L'été sera inhabituellement riche avec Ghost of Tsushima, programmé pour le 17 juillet sur PS4. La concurrence est sévère dans les jeux de combat au katana, chacun avec une approche particulière. Il n'est pas facile de marcher dans les pas de Sekiro et Nioh 2 par exemple. Si vous êtes curieux sur la façon dont réfléchissent les développeurs lors de la conception et de l'équilibrage de tels combats, la lecture ci-dessous devrait vous intéresser.
Pour résumer brièvement la chose, les développeurs ont tenu compte des limites humaines (le joueur) et de son temps de réaction, pour favoriser l'anticipation. Les dégâts sont équilibrés entre Jin et ses adversaires, afin de respecter le fait que son arme est bien létale, et que ce n'est pas juste un couteau a beurre qui demande 50 coups pour tuer quelqu'un, mais qu'en contrepartie, il peut mourir tout aussi rapidement. Et pour finir, il faudra utiliser la bonne technique au bon moment ou au bon endroit, pour se défendre comme pour attaquer et pour être efficace. Ce sont des éléments plutôt classiques, mais il détaille davantage le procédé.
Pour atteindre notre but et créer notre machine à remonter le temps, tout reposait entièrement sur la sensation que procure le katana. Si les combats au katana n’étaient pas bien rendus au niveau visuel et sonore, ou ne procuraient pas la sensation recherchée, alors Ghost n’aurait pas de succès. Pour trouver l’inspiration, nous nous sommes tournés vers de magnifiques combats des films de samouraïs classiques et modernes, mon préféré étant le remake des 13 Assassins sorti en 2010. Mais les procédés qui fonctionnent au cinéma ne marchent pas toujours dans les jeux vidéo… la tâche s’est donc révélée ardue.
Au final, nous nous sommes concentrés sur trois choses : la vitesse, le tranchant et la précision.
D’abord, la vitesse. Nous voulions que les attaques soient rapides. Les katanas sont des armes légères, d’environ un kilo, les attaques rapides sont donc la base de la plupart des styles de combats au katana. Toutes les attaques du jeu ont été capturées en interne grâce à notre système de motion capture, pour que les mouvements soient le plus réalistes possible. Le réalisme de cette vitesse a soulevé un problème intéressant : les mouvements étaient trop rapides pour permettre un temps de réaction.
Le temps de réaction humain moyen est plus long que vous ne le pensez. Il nous faut environ 0,3 seconde pour réagir à un stimulus visuel, indépendamment de la simplicité de ce stimulus ou de la réaction suscitée. C’est le temps nécessaire à votre système nerveux et à votre cerveau pour comprendre ce qu’il se passe. Cette durée varie peu d’un individu à l’autre. On a réalisé beaucoup de tests en interne et le temps de réaction brut de chacun est très similaire.
Une grande partie du design des combats au katana a été faite en jouant avec ces limites. Ça ne pose pas de problème si vos attaques sont rapides car les PNJ peuvent réagir instantanément si nous les programmons de cette manière. D’ailleurs, on a essayé de donner un temps de réaction réaliste aux PNJ et ça ne rendait vraiment pas bien. Notre conception de ce à quoi ressemble un combat au katana est en effet influencée par le cinéma et non par de vrais combats. Dans un film, tout le monde connaît la chorégraphie à l’avance. (Nous avons assisté à de vrais combats avec des lames émoussées pendant la phase de développement, et ils sont bien moins fluides que ce que nous voulions pour le jeu.)
Donc vos attaques peuvent être rapides, mais la vitesse des attaques des Mongols ne peut pas dépasser le temps de réaction du joueur. Il y avait un déséquilibre : appuyer sans cesse sur la touche attaque rapide suffisait pour venir à bout de la plupart des ennemis, ce qui était loin de l’expérience de combat complexe que nous souhaitions proposer. On aurait voulu résoudre ce problème avant qu’Hideo Kojima ne visite les studios de Sucker Punch et essaie le système de combat de Ghost, car c’est la première chose qu’il a faite. Soupir.
On a fait quelques changements pour pallier le problème. Tout d’abord, on s’est rendu compte que, bien que les joueurs soient limités par leur temps de réaction, il n’y a pas de limite à leur capacité d’anticipation. Si un ennemi lance une série d’attaques, il faut qu’on laisse assez de temps au joueur pour réagir à la première attaque de la série, et comme les suivantes peuvent être anticipées, leur vitesse ne pose plus de problème. Un des Mongols utilise un combo à cinq coups : la première attaque est assez lente pour que le joueur puisse y réagir, mais les suivantes se succèdent rapidement.
Les attaques ennemies pouvaient aussi arriver simultanément. Pendant qu’un ennemi attaque, un autre peut se préparer à attaquer. On a fait en sorte que Jin ait à peine le temps de réagir à l’attaque de chaque ennemi qui se présente, comme dans les films de samouraïs qui nous ont inspirés. Mais il y aura souvent deux ou trois attaquants dans la même séquence de combat.
En combinant les attaques rapides du joueur et les attaques ennemies simultanées, nous avons créé l’intensité que nous cherchions, la même qu’on retrouve dans 13 Assassins. Aucun ennemi ne se tient dans un coin sans bouger, ils vous attaquent tous sans relâche. C’est génial, parce que nous voulions que nos joueurs soient un peu anxieux lorsqu’ils commencent un combat. Dans l’idéal, les joueurs sortent d’un combat un peu euphoriques, car c’est aussi ce que Jin ressent. Ils sont un peu dépassés et s’en sortent à peine vivants, mais ils avancent malgré tout.
La deuxième chose sur laquelle on s’est concentré était le tranchant des lames. « Respecter le katana » était le maître mot pendant la phase de développement. Le katana familial de Jin, la Tempête Sakai, est fait d’un mètre de métal tranchant comme une lame de rasoir manié avec malveillance, et nous devions respecter ça. Dans les films de samouraïs qui nous ont inspirés, quelques entailles suffisent à venir à bout du plus coriace des ennemis. On ne pouvait pas trop s’en écarter, on a essayé d’augmenter le nombre de coups que les ennemis pouvaient absorber, mais plus ils pouvaient encaisser de dégâts, moins le katana semblait affûté.
Évidemment, Jin devait répondre aux mêmes règles, sans quoi cela créerait un déséquilibre. Les armes des Mongols sont tout aussi affûtées, et Jin ne peut pas ignorer ses blessures, pas plus que les Mongols ne le peuvent. Ça crée un équilibre. La rapidité et l’intensité des combats aident aussi : Jin se défend autant qu’il attaque, ce qui ralentit la cadence à laquelle il inflige des dégâts. À un stade avancé du développement, on a pu ajouter des tactiques de défense pour les Mongols (blocage, parade, esquive) ce qui a résolu le problème des dégâts.
Des armes tranchantes et des ennemis agressifs rendent la mort omniprésente. Il était crucial d’avoir ce sentiment de danger constant et l’impression qu’une seule erreur peut vous coûter la vie dans Ghost of Tsushima. Les joueurs disposent de nombreuses techniques de défense, et encore plus de techniques d’attaque. Si vous restez bien concentrés, vous survivrez. Si vous vous laissez distraire, vous mourrez. On essaie de vous mettre dans les pas de Jin Sakai : vous devez vous soumettre aux mêmes règles que lui.
Enfin, nous nous sommes focalisés sur la précision. Le katana est une arme de précision : une vie entière de discipline et de pratique est nécessaire pour parvenir à faire une entaille au bon endroit, au bon moment. C’était crucial que le joueur ressente l’importance de la précision, ainsi que de la discipline et la pratique qu’elle requiert.
Pour commencer, il fallait de la réactivité. Jin devait réagir instantanément à la moindre commande du joueur. Les attaques rapides doivent être effectuées rapidement. Nous avons travaillé dur pour que notre animation et les mouvements soient fluides, mais s’il faut choisir, la réactivité prime sur l’exactitude physique. Jin dispose d’attaques plus lentes et plus puissantes, mais elles peuvent être annulées à tout moment pour qu’il puisse réagir à des événements imprévus, comme le cri d’un Mongol qui le charge. Entamer une attaque de haut niveau et pouvoir l’annuler pour s’adapter à la situation fait partie intégrante d’un jeu de haut niveau.
Nous voulions aussi récompenser le joueur quand il utilise les capacités de Jin avec précision. Prenez la capacité de Jin à bloquer une attaque, par exemple. L’exécution basique du blocage est simple : maintenez L1, l’attaque est bloquée. Mais il y a d’autres niveaux d’exécution. Attendez la dernière seconde pour appuyer sur L1 et le blocage devient une parade. Vous ne vous contentez pas de bloquer l’attaque de votre adversaire, mais il chancèle et devient vulnérable à une contre-attaque. Jin gagne alors de la détermination, l’unité qui permet de mesurer l’esprit combatif du samouraï et l’aide à passer outre la douleur causée par ses blessures. Avec la bonne amélioration, un troisième niveau de succès se débloque : appuyez sur L1 au moment où le coup est porté, et la parade devient parfaite, déstabilise d’adversaire et vous laisse une ouverture pour effectuer une riposte puissante et gagner une grande dose de détermination.
La précision s’applique aussi aux choix que fait le joueur. Jin peut attaquer ses ennemis de dizaines de façons différentes, mais choisir la bonne attaque au bon moment est crucial. Jin doit dépasser les leçons qu’on lui a inculquées, il doit assimiler ce qu’il découvre en observant et en combattant les Mongols. Ces leçons sont réparties en postures, une collection de nouvelles techniques d’attaques, entre lesquelles le joueur peut alterner à tout moment. Chaque posture a été conçue pour être très efficace contre certains types d’ennemis que Jin affronte. Alterner entre des postures en fonction de ses adversaires augmente la létalité de Jin.
Voici une vidéo qui montre le joueur en train de changer de postures tandis qu’il change d’ennemis. Jin utilise la posture de la pierre pour se débarrasser rapidement d’un ennemi muni d’une épée, puis la posture de l’eau pour créer une ouverture dans la défense d’un ennemi armé d’un bouclier. La posture de la pierre est son style ancestral, développé pour affronter d’autres épéistes, d’où son efficacité contre les Mongols. Jin créé la posture de l’eau car il constate avec frustration que les techniques qu’il a pratiquées pendant des années sont inefficaces contre les Mongols qui utilisent un bouclier.
Tous ces aspects (vitesse, tranchant, précision) combinés donnent vie à une expérience que les joueurs devraient aimer. Plus la précision est grande, plus un joueur peut être efficace, ce qui signifie que les événements peuvent s’enchaîner plus rapidement et être plus mortels. Nous espérons que vous choisirez un niveau de difficulté qui représente un défi pour vous, car la concentration, la discipline, et la pratique nécessaires pour relever ce défi sont précisément ce qu’on attend de Jin Sakai.
C’est un monde dangereux, mais Jin Sakai est un homme dangereux.