Médias, gamers et jeux vidéos : je t'aime moi non plus ?
Difficile de parler de Jeux vidéo à la télévision sans aborder les clichés "chers" aux gamers. Bientôt 40 ans que le mariage est célébré, et comme dans toute union, il y a des hauts.. et des bas. Alors, "Mariage pluvieux, mariage heureux" ?
Années 80, à la découverte des jeux vidéo
Les années 80 marquent l’arrivée des jeux vidéo auprès du grand public, et avec elle, les premières médiatisations. Les bornes d’arcade connaissent un grand succès, les jeux sur micro ordinateur et les premières consoles apparaissent, bref, un nouveau monde du divertissement ouvre ses portes.
La télévision s'intéresse, non sans quelques maladresses, à ces nouvelles bêtes mystérieuses, déjà bien mieux manipulées par les plus jeunes. Dans cet extrait du 31 octobre 1979, de l'émission jeunesse Les visiteurs du mercredi, Michel Chevalet présente en direct du salon de l'enfance La bataille des Etoiles, un jeu sur Apple II. Qui gère l'animation? Un lycéen, d'ailleurs confronté à un problème technique.
Le journal télévisé du midi d'Antenne 2 (aujourd'hui France 2) enquête déjà en 1983 sur l'influence des jeux vidéo sur les enfants : ici, on ne parle pas d'addiction, mais du "dynamisme de la réussite chez l'enfant" que le nouveau loisir apporte, et le seul point négatif relevé concerne l'écran, qui à la longue peut s'avérer dangereux pour les yeux.
Aussi étonnant soit-il, le point de vue médiatique des années 80 n'exprime aucune animosité envers les jeux vidéo. Les raisons sont multiples : à cette époque, les jeux sont très pixelisés, et donc bien éloignés de la réalité. lls sont aussi sans sauvegarde, sujets aux bugs… Intriguants, futuristes, ils soulèvent la curiosité et surtout, ils occupent les enfants.
Années 90, les premières piques médiatiques
Nouvelle culture de masse, les jeux vidéo ont très rapidement pris de l'ampleur dans les années 90, et bien souvent, le succès engendre aussi des critiques, pas toujours positives. Cette décennie marque le début d'un conflit générationnel, où les premiers jeux de tir et d'horreur apparaissent. La réponse médiatique à ce phénomène ne manque pas d'audace, voire d'absurdité, allant jusqu'à pointer du doigt la Nintendo (et seulement elle) comme un danger pour les enfants.
En 1992, Envoyé Spécial (France 2) enquête sur Les mordus des jeux vidéo, et dresse le portrait du joueur addict: il passe 8 heures par jour devant l'écran, il ne mange pas, ne voit plus sa famille… Les clichés du joueur no-life sont lancés.
Années 2000, dans le collimateur des chaînes généralistes
Dans les années 2000, les clichés du joueur sont multiples, et bien installés : no-life, violent, asocial, obèse, idiot… De plus en plus de reportages sur les dangers des jeux vidéo sont réalisés, d'autres en débattent sur un plateau télé, et parmi les sujets évoqués, l'un d'eux a la côte auprès de nos médias : les jeux vidéo rendent violents, car oui, ce tueur/terroriste y jouait. L'idée serait semble-t-il apparue outre-atlantique, après la fusillade de Columbine où les deux coupables, entre autres loisirs, jouaient à Doom et Wolfenstein 3D.
Anders Breivik, auteur de la tuerie de 2011 en Norvège, ou encore Mohammed Merah, coupable des attentats à Toulouse et Montauban en 2012, ont relancé le débat en France sur la corrélation entre les jeux vidéo et la violence. Une intervention de la journaliste Natacha Polony a d'ailleurs fait couler beaucoup d'encre, dans l'émission On n'est pas couché, le 23 juin 2012 (la vidéo n'est plus accessible).
L'addiction aux jeux vidéo est un autre point apprécié des chaines généralistes, et Arte lui a d'ailleurs consacré un documentaire en 2008.
Le 2 janvier 2009, France 2 diffuse là aussi lors de son JT un reportage sur le même sujet. La voix off précise toutefois que le phénomène ne touche qu'une infime partie des joueurs, une jeune fille aborde l'addiction à la télévision, mais une fois de plus, aucune référence positive à l'utilisation des jeux vidéo n'est faite.
Années 2010, gare aux représailles
A partir des années 2010, la communauté gaming française riposte en masse, sur les forums et réseaux sociaux, aux attaques et maladresses médiatiques. Le "meuporg", est peut-être aujourd'hui devenu le symbole de la rebellion, après le soulèvement des joueurs sur le net en réaction à la bourde commise par le journaliste Nathanaël de Rincquesen, lors du Télématin du 18 mars 2010.
A croire que France 2 n'a toujours pas retenu la leçon, la rédaction du journal télévisé commet une autre erreur en 2011, lorsqu'elle diffuse un reportage sur une demande de la Croix Rouge adressée aux jeux de guerre pour qu'ils respectent la Convention de Genève. Le présentateur, Nathanaël de Rincquesenci, même si cette fois il ne se trompe pas dans la prononciation, qualifie Call of Duty de MMORPG. Au menu : addiction, violence, et le reportage se risque même à définir le "gamer type".
Cette décennie marque également l'arrivée de nouvelles pratiques vidéoludiques, alors incomprises et raillées par les communautés extérieures : le sport électronique et le streaming, avec l'essor de Twitch. L'intervention moqueuse de Mathilde Serell et d'Antoine de Caunes en 2014 sur le plateau du Grand Journal de Canal + a d'ailleurs marqué les esprits.
Mais les deux journalistes l'ont vite regretté car les foudres de la communauté gaming n'ont pas tardé à s'abattre sur eux, si bien qu'ils ont dû adresser des excuses publiques en plateau, comme sur Twitter.
Mais il ne faut pas oublier qu'au milieu de ces interventions médiatiques maladroites et mal renseignées, il y en a eu des positives, faites par des journalistes passionnés. Exemple parlant, avec le chroniqueur et journaliste Anthony Morel sur BFM TV, qui revient sur la finale des World Championship de LoL en 2013.
Les jeux vidéo, enfin dans l'estime des médias télévisés
Il aura fallu 30 ans, de piques, de moqueries, de clichés, de guerre. Résultat des ripostes sur internet ou simple évolution générationnelle? Une chose est sûre, depuis quelques années, les médias essaient de faire attention lorsqu'ils traitent les jeux vidéo: les bourdes se font plus rares, et les journalistes sont de plus en plus objectifs, voire même positifs.
Le 3 septembre 2017, le JT de France 2 diffuse un reportage sur les finales LCS EU qui ont eu lieu à Paris : à la différence des années précédentes, pas de cliché, ni de ton moqueur, et les termes sont corrects. La scène esportive est expliquée, avec respect et justesse.
Alors les années 2020 marqueront-elle la fin des hostilités, et le début d'une ère de paix et de réconciliation ? En tout cas, le processus est en bonne voie, et plus important encore, il est entre de bonnes mains, grâce au développement d'un journalisme spécialisé, et passionné, mais aussi et avant tout par l'incroyable poids économique et sociétale incarné par le jeux vidéo aujourd'hui. L'argent ferait-il le bonheur ?