent à appliquer cette règle. Il deviennent familier avec la meta (ou le metagame, si vous voulez être pointilleux) au fil des parties, et on leur enseigne tacitement la répartition des champions, les rôles où ils peuvent être joués.
Si on le réduit à sa fonction primaire, le rôle de l'ADC est plutôt simple : infliger des dégâts continus pour détruire les tourelles et les objectifs. Le problème, c'est que c'est aussi la classe de champion la plus fragile du jeu. Pour cette raison, on l'associe traditionnellement avec des Enchanteurs et des Tanks en support, et deux arguments plus ou moins solides viennent justifier leur présence en botlane.
D'une part, la botlane — ou plus généralement les sidelane — est plus facile à warder et offre des positions pour freeze les minions en toute sécurité. C'est censé assurer aux ADCs une phase de lane confortable, où ils peuvent farmer, et où ils sont moins susceptibles d'être vulnérables à un gank du jungler ennemi. D'autre part, leur présence est requise pour assurer la contestation du Dragon dans en early/mid game. D'ailleurs, aux premières heures de League, la stratégie la plus classique consistait à push la botlane pour sécuriser les Dragons, puis d'échanger le toplaner et la duolane de position pour répéter le processus avec le Nashor.
Cette meta, résultat de l'alpha/beta ainsi que de l'héritage de DotA, est encore profondément ancrée dans la mentalité des joueurs de LoL aujourd'hui — alors même qu'elle a connu de très nombreux changements au fil des années. On a vu émerger la meta 2v1 (où la botlane et la toplane swapait pour neutraliser un matchup désavantageux et potentiellement assurer la première tourelle du jeu), la meta 4v0 (où on envoyait 4 joueurs pourrir la tourelle bot ou top dès le début de la partie pour ouvrir la carte et s'assurer un avantage au gold) — et au final l'ADC s'est pas mal baladé dans la Faille.
Pourtant, dès 2016, Riot a commencé à patcher dans tous les sens pour neutraliser toutes ces meta éphémères. Le Buff de Fortification a été retiré de tourelles bot, rendant le snowball plus aisé, tt les ADCs ont retrouvé leur place dans le bas de la map. Plus ou moins.
Le cas des ADC mid/supp/jgle/top
aka j'ai la tronche d'un ADC, je fais presque tout comme un ADC... mais j'suis pas vraiment un ADC tu vois.
En fait, l'idée selon laquelle les ADCs se limitent à la botlane est un bon gros mythe. Ou tout du moins, ça n'a jamais été aussi vrai aujourd'hui.
On retrouve des ADCs absolument partout : Vayne en top, Tristana et Lucian au mid, Twitch en Jungle ou Support — ça arrive même de voir apparaître des Ezreal Jungle ou Support d'une meta à l'autre. Car League of Legends est un jeu en constante évolution et, s'il existe bien une sorte de "meta traditionnelle" dans laquelle les ADCs se jouent uniquement au bot, nombreux sont les joueurs qui s'en sont affranchis au fil des années. Combien de duo botlane atypiques ont vu le jour au fil des dernières années ? Nocturne/Fiddlesticks, Swain/Viktor, Anivia/Poppy — aujourd'hui, il existe une infinité de combinaisons étranges, considérées le plus souvent comme du cheese, qui visent à braquer la lane comme on cambriolerait Fort Knox.
Par ailleurs, l'ajout du Hérault de la Faille, ainsi que l'introduction des Failles Elémentaires, ou plus généralement la complexification massive des kits de compétences de champion, sont venus clairement remettre en question les arguments justifiant la présence des ADCs en botlane. Plus encore, des innovations introduites par la scène compétitive, comme Fasting Senna, sont venus bouleverser les normes établies. Et justement, pour l'anecdote, le champion avec le plus haut winrate en tant qu'ADC n'est pas un ranger ou un tireur d'élite. A l'heure actuelle, en Platine+, il s'agit de Séraphine.
Et ça ne se limite pas à la scène professionnelle, puisqu'il est de moins en moins rare de voir un ADC choisir un mage en botlane tandis que son midlane pick un Assassin AD ou bien un ADC capable de survivre sur cette lane. En témoigne le winrate de Veigar ADC, en Platine+, supérieur à celui de Veigar mid... Au final, les ADCs ne sont plus vraiment isolés en botlane, et pourtant l'idée selon laquelle ils appartiennent à cette lane subsiste toujours, un peu comme un filet de secours quand la meta est soudainement devenue incompréhensible.
Mais pourquoi ?
Pourquoi est-ce que le fait d'envoyer les ADCs en botlane continue d'être un des piliers de la meta ?
Une généralisation tacite
C'est dans les endroits où on a le plus de liberté apparente qu'on en a finalement le moins. Et la Faille n'échappe pas à cette règle. Car, en réalité, rien — aucun mécanisme in-game en tout cas — ne vous empêche de jouer Teemo Jungle, Caitlyn Mid, ou n'importe quelle association folle qui vous passerait par l'esprit. Jamais Riot Games n'a précisé ou affirmé le fait que certains champions doivent se limiter à un ou plusieurs rôles.
En réalité, les joueurs de League ont créé eux-mêmes ces règles, en développant un appareil de codes tacites intimement liés avec la meta. Ca donne naissance à un cadre rassurant, une méthode passe-partout pour remporter la victoire, et qu'on peut résumer à une seule phrase : "les ADCs vont au bot". Or, bien que cette règle soit de moins en moins vraie chaque jour, force est de constater qu'elle est encore bien imprimée dans l'inconscient collectif — tout simplement parce qu'elle existe depuis des années, et que les nouveaux joueurs n'ont pas vraiment d'autre choix que d'embrayer le wagon face à la pression collective exercée par les vétérans.
Essayez, seulement, de pick un champion exotique, à n'importe quelle position, et vous verrez par vous-même les réactions de vos alliés. Le plus souvent, ça ping dans tous les sens, ca flame dans le chat, ça s'épanche en dérives toxiques jusqu'à plus soif. Il y a une norme, et pour beaucoup le fait de vouloir sortir du cadre qu'elles construisent fait de vous un hérétique.
Les nouveaux comme les anciens joueurs craignent l'inconnu, mais pour des raisons différentes. Face à un jeu dont ils ne connaissent rien, les noobies cherchent un cadre pour saisir l'inconnu et tenter de comprendre la Faille. Au contraire, les anciens s'en remettent à un modèle qu'ils pratiquent depuis des années, mais qui a le mérite de fonctionner dans les grandes lignes, au point de l'avoir pour beaucoup érigé en dogme. Et quand quelqu'un cherche à en sortir, pour quelque raison que ce soit, la plupart le condamneront plutôt que de lui accorder le bénéfice du doute.
Et finalement, c'est bien dommage. Parce que c'est précisément dans l'inconnu qu'on invente et qu'on innove.
Si les cadres sont bien sûr nécessaires pour faire l'apprentissage de n'importe quelle discipline, LoL y compris, ils finissent par devenir néfastes lorsqu'ils deviennent des dogmes. Parce qu'ils créent une méthode absolutiste, une sorte de dictature tacite et routinière, qui nuit à la créativité et à l'ingéniosité. C'est là, heureusement, que la scène professionnelle vient apporter son grain de sel — en démontrant au reste des joueurs qu'il existe des alternatives en dehors des frontières établies. Et ça ne date pas nécessairement d'hier, en témoigne la Miss Fortune Support des ROX Tigers lors des Worlds 2016...
Difficile, pourtant, de prédire aujourd'hui ce que sera la meta de demain. Et si, aujourd'hui on les retrouve partout, on imagine bien que les ADCs finiront toujours pas retourner en botlane — ne serait-ce que pour respecter la tradition.