Diablo, StarCraft, WarCraft. Trois franchises qui résonnent comme de véritables hymnes au jeu vidéo dans la tête de nombreux fans autour du monde, ou comme un trio de poules aux œufs d’or pour les plus hérétiques cyniques. Des jeux devenus fers de lance créés par la société Blizzard Entertainment qui, depuis plus de 20 ans maintenant et la sortie de son premier hit, WarCraft : Orcs and Humans (1994), exploite un filon bien trouvé. Son avenir, la compagnie basée à Irvine le fera tourner quasi uniquement sur ces trois licences (en dehors de Justice League et The Lost Vikings 2) jusqu'à la sortie d'Overwatch.
Grain de sable
Grandement et ouvertement inspiré par Dune II – pierre angulaire du genre – sortie deux ans plus tôt et développé par Westwood Studios, Blizzard se lance en 1994 dans le développement d’un jeu de stratégie en temps réel sur fond d’héroic-fantasy à la Tolkien : des Orcs, des Gobelins, des Trolls, et tout le kit complet du parfait petit joueur de Donjons & Dragons.
Si la suite du premier jeu inspiré du roman de Frank Herbert révolutionne le genre avec notamment le principe de récolte-construction, les développeurs de chez Blizzard en la personne de Patrick Wyatt - lead-programmer - relèvent vite une première frustration, un premier « défaut » majeur : l’impossibilité de pouvoir jouer face à une personne faite de chair et d’os. C’est ce premier objectif (rempli) qui va alors amorcer le développement de ce qui deviendra une véritable institution : l’IA c’est bien, mais le RTS, c’est mieux à deux !
Le principe du jeu est simple : le joueur se voit être aux commandes d’un des deux peuples disponibles, les Orcs et les Humains, dans un jeu de stratégie en temps réel avec vue du dessus. Des récolteurs (péons) permettent au peuple dirigé de récolter deux types de ressources différentes (l’or et le bois) grâce auxquelles il pourra se développer, c’est-à-dire construire d’autres bâtiments qui donneront la possibilité de produire d’autres unités (de combats notamment, aux capacités de corps-à-corps, à distance ou bien lanceurs de sorts) ou d’améliorer sa technologie. Le but devient alors évident : détruire l’ennemi grâce à une meilleure maîtrise de son économie et de son armée. Ce système, dans les grandes lignes, sera repris pour tous les futurs RTS made in Blizzard.
WarCraft : Orcs and Humans sort officiellement le 23 novembre 1994 aux États-Unis et au Canada, et les retours, bien que tardifs, se révèleront globalement positifs. Le succès critique et commercial est là : surfant sur la vague et assuré d’un avenir financier à plus ou moins long terme relativement confortable, Blizzard choisit donc de battre le fer pendant qu’il est chaud …
Fort d’une équipe élargie, Blizzard commence le développement de ce qui sera la suite directe de la franchise, WarCraft II : Tides of Darkness, début 1995, pour une sortie en fin d’année.
Si le principe reste le même que son aîné (deux races, on récolte, on construit, on détruit), tout est amélioré : l’intelligence artificielle, le brouillard de guerre (fog of war), les graphismes, les effets sonores, introduction des unités navales et aériennes, et déjà l’apparition des héros… tant et si bien que l’accueil réservé sera des plus élogieux. « Surpassant son prédécesseur sur tous les plans », WarCraft II offre jusqu’à huit joueurs la possibilité de pouvoir s’affronter en ligne en mode escarmouche, en plus de la traditionnelle campagne qui retrace cette fois les événements de la Seconde Guerre (lorsqu’Orcs and Humans relataient ceux de la Première Guerre). C’est à cette époque que le développement d’un WarCraft version space-opera débute, celui de StarCraft.
Blizzard rentre dans la cour des grands, et cimente son statut avec une extension à WarCraft II intitulée Beyond the Dark Portal en avril 1996, dotant les héros - déjà introduits dans Tides of Darkness - de capacités accrues, de discours bien à eux et d’un rôle bien plus important, prémices d’une suite à venir...
La franchise WarCraft passe alors en semi-hibernation (en tout cas sur le plan vidéoludique), laissant la place aux deux premiers épisodes et une extension pour Diablo, à une réédition de WarCraft II supportant la nouvelle plate-forme multijoueur intégrée, Battle.net, ainsi qu’à la suite de The Lost Vikings.
La tête dans les étoiles
On l’a vu, l’expérience du RTS inaugurée avec WarCraft a poussé Blizzard à vouloir tenter de changer d’univers, et ce dès la sortie de WarCraft II, passant du monde des Ogres et de Trolls, aux vaisseaux spatiaux et aux troopers de l’espace. Intitulé sobrement StarCraft, une première version du jeu exploitant le moteur de Tides of Darkness est présenté lors de l’E3 1996, en mai. Portant le nombre de races de deux dans WarCraft à trois : les Terrans, les Protoss et les Nightmarish Invaders (devenus plus tard Zurg, puis finalement Zerg), les premières impressions sur le jeu furent pourtant loin d’être enthousiastes, les différentes remarques évoquant péjorativement un jeu « d’Orcs dans l’espace ». Retour à l’envoyeur, Blizzard repart de 0 et remanie entièrement le moteur graphique de WarCraft II, modifie nombre d’éléments graphiques et de codes, pour présenter une nouvelle version début 1997, beaucoup plus prometteuse.
Le 31 mars 1998, StarCraft est officiellement disponible chez tous les bons revendeurs, atteignant la barre des 1,5 millions de copies écoulées, et devenant ainsi le jeu le plus vendu de l’année. Aujourd’hui, il reste encore dans le top 10 des jeux PC les plus vendus au monde, avec 11 millions d’exemplaires, dont près de 5 rien qu’en Corée-du-Sud, et est encore considéré comme la référence absolue en matière de RTS.
Si je vous dis que StarCraft premier du nom a connu trois extensions, me croiriez-vous ? Non ? Et pourtant, si lorsque l’on évoque l’add-on de StarCraft, c’est Brood War qui vient instantanément à l’esprit, sachez quand même que deux autres itérations (non développées par Blizzard, mais néanmoins autorisées par ce dernier) sorties avant Brood War ont vu le jour : Insurrection, puis Retribution. Deux épisodes plutôt moyens voire mauvais, qui passeront heureusement inaperçus.
Pour corriger le tir, Blizzard fait table rase et applique sa meilleure formule « on sort un jeu, puis on balance l’extension (officielle) dans l’année qui suit », recette qui a plutôt bien fonctionné pour WarCraft II, et sera donc réutilisé sur StarCraft avec son add-on cette fois officielle : Brood War.
Sortie en novembre 1998, Brood War assied la domination de StarCraft au rang des RTS, et accompagne l’émergence du phénomène eSport en Corée-du-Sud. Des compétitions télévisées sur le jeu sont produites, et les meilleurs joueurs peuvent décemment vivre de leur passion. Une véritable révolution est en marche. Ailleurs la mayonnaise prend plus difficilement de par la particularité du genre qui demande une très grande concentration et un rythme d’entraînement extrêmement soutenu pour espérer faire partie de l’élite, impliquant une culture du travail et une certaine idée de l’éloge des meilleurs, éléments quelque peu… différents en Occident. Peu importe, la graine est semée.
Pendant ce temps, et alors que Blizzard North est occupé à préparer une suite à Diablo, un autre jeu est déjà dans toutes les têtes du côté d’Irvine.