En 2015 Millenium est racheté par Webedia, qu'est ce qui a séduit le groupe et quelle était la place du club dans le projet ?
En premier lieu, on ne voulait pas vendre Millenium en 2015, on était parti pour lever des fonds afin de continuer notre développement. On a eu beaucoup de propositions mais Webedia nous a convaincu avec un projet très ambitieux qui n’était pas, pour être transparent, centré sur les teams. Millenium, déjà en 2015, ce n'était pas que des équipes, c’était un site internet, une agence marketing, des Web TV populaires... C’était tout cela qui intéressait Webedia et les teams n'étaient qu'une brique parmi d'autres.
La mission qui m’a été confiée était de bâtir une verticale jeu vidéo complète au sein de l'entreprise avec comme base Jeuxvideo.com et Millenium. Je n'imaginais pas une première année aussi compliquée, quand on fait de la structuration, des déménagements ou que l’on réfléchit à la stratégie, on a moins de temps pour gérer le quotidien. En 2015 et c’était vrai aussi en 2014 pendant la levée de fond, j’ai dû délaisser Millenium, mais rejoindre Webedia, c’était l’assurance d’envisager l’avenir sereinement pour l'entreprise et ses employés. Beaucoup de concurrents de l'époque n'existent plus ou presque plus aujourd’hui, ils n’ont pas pris les bons virages pour assurer leur développement.
En 2016, les résultats sont là avec des titres majeurs. Pourtant, Rémy Chanson, la figure historique du club s’en va et Bang Bang Management reprend le flambeau. Quelles-ont été les conséquences de son départ ?
En 2016, le club se portait très bien, on avait des résultats formidables et je pense que c’est la plus belle année du club Millenium. Rémy le dirigeait mais s'occupait également des TV et des talents Millenium. La TV Hearthstone était incroyable mais beaucoup d'autres choses n'allaient pas. On a dû arrêter les TV League of Legends par exemple, il y avait aussi peu de synergies entre les équipes et le site web. Rémy a d'énormes qualités mais je pense que c’est quelqu’un qui a un esprit d’entrepreneur et qui a plus de mal à s’intégrer dans une structure où l’autonomie est diminuée et où il y a des processus parfois lents à respecter. Je pense qu'il a bien fait de créer son propre projet, l'histoire le montre avec ArmaTeam et je suis très content de sa réussite avec Torlk.
Avec un marché de l'esport qui explosait, il fallait prendre des décisions difficiles mais importantes pour pouvoir être meilleur et se développer. En dehors de Torlk, on n'arrivait pas à associer des talents à Millenium et en termes d'événementiel on se devait de progresser. Ce virage fin 2016 correspond à l’acquisition de Toornament, la plateforme pour créer et gérer des tournois, de l’ESWC pour la partie évènementielle et de Bang Bang Management sur la partie talent, équipe et production audiovisuelle. Le départ de Rémy a entrainé de profondes mutations, il était celui qui incarnait le club Millenium à l’époque et je pense que les choses se sont plutôt bien passées en 2017 avec Bang Bang Management et Samishh.
Aujourd'hui Webedia a une verticale esport qui fonctionne très bien, qui se développe dans tous les domaines, notamment à la télévision avec ES1 ou à l'international, au Brésil particulièrement.
En 2016-2017, Millenium semblait jongler entre les projets basés sur des joueurs français et des équipes internationales sur d'autres jeux, quel était le projet à ce moment ?
Millenium est un club formateur en France depuis ses débuts. Stephano, Yellowstar, Soaz, Hans Sama ou Gotaga, tous les Français qui ont brillé à l’international sont passés par le club Millenium, je vois assez peu d’exceptions. Les détecter jeunes et les amener au haut niveau c'est l'ADN de Millenium. On recrutait aussi des joueurs étrangers du calibre de Showtime sur Starcraft, Tommey et MarkyB sur Call of Duty ou encore Satorius et Pretty sur League of Legends pour permettre à ces jeunes d'être encadrés par des joueurs plus expérimentés.
On a été quadruple champion de France de League of Legends en 2016 et en 2017, on a participé aux Challengers Series, on a même été à deux doigts de se qualifier en LCS mais sans atteindre notre objectif de former des joueurs français. C'est un vrai constat d'échec, sur League of Legends et sur Call of Duty.
Les ambitions du club Millenium ont-elles pâties du projet Paris Saint-Germain eSports, lui aussi géré par Webedia et Bang Bang Management ?
Le PSG est un formidable projet mais, il n’a pas freiné les ambitions du club Millenium. On peut faire des choses avec le PSG que l’on n’aurait jamais pu imaginer avec Millenium. Le partenariat avec LGD sur Dota en est le parfait exemple et nous travaillons sur d’autres projets similaires.
Je pense que dans un futur proche, les grandes franchises de l’esport seront les grandes franchises du sport. Il est probable que Team Liquid, FNATIC ou TSM soient rachetées par les franchises du sport, c’est quelque chose auquel je crois vraiment. Le lancement de la division esport du PSG a eu des répercussions positives en France et à l’international, c'était l'un des premiers clubs à affirmer qu’il ne faisait pas que du FIFA, qu'il se lançait sur League of Legends, les autres ont suivi derrière. D’autres suivront...
Il n'y a eu aucune incidence sur les équipes Millenium qui étaient gérées indépendamment, il n’y a jamais eu de mutualisation sportives entre les deux structures. En revanche, je crois que ce qui freine et ce qui a toujours freiné le club Millenium par rapport à un Vitality, c’est le fait que Millenium ne soit pas qu’un club. Millenium est avant tout un média, un site web avec des réseaux sociaux très forts. Peut-on mettre toute notre énergie dans le club alors que l’on est le deuxième ou troisième site de jeux vidéo en France ? Ça c’est un vrai frein.
Depuis deux ans, l'écosystème esport est en pleine transformation avec l’arrivée des franchises en Overwatch League et en LCS qui vient redistribuer les cartes. Le club Millenium a-t-il tenté de rejoindre l’une de ces ligues ? Et peut-on se définir comme un club ambitieux aujourd’hui sans en faire partie ?
Le système de franchises va clarifier les choses et les dix clubs qui seront en franchises LCS dont certains seront peut-être en franchises Overwatch aussi, seront les dix clubs référents en Europe. Quand demain une marque voudra sponsoriser une équipe d’esport, elle ira vers ces dix clubs là d’abord. Peut-être qu’elle n’aura pas le budget suffisant, ou que d'autres marques l'auront devancée, alors elle se rabattra vers des clubs plus locaux. La réalité, c’est que les franchises LCS vont créer la division 1 des clubs. Ne pas y être, c’est assumer que l’on joue en division 2.
Certains peuvent objecter qu'il y a le phénomène Fortnite, mais son circuit est encore en friche et aujourd'hui, les jeux esports référents sont Overwatch et League of Legends. Ne pas être intégré dans un modèle de franchise, c’est se positionner dans une deuxième catégorie et ne plus faire partie de l’élite européenne et mondiale.
En même temps, les niveaux d'investissement nécessaires pour faire partie de cette élite sont colossaux. On doit investir autour de 20 millions d'euros pour espérer créer un actif mondial qui en vaudra 100 millions, vendu à un milliardaire ou à un grand club de sport traditionnel.
En France, il y a un enthousiasme des jeunes pour l’esport, on a vu le public à Lyon, à Montpellier, à Poitiers cette année, j’espère que ce sera aussi le cas à Metz et à Paris pour l’ESWC. Ils veulent voir des esportifs, des youtubers, des streamers… Pour autant est-ce que les compétitions françaises ont de grosses audiences ? Quand on voit les streams de l’Open Tour France sur LoL, honnêtement c’est plutôt Sardoche et Solary qui portent la compétition, ce n’est pas le jeu ni la compétition en elle-même. Ce n'est pas Vitality, ce n’est pas Millenium. On a de plus en plus de clubs d’influenceurs comme LeStream, La Stream Team, ArmaTeam ou Solary, c’est probablement cela l’avenir local au moins pendant une certaine période et ce n’est clairement pas le positionnement de Millenium aujourd’hui, Millenium n’est pas un club d’influenceur.
Chez Webedia, on travaille pour faire du PSG une grande structure internationale de l'esport, un club ambitieux qui s'appuie sur la marque PSG avec le même modèle que ce que l'on a sur Dota 2, en allant encore plus loin.
Pour Millenium, ce n’est pas le modèle : un fort investissement dans le club n'est pas compatible avec le positionnement de media "généraliste" de millenium.org. Or le média Millenium ne s’est jamais aussi bien porté, il bat des records d’audience, il y a plus d’audience aujourd’hui qu’il n’y en a jamais eu dans toute son existence.
Donc, je ne veux pas sacrifier ce media, qui a en plus un fort potentiel de développement à l'international, pour une aventure de club qui comporte autant de risques. C'est pour cela que Millenium n'a pas candidaté pour les LCS EU ou l'Overwatch League.
Que peut-on donc attendre du club Millenium dans un futur proche après l'arrêt du projet League of Legends et le départ de son directeur Samy «Samishh» Mazouzi ?
La vie du club continue, Samishh était quelqu’un d’extrêmement compétent, qui a beaucoup apporté à Millenium. Je pense qu’aujourd’hui Samishh veut s’associer à l’un des projets ambitieux que j’ai évoqué. On se quitte en très bons termes avec Samishh et pour League of Legends en effet, notre équipe n’était pas au niveau de ce que l’on espérait. On voulait être l'une des meilleures équipes de France, on a beaucoup investi dans cette équipe mais les retours ont été très décevants en termes de visibilité. Comme je l'expliquais plus tôt, aujourd’hui l’audience est amenée par les streamers. Il n’y a pas d’amertume vis-à-vis de cela, c’est purement factuel. Mais cela veut dire qu’on était dans le faux sur League of Legends : soit on monte une équipe d’influenceurs, soit on n'existe pas en France.
Je pense donc que le League of Legends en compétitif c’est terminé pour Millenium. On verra si l’on revient sous une autre forme plus tard. A court terme, on a des équipes qui ont fait des résultats formidables sur FIFA, Fortnite et Rainbow Six, l’aventure continue. Après, on est en réflexion sur le prochain cycle, est-ce que cela a du sens d’avoir un club de division 2 ? On se pose la question. En tant que passionné, j’aime voir les équipes Millenium jouer, parfois remporter des compétiitons et j’aimerais que cela continue. Maintenant mon rôle, en tant que dirigeant, c’est de prendre les bonnes décisions pour l'avenir de Millenium et celui de ses employés.
Crédits photo : Elliot Le Corre, Benjamin Martinet, Helena Kristiansson, Jean-Paul Pelissier, Eva Martinello