De la suite dans les idées
Plantons le décor : ECTS 1999, salon du jeu vidéo ouvert uniquement aux professionnels de l’industrie. Nous sommes en septembre, Brood War est sorti il y a plus d’un an déjà, et trois ans se sont écoulés depuis le dernier opus de WarCraft : Beyond the Dark Portal. Dans l’Olympia Hall de Londres, la salle se remplit peu à peu de journalistes pour assister à une conférence donnée par Blizzard. C’est le moment qu’a choisi Rob Pardo - lead designer - pour présenter au peuple WarCraft III (originellement appelé Heroes of WarCraft) au travers d’images de phases de gameplay, et d’une cinématique d’introduction, qui restera la même jusqu’à la sortie du jeu. La joie des fans et l’excitation des amateurs laissent rapidement place à la stupéfaction : derrière les personnages classiques de l’univers WarCraft désormais tout en 3D se cache en fait non pas un RTS, mais un RPS (role-playing strategy). Exit la vue de dessus, la caméra se place directement derrière les personnages dirigés par le joueur en mode troisième personne, poussant le concept du héros à son paroxysme. Peu de gestion économique de la base, mais un gameplay tourné vers l’achat d’outils, l’exploration et les quêtes, une sorte de joyeux mélange entre MMORPG et RTS, un simili-WoW avant l’heure.
Autre changement majeur, de deux races (Orcs et Humains), on passe à six. Première nouvelle race annoncée ? Les Démons (en fait la Légion Ardente qui ne dit pas encore pas son nom), race qui ne sera finalement pas jouable dans la version finale. La sixième race ne sera jamais dévoilée officiellement pendant les phases de développement, mais l’on apprendra plus tard qu’il s’agissait en fait des Gobelins, race à l’esprit kamikaze, capables notamment d’envoyer valser leurs propres confrères via catapultes. De l’idée ne restera au final que le Sapeur Gobelin, unité neutre recrutable, capable de se faire exploser, infligeant d’importants dégâts.
Plus le temps passe et plus les images dévoilées laissent entrevoir un retour aux sources : la caméra recule puis prend de la hauteur, et Blizzard revient aux fondamentaux du jeu de stratégie classique. En 2001, le bois devient ressource à nouveau, et Blizzard lève le voile sur les deux dernières races : les Elfes de la Nuit et les Morts-vivants. Enfin, le jeu se dote d’un nom complet, WarCraft III : Reign of Chaos.
À sa sortie le 3 juillet 2002, WarCraft III fait un carton et la critique est unanime. Les cinématiques de toute beauté, une campagne et un scénario travaillé ainsi qu’un couplage RTS/MMO bien léché raviront les fans comme les novices, qui trouveront là un moyen de mettre la main sur un RTS de qualité, sans avoir le sentiment d’avoir à passer une thèse en stratégie militaire option arithmétique pour en comprendre les subtilités. Pourtant, même avec une prise en main qui semble plus aisée que sur StarCraft, WarCraft III possède tout de même quelques particularités…
L’abandon des six races nous laisse donc avec le quatuor suivant : les classiques Orcs et Humains, ainsi que les Elfes de la Nuit et les Morts-vivants. Chacune des races commence sa partie avec cinq récolteurs ainsi qu’un bâtiment principal, où les ressources (l’or et le bois) seront stockées. Seule exception : les Morts-vivants qui ne possèdent au départ que trois récolteurs (les Acolytes) qui eux ne peuvent pas s’occuper du bois, tâche ingrate laissée aux Goules (une seule au départ). Si cela semble injuste, sachez tout de même que la Goule récolte, de base, deux fois plus de bois que les bûcherons des autres races. De plus, celle-ci est considérée comme une unité de mêlée, et possède donc des dégâts significatifs ainsi qu’une vitesse d’attaque adéquate.
Pour le reste, WarCraft III n’échappe pas à la règle du récolte-construction-production inhérente à la majorité des RTS modernes :
- Des habitations débloquant le plafond de production (jusqu’à un maximum de 90 à l’époque, 100 maintenant), les baraquements pour les unités de combat primaires, les « greniers » pour rapprocher le lieu de récolte du bois, les bâtiments d’améliorations, ceux des unités de combats avancées, des lanceurs de sorts, des unités aériennes, les tours de défenses et enfin les Autels des Héros.
- Trois tiers-âges (amélioration du bâtiment principal) sont disponibles et débloquent des technologies, des bâtiments, des unités et un Héros supplémentaire par tiers.
- Il est possible, et même obligatoire si la partie s’étend, de prendre ce que l’on appelle une expansion, c'est-à-dire contrôler une mine d’or additionnelle afin d’assurer un revenu continu et pérenne. Il suffit pour cela de poser un bâtiment de récolte de l’or et de produire les récolteurs qui vont bien.
- Concernant les phases de combats, il s’agit ni plus ni moins que du système Pierre-Feuille-Ciseau :
Attaques de type : Normal, Perçante, Siège, Magique, Chaos, Sort, Hero
Armures de type : Légère, Moyenne, Lourde, Fortifiée, Hero, Sans armure
Alors qu’est-ce qui différencie WarCraft III des autres jeux de stratégie ? Au-delà de l’univers unique, le jeu possède depuis le précédent épisode des unités contrôlables que l’on appelle des Héros. Dans ce troisième opus, il s’agit de personnages particulièrement puissants de base (disponibles dans l’Autel) et qui, à la manière d’un personnage de Diablo, gagnera de l’expérience et des niveaux, jusqu’à 10 au total. Au nombre de trois par races, le joueur a la possibilité d’en entraîner un par tiers-âge.
Chacun des Héros possède trois capacités propres, actives ou passives, possédant trois niveaux de puissance, ainsi que le sort ultime déblocable au niveau 6 du Héros, qui lui n’en possède qu’un. Si certains sont spécialisés dans le corps-à-corps, et d’autres dans l’attaque à distance, la différence ne s’arrête pas là. Ainsi, tout Héros possède trois attributs : l’Agilité, l’Intelligence, et la Force.
- Chaque point d’Agilité augmente la vitesse d’attaque, et tous les trois points l’armure de 1.
- Chaque point d’Intelligence augmente la vitesse de récupération des points de mana et les points de mana du Héros de 15.
- Chaque point de Force augmente la vitesse de récupération des points de vie et les points de vie du Héros de 25.
Enfin, un attribut principal définit un Héros et lui ajoute un point de dégât supplémentaire pour chaque point d’attribut principal, en plus des améliorations de base. Dur à suivre ? Un exemple : le Maître-lame, qui est un Héros Orc d’Agilité en attribut principal obtiendra en plus d’une meilleure vitesse d’attaque et d’un point d’armure tous les trois points d’Agilité, des dégâts augmentés de 1. Pour l’Archimage, Héros Humain d’Intelligence, ses dégâts augmenteront lorsque son Intelligence augmentera, et ainsi de suite.
Pour gagner de l’expérience et gravir des niveaux (qui lui permettront de gagner en points de vie, points de mana, et attributs), le Héros devra combattre ou bien les unités ennemies, ou bien ce que l’on appelle les Creeps. Les amateurs de MOBA devraient s’y retrouver puisqu’il s’agit de ces endroits (spots) où quelques monstres (de difficultés différentes selon les spots) neutres gardent un ou plusieurs items. Si dans les débuts du jeu, il était d’ailleurs possible de passer au précieux niveau 6 (et donc apprendre la capacité ultime) uniquement grâce aux Creeps, un patch viendra rapidement combler la faille pour que la barre d’expérience se bloque au niveau 5, à condition de tuer des unités ennemies.
Sachez aussi qu’un Héros qui meurt peut être ressuscité, avec tous ses items et au même niveau à l’Autel, mais que cela a un coût en or et en temps qui va crescendo en fonction du niveau du Héros tombé au combat.
Autre nouveauté du genre, la possibilité pour les Héros de pouvoir porter des objets (jusqu’à six) qu’ils auront récupérés sur les Creeps tués, ou achetés en Boutique. Il s’agit de Parchemins, de Potions ou d’objets qui viendront buffer les capacités du Héros, ou des unités alentours (comme les objets conférant une aura).
Enfin, trois niveaux d’entretien (ou Upkeep) sont mis en place : Pas d’entretien, Faible puis Élevé, qui correspond en fait à la valeur de votre population. Sans entretien (de 0 à 50 de population), le joueur récolte 100% de ses ressources, en Entretien faible (de 51 à 80) 70%, et en Entretien élevé (à partir de 80) seulement 40%. L’idée étant ici de forcer le joueur à ne jouer que sur un minimum d’unités, tout en évitant au maximum de se carapater derrière ses défenses, et d’aller de l’avant.
Le Trône ne sonne pas le glas
À peine remis du succès de Reign of Chaos, la première et unique extension du jeu arrive très rapidement. Appelée The Frozen Throne, l’add-on est annoncée dès janvier 2003 (soit six mois seulement après la sortie de WarCraft III), pour une première bêta dès le mois suivant.
Les choses s’accélèrent en mai alors que le jeu passe Gold, et qu’un patch 1.10 pour Reign of Chaos vient préparer le terrain pour la venue du Trône Glacé (via diverses améliorations et changements). En juillet, WarCraft III : The Frozen Throne est enfin disponible partout dans le monde.
Encore une fois, les critiques l’acclament et les fans sont ravis, l’extension apporte son lot de nouveautés sans dénaturer le fond :
- Un nouveau Héros par race est désormais disponible : le Chasseur des Ombres pour les Orcs, la Gardienne pour les Elfes de la Nuit, le Mage de Sang pour les Humains, et le Seigneur des Cryptes pour les Morts-vivants.
- Six Héros neutres disponibles à la Taverne (la Sorcière des Mers Naga, la Ranger Sombre, le Pandaren Brewmaster, le Belluaire, le Seigneur des Abîmes et le Goblin Bricolo)
- De nouvelles unités par race : le Brisesort et le Chevaucheur de Dragon Faucon pour les Humains ; l’Esprit Marcheur et le Chevaucheur de chauve-souris Troll pour les Orcs ; la Statue d’Obsidienne/Destructeur (le premier pouvant se transformer en second, mais pas l’inverse) et le Scarabée Charognard (invoqué par le Seigneur des Cryptes) pour les Morts-vivants ; et enfin, le Géant des Montagnes et le Dragon Féerique pour les Elfes de la Nuit.
- Un magasin d’items propre à chaque race, constructible dès le Tiers 1.
- Une redistribution des cartes côtés armures et attaques (cf. tableau ci-dessous)
Et encore bien d’autres...
Plus tard, deux nouveaux Héros neutres feront leur apparition dans une mise à jour : le Seigneur de Feu et l’Alchimiste Gobelin.
Parenthèse DotA
Il est difficile de parler de WarCraft III sans évoquer au moins en surface le phénomène DotA, le père de tous les MOBA (Multiplayer Online Battle Arena).
Inspirée de Aeon of Strife sur StarCraft, DotA (Defense of the Ancients) est une carte personnalisée qui fait son apparition en 2003, et développé par un certain Eul, avant que celui-ci ne laisse son projet en friche après la sortie de The Frozen Throne et de son nouvel éditeur de cartes. Depuis, plusieurs noms se sont succédés : Meian, Ragn0r, Guinsoo, Neichus et enfin IceFrog.
Le principe, si vous ne le connaissez pas, consiste en deux équipes de cinq s’affrontant à coups de Héros. Le but est de détruire le bâtiment principal de l’équipe adverse. Pour cela, il faudra résister et passer sur les lignes de creeps (monstres) générés périodiquement et envoyés dans chacun des couloirs (trois : en haut, au milieu et en bas), défendus par des tours de gardes. Les Héros, tout comme dans WarCraft III, peuvent acheter des objets (grâce à l’or récolté en tuant des creeps ou des ennemis), les combiner, gagner des niveaux (jusqu’à 25) et apprendre des capacités.
Le succès qu’a connu ce mod est, pour une grande partie des joueurs de WarCraft III classique, à l’origine du déclin de l’intérêt du public pour ce dernier, laissant un goût amer aux nostalgiques du jeu. Mais si beaucoup ont connu DotA grâce à WarCraft III, combien ont connu WarCraft III grâce à DotA ? Une symbiose vidéoludique qui aura peut-être aussi permis au RTS de Blizzard d’allonger encore un peu sa vie déjà bien longue, grâce également à un phénomène qui explose alors en Europe et en Occident entamé dans les années 90 : l’esport.