Il y a quelques jours de cela, Blizzard annonçait la date de sortie de la première extension de Diablo III : Reapers of Souls, pour le 25 mars 2014. Cet évènement se conjugue avec l’arrivée de Noël, période faste, s’il en est, pour la réception de cadeaux. Ou tout cela nous mène-t-il me demanderez-vous ? Tout simplement à une interrogation simple transposée dans le milieu du jeu vidéo : n’éprouve-t-on pas plus de plaisir à attendre quelque chose qu’à l’obtenir enfin, qui, transposé dans le cas des jeux vidéo devient pour moi : cela ne peut-il pas nuire à la réception d’un jeu plus les attentes sont fortes ?
Il y a mille et un exemples de jeux extrêmement attendus, comme le fut pendant plusieurs années Duke Nukem Forever. La réalité s’est finalement chargée de rattraper cette Arlésienne du jeu vidéo, saluée par la critique pour être un titre de piètre qualité, dont l’attente des fans avait nourri beaucoup d’espérances, ce qui n’arrangeait rien. Je préférerai me concentrer sur le cas de Diablo III, qui est à mon sens le meilleur exemple de ce qui se passe quand on en attend trop d’un jeu.
Cinématique d'introduction de Reaper of Souls
Tout le monde connaît la célèbre formule des commerçants pour vous faire claquer toute votre paye au moment des fêtes « Plaisir d’offrir ». La maxime, qui n’a rien de faux, pourrait aussi devenir « Plaisir d’attendre » lorsque l’on s’attend à recevoir ou à acheter une chose que l’on convoite particulièrement. De ce point de vue les éditeurs et autres développeurs de jeux vidéo passent chaque année un peu plus maître dans l’art de savoir faire monter l’attente autour d’un de leur titre. Je ne ferai pas une longue digression sur le sujet, et je vous renvoie à l’éditorial d’Eskrau sur la question, mais ce qu’il faut en retenir, c’est qu’avec la révolution de l’information et la dématérialisation des jeux comme des infos, on peut commencer à faire monter la sauce très longtemps avant la sortie d’un titre.
Attendre un jeu depuis plusieurs années devient fréquent, qu’il soit annoncé longtemps à l’avance, ou qu’on l’espère ardemment, tant les précédents épisodes de la série se sont avérés bons. De ce point de vue, le jeu qui pour moi illustre tous les travers des espérances du public, au point qu’il a dépassé le simple cas de la raison, est donc celui de Diablo III.
Il y aurait beaucoup à dire su D3, puisque le jeu n’était pas parfait, et certains choix stratégiques étaient très critiquables. À mes yeux, cela n’en fait pas pour autant la sorte de bouse infâme que le D3 est sensé être lorsque l’on écoute certains. D’un point de vue critique en revanche, Diablo III est incontestablement un raté du studio californien, et ce, pour plusieurs raisons.
Cinématique d'intro de Diablo III
Tout d’abord, et comme je l’ai mentionné en haut, certains choix faits au niveau de la conception ont porté préjudice à l’expérience de jeu, notamment l’hôtel des ventes, qui a complètement faussé l’itemisation, qui est l’un des cœurs du genre hack’n slash. Ensuite, la mode des hack’n slash était passée. Entre les dix bonnes années séparant Diablo II de Diablo III, les MMO ont fait leur arrivée, et ont changé les comportements et les attentes des joueurs, qui auraient préféré avoir une sorte de WoW à la sauce Diablo, qu’un jeu de ce genre à « l’ancienne » (mettez-y beaucoup de guillemets). Premier décalage avec le public donc. Blizzard a eu beau faire œuvre de pédagogie sur la question, le studio n’était pas ici sur la même longueur d’onde que sa fanbase. De sorte qu’il a perdu sur les deux tableaux : les plus hardcore gamers ont regretté la simplification du jeu, dont l’hôtel des ventes est l’avatar le plus emblématique ; les joueurs des autres titres, voulaient du contenu, du contenu, et encore du contenu, et pas des actes à farmer en boucle, sans en plus avoir la récompense du loot à la fin, puisque tout était achetable à l’AH.
Ensuite, et là je me recentre sur la notion d’attente en tant que durée, il y a eu beaucoup d’espérances sur Diablo III, espérance renforcée par plus d’une décennie à faire les cent pas virtuels, après le chef d’œuvre qu’aura été Diablo II. Le second volet de la licence aura marqué beaucoup de joueurs, qui en auront parlé à ceux qui ne l’auraient pas connu, de sorte, que le père Diablo était attendu au coin du bois par pas mal de monde. Ajoutez à cela la réputation de Blibli qui n’est plus à faire dans le domaine, car le studio est réputé pour la qualité de ses jeux, peaufinés à l’extrême (d’où la décennie d’attente). En somme, le studio avait été rattrapé par son succès.
C’est là que toute la mécanique irrationnelle s’est mise en marche, aidée par l’habituelle machine à spectacle américaine, dont la firme sait faire usage à chacun de ses lancements. Ceux qui étaient sur les Champs-Élysées le soir du lancement du jeu pourront témoigner de la démesure de la situation : une foule noire de monde amassée sur la célèbre avenue parisienne, des fans transis, qui n’attendaient que la première occasion de mettre la main sur leur précieuse boîte de jeu.
Soirée de lancement de Diablo III
La mayonnaise avait été savamment montée avec l’habituel teasing ; le pass annuel pour les joueurs de WoW qui vit se greffer une nouvelle population autour de la licence démoniaque ; et une bêta qui laissa tout le monde sur sa faim afin de préserver l’histoire du jeu. Ajoutez qu’à l’époque c’était une période de vide sur WoW, entre le dernier patch de Cataclysm et la sortie de MoP ; enfin SWTOR commençait à sombrer dans l’oubli. Tous les éléments étaient là pour créer une attente extrêmement forte autour du titre.
« Forte » est peut-être encore en dessous de la réalité. Blizzard a commencé à communiquer sur la chose sentant la chose arriver, en s’alarmant publiquement de ne peut-être pas pouvoir répondre aux attentes des joueurs. Et ce qui devait arriver arriva. Une fois les vannes du barrage ouvertes tout c’est déversé avec fracas, dévastant tout sur son passage. Les ventes de D3 ont explosé les prévisions les plus optimistes de Blizzard. Car c'est 3,5 millions de copies qui ont été vendues durant les 24 premières heures. Au final 14 millions d’exemplaires auront été écoulés. Certes ce n’est pas le record absolu, mais cela fait quand même un joli poids à porter sur ses épaules.
Blizzard a alors payé un autre de ses choix stratégiques : la connexion internet obligatoire, qui a entraîné la fameuse Erreur 37 devenue célèbre par la suite, synonyme, d’impossibilité de jouer au jeu. Un gamer laisse rarement une seconde chance, et il n’a pas tendance à être tolérant, surtout dans des situations aussi kafkaïennes. À peine sorti, que Diablo III était déjà jugé et condamné. Le fait qu’en outre, le contenu du jeu ait été saigné rapidement par les plus acharnés a achevé de jeter un voile d’opprobre sur le jeu.
Détournement sur la fameuse erreur 37
Aujourd’hui D3 est une trace que Blizzard aura du mal à effacer, l’esprit humain retenant plus facilement les échecs que les victoires. Cet échec n’est pas commercial, loin de là, il est critique. En décevant ses fans le studio a déchiré les liens privilégiés qui le reliaient plus que n’importe quelle autre compagnie à ses clients. Pourtant cela n’était pas une fatalité. D’autres jeux ont réussi à mieux s’en sortir avec également beaucoup d’attente. Je pense à GTA V, qui a carrément explosé les records de vente de produits culturels avec 16 millions d’exemplaires vendus en 5 jours, loin devant la série des Call of… eux aussi très attendus, et qui trustaient jusque-là les premières places du classement. Grand Theft Auto, souffrait en revanche de moins de défauts, et a sans doute su se rapprocher plus des attentes de ses joueurs.
Dans le cas de Diablo, on peut se dire que tout semblait pourtant facile à voir venir, mais les attentes et le poids des succès passés auront frappé avec force. Tout cela était trop démesuré, trop irrationnel, trop passionnel. Diablo III avait échappé à Blizzard et était devenu un jeu fantasmé par des millions de joueurs, chacun ayant ses attentes et ses espérances, forgées par ses propres souvenirs ou les histoires qu’il avait entendues. Voilà ce qui s’est passé quand les attentes ont dépassé la réalité. Un jeu, loin d’être mauvais est devenu une sorte d’épouvantail, alors qu’il y a bien pire sur le marché. Les attentes suscitées ont clairement handicapé à la fois la licence, qui en souffre encore aujourd’hui, et le studio, qui y a connu son premier vrai échec.
Nouveautés de Reaper of Souls
On pourrait encore développer longuement l’analyse, car Diablo III a souffert de réelles erreurs d’orientation, qui sont le produit d’une logique, de choix réfléchis et des nécessités du moment, qui auront finalement été préjudiciables. Mais le drame, c’est que ces erreurs ont été largement amplifiées par l’invraisemblable espérance autour du jeu, la créature échappant au contrôle du maître. Voilà, à mon sens, l’illustration qu’un lien trop fort, un lien trop proche, une attente trop grande, plutôt que d’être une chance, peuvent finalement devenir un handicap. Est-ce que Reaper of Souls changera cela ? Le jeu semble aller dans la bonne direction, mais on a rarement le droit à plus d'une chance dans le monde du gaming. Toutes les corrections futures pourront toujours gommer les erreurs d’un jeu, mais certaines resteront des taches difficiles à faire partir. Le pendant de cela, est que les attentes baissent également, et cela laisse un peu plus de sérénité, à défaut de quiétude, aux développeurs pour finir leur jeu.