Avant même de débuter, la troisième édition de l’Overwatch League a connu des moments difficiles. Plusieurs changements cruciaux au sein de la ligue ont fait de ce lancement de saison un moment charnière pour l’esport d’Overwatch. 2020 pourrait bien être l’année de l'audace et de la prise de risques.
Sans mentionner les nombreux départs (membres du staff et joueurs professionnels) quelques semaines avant la reprise de la compétition — ce qui risque d'impacter la vente de billets — son nouveau format est certainement ce qui va le plus l'affecter. Ce nouveau système de matchs à domicile est un pari plutôt osé. Faire voyager les vingt équipes qui constituent la ligue aux quatre coins du globe afin d’étendre l’Overwatch League à un niveau mondial : l’idée paraît folle.
Pourtant, c’est un schéma que l’on retrouve déjà dans le sport dit traditionnel, et notamment en NBA (National Basketball Association). L'avantage premier ? Une véritable implication des fans du monde entier en leur permettant d'assister à des matchs et de passer de simples spectateurs à réels acteurs de la ligue en venant soutenir physiquement — et en usant de leur voix — leur équipe de cœur.
Pour Jon Spector — Vice Président d’Overwatch Esports, ayant anciennement travaillé au sein de la NBA — l'idée est d'étendre la ligue à une échelle globale afin de la rendre accessible au plus grand nombre :
“Overwatch est un jeu populaire, joué par des millions de personnes dans le monde entier, et nous avons pensé que cela pourrait être l'occasion rêvée de lancer une ligue au sein de laquelle les équipes et les joueurs viendraient de partout. Nous avons des joueurs professionnels venant de plus de 20 pays différents. [...] De plus, le fait d'avoir des équipes basées par ville crée une accessibilité pour la Ligue que l'on ne voit pas beaucoup dans le monde de l'esport.”
Le projet est beau et noble, mais semble difficilement réalisable sans contrepartie. Passer d'une compétition centralisée aux Etats-Unis à une ligue mondiale implique tout logiquement de nouvelles questions de logistique. Les moyens accordés à l'Overwatch League ne sont pas les mêmes que pour la principale ligue de basket-ball au monde et, avec les conditions de voyage des joueurs, se pose la question des temps de trajet.
Nous savons que les distances parcourues pourront atteindre, sur toute la saison, jusqu'à 123 795 km pour London Spitfire — contre 34 324 km pour Washington Justice —, les équipes de la conférence Atlantique Sud étant les mieux loties de ce côté. A titre de comparaison, en NBA, Utah Jazz voyagera le plus avec approximativement 90 000 km parcourus une fois la saison régulière clôturée.
Précisons cependant que les équipes de NBA ne voyagent qu'au sein du territoire américain, pour jouer quatre fois plus qu'en Overwatch League et seront amenées à prendre l'avion plusieurs fois par semaine selon le planning des matchs. Jon Spector est conscient des problématiques qu'un tel format impose et se veut rassurant sur la question :
“Nous savons que nous demandons à nos joueurs de voyager beaucoup pour que les équipes puissent se mesurer les unes aux autres dans le monde entier. [...] Nous organisons les événements de manière à ce que ceux en Asie, par exemple, se déroulent les uns après les autres, et que les équipes d'Europe ou d’Amérique du Nord qui ont besoin de concourir là-bas ne fassent qu'un seul voyage plus long, au lieu de devoir prendre l'avion et faire plusieurs allers-retours inutiles.”
Cette idée de rassembler plusieurs équipes dans une même ville le temps d'un weekend ne date pas d'hier. Lors de la saison 2 de l'Overwatch League, des Homestand Weekends dans trois des villes représentées par des équipes de l'Overwatch League (Dallas Fuel, Los Angeles Valiant et Atlanta Reign) ont déjà été organisés.
Ces événements dédiés aux fans ont rencontré un franc succès puisque, pour rappel, les 4 500 billets du Allen Event Center lors du premier homestand à Dallas ont tous été vendus en quelques jours — établissant ainsi un nouveau record pour la ligue, celui du plus grand rassemblement de personnes assistant à un même match de la compétition régulière.
La mise en place de tels weekends, avec de nouveaux moyens financiers et humains, ne s'est pas faite uniquement "pour faire plaisir aux fans". Elle était le fruit d'une réflexion bien plus profonde. Ces "matchs test" — si on peut les appeler ainsi — avaient pour vocation d'expérimenter ce nouveau format en vue d'une possible implémentation la saison suivante.
"Nous travaillons sur le format 2020 depuis très longtemps, avant même le début de la première saison en réalité. Même lorsque je suis arrivé en 2017, nous parlions de la façon dont cela pourrait fonctionner et de ce qu'il faudrait mettre en place pour gérer un championnat mondial où vous avez des équipes basées à Paris et à Londres, mais aussi à New York, San Francisco, Shanghai et Séoul. Assez rapidement — juste après l'événement à Dallas — nous étions convaincus d'avoir trouvé un format qui fonctionnait vraiment bien, et qui serait passionnant et amusant pour les fans et les joueurs qui y participeraient."
Cela ne résout cependant pas les problèmes en jeu. Activision Blizzard a toujours eu du mal à équilibrer son jeu et à mettre en place des rotations au niveau des compositions. Dissoudre la méta GOAT en instaurant la Role Lock n’aura que légèrement retardé l'échéance avant qu’une nouvelle méta ne domine le jeu.
L’heureuse élue ? La composition Double Shield — combinant Orisa à Sigma — qui prend le monopole de la compétition dès la fin de la saison 2. Les stratégies deviennent rapidement redondantes. Joueurs professionnels et occasionnels ne tardent pas à faire savoir (une nouvelle fois) leur mécontentement.
C'est ainsi que le Hero Pool va voir le jour. Les gamers de tous les horizons connaissent bien cette fonctionnalité puisqu’elle est depuis longtemps disponible dans League of Legends et Paladins — pour ne citer qu'eux.
En ce qui concerne Overwatch, ce système permet de bannir quatre héros (deux DPS, un Tank et un Healer) pour une semaine complète de compétition. Ils seront choisis aléatoirement parmi une sélection de héros au pick rate d'au moins 10% sur les deux semaines précédentes. A noter qu'un héros ne pourra pas être banni deux fois de suite. Le but est simple : diversifier les picks et offrir une expérience de jeu bien plus intéressante, ce que nous confirme Jon Spector :
"Cela va être un ajout vraiment positif pour notre compétition. Lorsque vous regardez les deux dernières saisons et le début de celle-ci, nous savons que l'une des choses que nos fans apprécient le plus en termes d'expérience de visionnage — mais aussi nos joueurs du point de vue de la compétition — c'est de sentir qu'il y a beaucoup de profondeur stratégique dans ce qu'ils font, qu'ils expérimentent tous en quelque sorte, et essaient de trouver quelle est la meilleure composition."
Le Vice Président d’Overwatch Esports précise que ce système de Hero Pool est une "expérimentation" et que s'il y a besoin de faire des ajustements, ils seront faits au cours de la saison. En parlant d'ajustements, il y en a qui sont toujours attendus par les fans. Le soudain passage de Twitch à Youtube Gaming a engendré bien des questionnements et notamment concernant les récompenses que les spectateurs débloquaient lors du visionnage de la compétition en direct.
Ce système permettait aux fans les plus assidus de facilement gagner des jetons échangeables contre des skins spécifiques à l'Overwatch League — le dernier en date étant le skin GOAT de Brigitte. Malgré les requêtes successives envoyées à Activision Blizzard, rien n'a encore été fait et les tokens se font attendre... Jon Spector précise d'ailleurs que la demande a été prise en compte mais qu'en ce début de saison, permettre aux fans de regarder des matchs de qualité était la top priorité.
Pas de panique ! Il ajoute que des pourparlers avec Youtube sont en cours afin de voir, un jour, un système similaire sur leur nouvelle plateforme de streaming. Il semble d'ailleurs ravi de ce que ce partenariat pourrait apporter à la ligue sur le long-terme :
"J'ai été personnellement très enthousiaste à l'idée de construire un partenariat à long terme avec eux, sachant ce qu'ils peuvent faire pour nous aider à faire grandir le jeu. Cela nous donne notamment l'occasion, avec des matchs joués dans le monde entier, sur tous les fuseaux horaires, de créer un produit de haute qualité pour pouvoir rattraper les matchs de votre équipe préférée et voir ce que vous avez manqué."
Nous pouvons facilement imaginer qu'un tel deal ne s'est pas fait sans penser à ses impacts sur les prochaines années. Selon des sources anonymes, nous pourrions bien parler ici d'un investissement de près de 160 millions de dollars, soit environ 50 millions par saison, pour racheter tous les droits de diffusion des compétitions Blizzard Activision : l'Overwatch League, la Call of Duty League, les Hearthstone Grandmasters et Masters Tour ainsi que les MDI et Championnats du Monde d'Arène de World of Warcraft.
Deux ans auparavant, Twitch avait payé 90 millions, soit 45 millions par saison, pour pouvoir uniquement retransmettre l'Overwatch League. Youtube investirait donc un peu moins (par année) mais s'engage avec non pas une mais deux ligues franchisées (OWL et COD League), ce qui pourrait devenir un coup de maître si elles rencontrent toutes les deux le succès tant espéré. S'ajoute à cela la construction de plusieurs complexes entiers consacrés à l'esport et permettant aux équipes de jouer leur homestand (comme la Fusion Arena, toujours sur le modèle de ce qui se fait en NBA).
Autant dire qu'investir autant d'argent implique nécessairement un plan stratégique s'étalant sur plusieurs années. Si le succès de l'Overwatch League n'a pas encore atteint son point culminant, il est tout à fait possible que la saison 2020 nous réserve encore bien des surprises. Prouver que fonder la première ligue franchisée de l'esport était un pari osé, mais surtout un pari gagnant, serait une belle victoire pour Activision Blizzard.
Quand nous nous attardons un peu sur les investisseurs de la ligue, ils ont encore toutes leurs chances d'y arriver. Avoir comme sponsors des entreprises mondialement reconnues comme Coca-Cola, Toyota ou encore HP, montre que ce projet peut tenir la route malgré les critiques.
"Nous avons une incroyable brochette de partenaires qui sont tous prêts à nous aider à développer l'Overwatch League dans le monde entier. Lorsque vous travaillez avec des marques mondiales comme Coca-Cola ou T-Mobile, elles peuvent être vraiment utiles et faire évoluer le jeu. Chaque fois que la ligue ajoute un partenaire, elle aide directement les équipes grâce au partage des revenus."
Jon Spector se veut dans l'ensemble rassurant. Même si certains points ont encore besoin d'être éclaircis, Activision Blizzard semble disposé à mettre des choses en place pour assurer le bon fonctionnement de sa ligue. Est-ce que cette prise de conscience arrive trop tard ? Difficile de le dire alors que la saison 3 n'en est qu'à sa cinquième semaine de compétition.
Le sort de l'Overwatch League pourrait bien se jouer dans les mois à venir. Seul le temps nous dira si elle parviendra enfin à atteindre ses objectifs et à impacter positivement l'esport dans son ensemble.