Crédit Photo : Bruno Alvares for Ubisoft Brazil
19 novembre 2017. Quatre rounds à cinq, la finale de la sixième édition de Pro League va toucher à sa fin, en plein cœur d’une cité Paulistaine bondée par des Brésiliens en furie. Il reste 30 secondes à jouer entre les Nordiques d’Ence et les locaux de Black Dragons. Les kills s’enchaînent à un rythme frénétique. Julio sur Sha77e, Wag sur Kantoraketti... Les Brésiliens qui évoluent à domicile - et sont à un round de la défaite - restent tout de même proches d’accrocher la prolongation. Ils peuvent y croire, le public est derrière eux. Et puis, ils ont surtout une « équipe de Choke » pour opposant. Des Finlandais qui nous ont toujours gratifiés de déséquilibres mentaux au moment de conclure ce qui devait être leurs plus grandes réussites.
Cette fois-ci pourtant, la victoire ne peut plus s’esquiver. Un Willkey décidé, serein, en capitaine hors pair, fait tomber Kamikaze. Bounssi élimine Wag. Julio, dernier espoir de tout un peuple auriverde, ne peut éviter l’inévitable et tombe sous les ultimes rafales finnoises. Dans leur cage de verre, les Finlandais exultent. Bras en l’air, poings fermés, sous les crépitements des appareils photo, voilà Ence champion de Pro League. Eux-mêmes ne semblent pas y croire. Eux qui étaient venus sans pression, avec simplement la volonté de s’amuser, sont sur le toit du monde de Rainbow Six. La scène finnoise est à son apogée. Comme si Odin en personne l’avait décidé. Un véritable pied de nez à tous les détracteurs d’une nation mythique décriée - souvent à raison - pour ses résultats en offline. Les « netteux » qu’ils disaient.
Le centre de formation de G2 Esports
Pourtant, les signes avant-gardistes d’un tel succès étaient nombreux. La Finlande est une nation talentueuse sur la discipline esportive élaborée par Ubisoft. Peut-être même la meilleure, tout simplement. Avant de se ramasser lamentablement et de descendre en Challenger au terme d’une septième version de Pro League catastrophique pour la Suomen tasavalta, les Ence, autrefois nommés Gifu, s’étaient toujours hissés aux Finals dudit Championnat Mondial. Soit 6 finales européennes disputées coup sur coup, pour deux remportées. Le temps passe, on oublie certaines choses, mais comme leurs ancêtres Vikings, les Finnois ont bel et bien terrorisé l’Europe de Rainbow Six pendant plusieurs années.
Pour Elemzje, joueur en Pro League chez Team Secret, « le style de jeu finlandais est très agressif, de manière générale, mais toujours avec un teamplay derrière qui permet de le rendre encore plus fort. » Une tendance confirmée par autre joueur professionnel, Hicks, qui lui, évolue chez LeStream Esport :« Ils ont toujours joué un jeu qui tournait autour de grosses individualités en termes d’Aim. [Ce sont] des monstres de skill. »
Les premiers à déceler ce potentiel et à en profiter de façon excessive ont sans conteste été les G2 Esports. Déjà depuis leurs épopées sous la bannière de Penta Sports, dans les fondations de ce qui deviendra plus tard - et encore aujourd’hui - la meilleure équipe du jeu, se trouve un Finlandais. Joonas, trop à l’étroit chez Gifu courant 2016, avait décidé de s’ouvrir à ses voisins scandinaves. Fabian, Pengu, Joonas : « E que s’appelerio » la naissance d’un roster légendaire. Depuis, les actuels G2, en malins prédateurs, se sont toujours postés à la sortie du prospère vivier Fennoscandique. Histoire de se payer le nectar du pays aux 3000 lacs. Aka Sha77e, puis Kantoraketti, un peu plus tard, pour le remplacer.
Pour Fabian, le capitaine des G2, « beaucoup de joueurs de cette région sont très calmes, sereins, qu’importe ce qu’il se passe. Tu verras beaucoup de joueurs d’autres régions se lever et crier quand ils gagnent un quart de finale d’une Lan nationale sans importance, alors qu’au contraire tu peux voir beaucoup d’équipes nordiques qui ne se laissent pas emporter. » « Et puis Kanto c’est Kanto. Le deuxième meilleur joueur du monde, après moi. » Poursuit le Zlatan Ibrahimović de Rainbow Six.
Vers un label de qualité bleu et blanc ?
« La Finlande, comme la France, mais à une échelle un peu plus basse, a un pool de joueurs assez large. L’expérience et la constance d’un Gifu et d’un Ence, en terminant pendant de nombreuses saisons dans le Top 2 européen, ont prouvé que leurs joueurs avaient ce qu’il faut pour jouer au plus haut niveau, d’où l’intérêt d’autres écuries. Les Finlandais ont aussi un très bon anglais qui leur permet de s’ouvrir à de nombreux projets » rappelle Hicks.
Et il n’a pas tort. Combinez tous les titres remportés par ces nordiens et vous obtiendrez la nation la plus sacrée en Pro League sur Rainbow Six. Avec 9 petites coupes sur son poêle à bois, la Finlande domine outrageusement le classement mondial. Loin devant la France qui en compte 6 ; le Brésil avec 5 ; et le club des 4, mené par le Danemark, l’Espagne, la Suède, l’Allemagne et les États-Unis. Une preuve incontestable que le pays du Père Noël nous livre les joueurs les plus qualitatifs ? Il se pourrait bien que oui. D’autant plus lorsque l'on jette un œil du côté du classement par nationalités des joueurs engagés en Pro League. Là encore, pour l’actuelle Saison IX, les voisins de Ragnar Lodbrok mènent la danse avec 8 hommes engagés.
Selon Elemzje, « les joueurs finlandais sont très prisés, car leurs performances - de manière générale - ont toujours été remarquables. Ce sont [des joueurs] très travailleurs et ils font leur maximum pour se faire remarquer. Ils jouent beaucoup au jeu, en Ranked, en Face It, en GO4. Leur niveau de jeu augmente et cela leur permet de réaliser de belles performances, de se faire prendre par des équipes de Pro League. »
Effectivement, l’export des joueurs finlandais vers les meilleures équipes d’Europe est un marché florissant. Imitant G2 Esports, La Team Secret a recruté l’inconnu Fonkers, tandis que LeStream Esport a rapidement posé son grappin sur UUno. Aujourd’hui, le Finlandais s’expatrie mieux que le Made In France d’antan sur Rainbow Six. En proie à ses problèmes personnels, la nation tricolore n’a pas senti le vent tourner et s’est pris un sacré coup de bâton sur la truffe, en concédant l’une des seules réussites qui lui restaient.
Reste à savoir ce que la Finlande compte faire de tout cela. Si Kanto et Joonas semblent bien ancrés chez G2, Fonkers et Uuno sont encore en période d’adaptation dans leurs clubs respectifs. Les Mousesports (ex-Ence), actuellement quatrièmes de Pro League, ont-ils de leur côté les armes pour revenir sur le devant de la scène ? Les Kkona Kkopteri - annoncés avec redondance chez Ence - parviendront-ils à emmener une seconde formation finnoise dans le Championnat principal d’Europe depuis la Challenger League ? Les questions sont nombreuses, mais une chose est sûre pour Fabian : les Finlandais « montrent qu’ils ont les compétences, produisent des résultats dans les équipes de niveau inférieur, puis ils atteignent un nouveau statut dans une ligue supérieure. »
À quand la pastille « Laatumerkintä » sur le front des joueurs finlandais ?