Dorian Martinez fait partie des experts français dans le domaine du dopage, de la lutte contre ce dernier et tout particulièrement de sa prévention, souvent laissée de côté. Psychologue du sport, titulaire d'un DU de droit pénal et d'un DEA de philosophie, il agit depuis les années 1990 pour contrer tous les problèmes liés au dopage.
D'abord responsable du numéro vert national antidopage pour le compte du Ministère des Sports, il créé en 1999 le site dopage.com pour aider les sportifs à différencier les produits autorisés de ceux qui sont interdits. C'est dans cette optique qu'il créé l'association Vivre Sport puis l'entreprise SPORT Protect.
Nous sommes allés à sa rencontre afin de recueillir ses réactions concernant l'arrivée du spectre du dopage sur l'eSport, un milieu qu'il connait de loin grâce à ses récents contacts avec des entreprises liées aux jeux vidéo dans une pépinière d'entreprise.
Entretien avec Dorian Martinez par WhiTe
Mickaël « WhiTe » LR. : Bonjour Dorian. Tout d'abord, êtes-vous surpris de voir du dopage ou des pratiques assimilées arriver dans l'eSport ?
Dorian Martinez : Bonjour à vous. Cela ne me surprend pas. Depuis la nuit des temps, les humains prennent des produits pour améliorer leurs performances dans les activités où la compétition est présente, cela fait partie de leur nature.Je nuancerais cependant l'utilisation du terme dopage, puisqu'il s'associe à une triche. La législation dans le monde de l'eSport est encore très faible à ce niveau et il est difficile de parler de dopage, malgré l'utilisation de produits améliorant les performances.
Justement, l'ESL a signé un partenariat avec l'Agence Mondiale Antidopage, plutôt une bonne chose pour l'eSport d'avoir une institution reconnue ?
Oui, l'AMA est vraiment une structure prépondérante de la lutte antidopage. L'eSport a cependant deux grandes lignes de conduite possible qu'il ne faut pas négliger. Il peut tout d'abord prendre l'option de collaborer de très près avec l'AMA, devenir un sport d'un point de vue législatif et rejoindre le rang des autres activités sportives dans le cadre de la lutte antidopage, avec ses avantages et ses inconvénients.D'un autre côté, l'eSport peut profiter d'être jeune et bercé dans les nouvelles technologies pour créer une toute nouvelle manière d'appréhender cette lutte contre le dopage et obtenir une pertinence bien meilleure que s'il copie les institutions des sports plus traditionnelles.
Quels sont les points clefs qui ne doivent surtout pas être oubliés pour rendre ce combat pertinent ?
Tout le problème de la lutte antidopage actuellement réside dans l'amalgame fait entre contrôles positifs et tricheurs. Beaucoup trop de sportifs se retrouvent étiquetés comme dopés alors qu'ils n'ont jamais voulu tricher. Il s'agit pour les responsables de cibler les catégories pertinentes de médicaments.
Pour exemple, la créatine a longtemps été considérée comme interdite, tandis que les sportifs contrôlés positifs l'étaient souvent en raison de créatine contaminée. Interdire les anabolisants ou l'EPO semblerait totalement illogique dans un tel cadre. Il parait bien plus intéressant de s'attaquer de front aux psychostimulants, narcotiques et bêta-bloquants qui sont les plus susceptibles d'intéresser les tricheurs.
Parmi ces psychostimulants, on compte l'Adderall, médicament assez méconnu en France, mais très impliqué dans le dopage eSportif, particulièrement aux États-Unis.
Effectivement, l'Adderall n'est pas renseigné dans nos différentes bases de données comme un médicament autorisé ou interdit. Il est cependant composé d'amphétamine, qui est une substance clairement interdite et considérée comme un produit dopant.
Il est cependant très dangereux de cibler principalement un seul médicament. Au lieu d'un réel recul du dopage, on risque de voir les utilisateurs de l'Adderall s'orienter vers d'autres produits dopants encore plus dangereux.
Les contrôles sont un pilier important, mais ne peuvent être seuls piliers du système pour faire réellement reculer le dopage et protéger les compétiteurs.
Cette arrivée de la lutte antidopage dans l'eSport sans la présence de la prévention est donc très dangereuse ?
Bien sûr ! Même dans le sport, cette absence de prévention reste un grand problème. Les institutions comme l'AMA ont pour habitude de faire des beaux discours sans que les choses bougent réellement. Il est très difficile pour un sportif de savoir clairement quels produits il peut utiliser ou non.
Dans ce cadre, on retrouve souvent l'excuse du joueur « qui ne savait pas», qui est parfois vraie, mais qui permet à des tricheurs de passer entre les mailles du filet. Il y a également tout un public jeune, encore plus présent dans l'eSport, qui doit être pris en charge pour ne pas succomber à la tentation d'imiter les meilleurs joueurs professionnels qui seraient tous dopés.
Il faut absolument voir les catégories de jeu qui existent, les compétences demandées et à partir de là établir une liste de substances interdites et y placer dès le début les noms de médicaments qui peuvent être ou ne pas être pris. Il faut partir sur des choses qui permettront aux gens de savoir facilement pour éviter toute ambiguïté.
Vous pouvez retrouver SPORT Protect sur le site web et Twitter.