Avec League of Music, vous retrouverez deux fois par mois une nouvelle chronique centrée sur les thèmes musicaux des champions de LoL. Toutes les deux semaines, vous pourrez découvrir une analyse musicale sur un de ces thèmes. Que vous soyez néophyte, mélomane ou expert en musique, soyez les bienvenus. Ce troisième numéro de « League of music » sera consacré à Lissandra, sorcière de glace.
La sorcière de glace a fait son apparition dans la League of legends le 30 avril 2013. Ayant un lien direct avec Freljord et l'Abîme hurlant, le thème musical de Lissandra rejoint très nettement certains passages de la musique de la map ARAM, jusqu'à en reprendre même certains extraits. Le thème sera donc réutilisé et approfondi pour Lissandra, un personnage ancré au cœur du lore de Freljord.
En ce qui concerne la structure du morceau, le thème de Lissandra reste très clair et précis. Il s'agit d'une musique en la mineur naturel ; pour les amateurs de solfège, cela signifie qu'il y a bel et bien un ton entre le 7e et 8e degré, à la place du demi-ton, plus conventionnel dans la musique dite « classique ». Dans certains anciens traités de composition musicale, cette tonalité de la mineur évoque un caractère « tendre et plaintif » chez Charpentier, une allure « fastueuse et grave », un aspect « modéré, doux, plaintif, invitant au sommeil » pour Mattheson tandis qu'il symbolise pour Schubart le caractère dévoué d'une femme. Le tempo est assez modéré, entre 75 et 80 à la noire (ce dernier chiffre correspondant au nombre de battements par minute). La mesure est un quatre temps, tout ce qu'il y a de plus classique.
Ce thème musical, tout comme celui de la map Aram, a fait l'objet de longues recherches auprès des compositeurs de chez Riot. En effet, après avoir tenté de faire interpréter cette musique par un orchestre symphonique « classique », le résultat ne semblait pas être à la hauteur de l'identité de Freljord et l'on ne retrouvait pas tout à fait son empreinte dans la musique. Christian « Praeco » Linke, compositeur principal du jeu a donc expliqué que l'équipe s'est alors tournée vers certains instruments plus traditionnels, afin de renforcer l'identité musicale de ce thème. C'est pour cela que le thème de Lissandra emploie des sonorités si particulières que l'on retrouve en fait via l'utilisation d'instruments quelque peu oubliés dans nos formations musicales actuelles. En effet, ces instruments seront véritablement mis en avant, car l'aspect mélodique, dans le thème de Lissandra, est un élément primordial.
L'un d'entre eux, la nyckelharpa, est un instrument datant du Moyen-âge, d'origine suédoise. Il s'agit d'un instrument de la famille des cordes frottées, et au niveau du son, il s'apparente assez au son des premiers violons de l'époque baroque. Pour avoir une idée du rendu de son de cet instrument, en voici un extrait en solo.
Enfin, si vous souhaitez le voir en action dans le thème de Lissandra, voici l'excellent making-of officiel de cette musique.
La nyckelharpa apparaît à partir de 1'44.
Notons également l'emploi de la viole de gambe, ancêtre baroque du violoncelle, que l'on retrouve dans le making-of à partir de 2'15.
Intéressons-nous maintenant à la structure musicale de la pièce.
Lissandra, la Sorcière de glace, chef des Gardiens du givre (artwork par Yamaro)
Partie A
La première partie de ce thème s'étend du début jusqu'à la 47e seconde. Elle est constituée d'une courte introduction puis d'un bref solo de nyckelharpa.
Il y a tout d'abord une courte introduction d'une vingtaine de secondes, exposant d'abord un aspect très carré, presque militaire d'un point de vue rythmique, grâce à l'emploi de rythmes binaires (qui soutiendront la pièce presque jusqu'à la fin). Cela situe l'action et les enjeux présents dans le lore de Lissandra, car ce dernier repose sur une histoire de guerre et de rivalité entre « clans ». Les instruments mélodiques instaurent quant à eux la tonalité, et la voix chantée nous interpelle alors, invitant à poursuivre la musique.
Le premier thème est alors exposé, par la nyckelharpa soliste (entre 0'19 et 0'47). En voici la partition.
À la toute fin, on note l'intervention furtive du chant (0'40). En voici le motif :
Partie B
Elle s'étend de 0'47 jusqu'à 2'03.
On arrive ici dans la partie centrale de l'œuvre, celle que nous connaissons tous, car c'est en effet ce refrain poignant qui est utilisé sur l'écran de victoire de la map ARAM. Si vous patientez même quelques secondes avant de retourner en salon d'équipe, vous pourrez alors entendre Lissandra vous conter une partie de son histoire en lien avec l'Abîme hurlant.
Un pré-refrain est tout d'abord exposé par les violons, doublés d'une seconde voix effectuée par le chant (la même chanteuse que dans la première partie.) Ce dernier s'étend sur les 25 premières secondes de l'extrait 2.
À la fin de ce passage, on note un grand crescendo qui aboutit au véritable refrain de la pièce, exactement le même que celui de l'Abîme hurlant. Ce passage est véritablement le plus marquant de la pièce. C'est à ce moment-là que le volume sonore est le plus fort, et que l'aspect mélodique du thème est le plus marqué. On y retrouve un caractère très triste et mélancolique, sans que l'espoir en soit toutefois totalement absent, grâce à l'aspect épique de la musique.
Pour la petite anecdote, la voix soliste qui double ce passage (et que l'on entend très discrètement) n'est pas la même que la voix utilisée au début du thème. Il s'agit ici de Lisa Thorn, et vous la connaissez tous très bien puisqu'il s'agit de la célèbre voix cristalline ayant interprété le thème de Diana.
Vous pouvez d'ailleurs l'entendre interpréter ce passage dans le making-of de la musique de Freljord, cité un peu plus haut dans l'article, à partir de 3'02.
Voici ici la mélodie principale de cette seconde partie :
Partie C
Elle s'étend à partir de 2'04 jusqu'à la fin.
La troisième et dernière partie de cette pièce est en fait une reprise de la première à quelques nuances près. Tout d'abord, au lieu d'être reprise dans la tonalité initiale, la mélodie module ici en ré mineur, afin d'apporter une autre empreinte sonore au thème.
Modulation : en musique, cela désigne le moment où l'on change de tonalité, sans que la mélodie ou l'harmonie de la musique ne soient rompues.
Le thème que l'on a rencontré en première partie sera alors exposé à trois reprises, avec à chaque fois une formation instrumentale différente. Dans l'ensemble, on constatera alors qu'à chaque reprise de ce motif musical, il y aura de moins en moins de volume sonore, et que cette dernière partie est en fait une sorte de fade-out (fermeture en fondu) à grande échelle.
La première fois, le motif est repris par tout l'orchestre, la seconde fois, uniquement par les violons. En voici la partition :
Enfin, pour sa dernière exposition, et pour conclure la pièce, on le retrouve interprété par un solo de violoncelle (avec une discrète seconde voix de nyckelharpa). Il n'y a alors plus d'orchestre et de percussion et, ici, la musique devient plus libre et moins mesurée.
Attention ici, la mélodie est écrite à hauteur du violoncelle, c'est-à-dire en clé de fa.
Et pour le plaisir de vos oreilles, voici le thème complet de Lissandra.
Pour le prochain numéro de League of music, venez me retrouver via Facebook, et choisissez la musique que vous souhaitez voir analysée dans deux semaines !